Rappel historique : Exception culturelle, diversité culturelle, dialogue interculturel.

L’idée de dialogue interculturel plonge ses racines dans les négociations internationales sur le financement des productions cinématographiques qui se tiennent au début des années 1990.

L’exception culturelle, instrument imaginé pour défendre les industries culturelles et en particulier le cinéma de certains pays du Nord (dont la France), vis-à-vis d’ambitions hégémoniques d’autres pays du Nord, s’est ensuite imposée comme le flambeau de la lutte pour la reconnaissance de l’égale dignité de toutes les cultures, au plan international comme aux plans nationaux, épousant en cela la montée en puissance économique et démographique des pays du Sud.

D’autre part, les années 1990 ont vu s’affirmer une nouvelle logique : sous l’impulsion des Québécois, a émergé l’idée de la défense de la diversité culturelle mondiale ou au moins de chacune des exceptions culturelles. Cette logique est fondée sur l’idée formulée par Claude Lévi-Strauss que le fondement de l’histoire humaine est le maintien de la diversité, et que la rencontre des diversités peut faire progresser l’ensemble des cultures. Ce principe de diversité a rencontré un succès important, notamment dans les pays du Sud, confortés dans leur volonté de soutenir leurs productions culturelles nationales mais aussi d’affirmer très fortement l’égale dignité des cultures du monde. Il a débouché en 2005 sur la convention de l’Unesco pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

 Cette dimension culturelle s’est amplifiée et s’est avérée un enjeu politique fort lors du Sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg en 2002, avec le discours du président de la République, Jacques Chirac, qui a fait de la diversité culturelle le troisième pilier du développement durable.

Ainsi la diversité culturelle a-t-elle été une construction politique internationale particulièrement intéressante dans la mesure où elle a été reliée à d’autres thèmes et placée sous le signe du multilatéralisme. Porté par la France et le Canada, le discours multilatéraliste, novateur et valorisant pour l’ensemble des pays du monde, a rencontré un succès considérable en Afrique, en Amérique latine, en Asie, ainsi que dans les pays musulmans. La preuve en a été donnée par le fait que tous les pays du monde ont signé la convention de l’Unesco sauf deux (les États-Unis et Israël).

Cette reconnaissance de la diversité culturelle a eu des conséquences historiques. Elle fonde la légitimité du soutien public à toutes les « expressions culturelles et croyances ». Elle induit la nécessité d’un changement de regard, dans l’ensemble des États du monde, sur leurs minorités, qu’elles soient linguistiques, culturelles, religieuses. Elle crée l’obligation, à partir du moment où il y a une distinction entre les citoyens, de la protéger et de la valoriser. Elle constitue un engagement moral, juridique et politique pour le XXIe siècle, un des piliers du développement durable.

La ratification de cette convention a eu lieu de manière symbolique le même jour par un certain nombre de pays européens et par l’Union européenne. Ainsi, la convention a pu être mise en application (18 mars 2007) à la fois dans le droit international public et dans l’ordre juridique de chacun des États. Par exemple, elle peut servir de base pour travailler la jurisprudence des accords de l’Organisation mondiale du commerce si les droits des États sont menacés.

Cependant, pour chaque pays, l’application concrète de la convention sur la diversité culturelle pose des problèmes particuliers, dans la mesure où elle n’est pas nécessairement compatible avec leur Constitution. En France, il n’a pas été possible de ratifier la convention européenne sur la protection de la diversité linguistique qui a été mise en place par l’Union européenne, car elle contrevient à l’article 2 de la Constitution qui affirme que la langue de la République est le français. Aussi la reconnaissance de la diversité culturelle illustre-t-elle cette prémonition d’Edgar Morin qui écrivait que « plus que jamais l’identité culturelle se confond avec les politiques culturelles ». Aucun pays n’échappe à cette interrogation : comment concilier identité culturelle et hétérogénéité des populations ? Elle bouscule sans doute plus certains pays, dont le nôtre qui fait référence en matière d’universalité des valeurs.

L’extension de ces enjeux – du cinéma à la multiplicité des expressions artistiques et culturelles, aux minorités nationales et religieuses… – a conduit à chercher ce qui dans la diversité fait lien et lui donne sens.

Le dialogue interculturel est apparu, à l’Unesco et dans diverses instances internationales, comme le chaînon manquant. Il s’agit dès lors de considérer la reconnaissance de la diversité culturelle comme une étape nécessaire : sans reconnaissance préalable de la diversité des cultures et de leur égale valeur, il n’y a pas de dialogue interculturel possible; mais sans dialogue interculturel, la diversité culturelle peut conduire à une sorte d’apartheid culturel. Le dialogue interculturel ouvre des perspectives majeures en ce début du XXIe siècle, au plan mondial, européen et national. Il est au cœur des réflexions internationales et nationales sur la diversité des identités et sur les moyens de développer la cohésion sociale.