A travers une série de préconisations en faveur de la diversité dans le secteur culturel, le Collège de la diversité plaide dans son livre blanc pour "intégrer la diversité comme un élément naturel de notre société". Entretien avec Karine Gloanec-Maurin, haute-fonctionnaire chargée de la diversité au ministère de la Culture et de la Communication.

Lancé fin 2015, le Collège de la diversité vient de publier un livre-blanc qui revient sur les problématiques de la diversité. Dans quel contexte le Collège a-t-il été créé ?

Comme vous l’avez rappelé, le Collège de la diversité a été installé par la ministre de la Culture et de la Communication en décembre 2015. A ce moment-là, le ministère de la Culture et de la Communication avait lancé un vaste chantier, les Assises de la jeune création, qui avait permis de dresser un large état des lieux des attentes et des difficultés rencontrées par les créateurs de demain. L’une des difficultés récurrentes relevées les jeunes artistes était particulièrement frappante :  ils ont évoqué de façon répétée les discriminations dans le secteur culturel et le risque du repli sur soi, voire de l’entre-soi. A la suite de ces remarques, qui ont constitué une forte cristallisation de la réflexion ministérielle, il a été décidé de nommer une haute-fonctionnaire en charge de la diversité et la création d’une instance de réflexion ayant pour objet la diversité. Cette première année d’existence du Collège de la diversité a donc servi à capitaliser la réflexion autour du sujet diversité, à en dégager les grands thèmes. Ce livre-blanc constitue la première pierre de notre engagement en faveur de la lutte contre les discriminations et pour la solidarité.

La diversité constitue désormais un enjeu reconnu des politiques publiques. En quoi concerne-t-elle tout particulièrement le secteur de la culture et de la communication ?

Malgré la spécificité du secteur culturel, porté vers la tolérance et l’ouverture aux autres, les constats d’inégalités et de discriminations sont encore trop fréquents. Existerait-t-il « un racisme d’omission ou d’oubli », comme le souligne l'un des membres du Collège de la diversité? La culture est pourtant un secteur qui devrait être exemplaire.

Le Collège de la diversité doit veiller à une juste représentation de la société française dans le secteur artistique et culturel

Comment avez-vous choisi de répondre à l’épineuse question de la mesure de la diversité avec l’interdiction, en 2007, du recueil d’informations ethno-raciales par le Conseil Constitutionnel ?

La question de la mesure de la diversité est une question complexe au vu des positions parfois contradictoires sur les statistiques ethniques qu’il faut aborder dans le respect du droit. Concernant la diversité, l’INSEE se trouve confronté à la difficulté de l’absence d’un cadre légal et de l'impossibilité d’effectuer des statistiques ethniques. En 2007, le Conseil Constitutionnel avait en effet interdit le recueil d’informations ethno-raciales. L’enquête « Trajectoires et Origines » réalisée par l’INSEE et l’INED en 2009, retient le chiffre de 30 % comme étalon moyen pour faire état de la diversité en France. C'est donc sur cette base que l'on peut évaluer la représentation de la société française dans les équipes ou sur les plateaux. Le Collège de la diversité a ainsi reçu une mission de veille à cette juste représentation de la société française dans le secteur artistique et culturel et à la promotion de l’égalité d’accès aux œuvres comme l’égalité d’accès aux fonctions pour tous pour une politique de lutte contre les discriminations.

Pour renforcer la diversité des acteurs culturels, la ministre a souligné à plusieurs reprises le rôle déterminant de politiques volontaristes dans l'enseignement supérieur culturel. Quelles sont vos préconisations à ce sujet ?

En effet, il s’agit là d’un axe fondamental pour renforcer l’égalité des chances. Après la présentation de préconisations concernant l’accès des jeunes issus de la diversité à l’enseignement supérieur artistique, le 2 juin 2016, les membres du Collège de la diversité se sont mobilisés pour auditionner un panel d’écoles nationales supérieures d’art dans différentes disciplines. Ainsi, les directrices et directeurs de neuf écoles ont présenté leur réflexion et leur action en faveur d’un accès plus large des jeunes éloignés de la culture dans leurs établissements. Il faut saluer l’enthousiasme avec lequel les écoles ont répondu à l’invitation du Collège de la diversité et la qualité de présentation par les directrices et directeurs eux-mêmes. Les auditions ont à la fois confirmé les difficultés, mais aussi les succès liés à cette volonté d’ouverture.

Comment le ministère s’est-il saisi de cette suggestion ?

A la suite de ces auditions, le ministère a mis en place aujourd’hui un soutien financier auprès des écoles qui inventent leur propre dispositif en faveur de la diversité. Il s’agit sans conteste d’une première étape vers une généralisation indispensable.

Quel bilan dresser de cette première année d’activité du Collège de la diversité ?

Cette première année d’activité du Collège de la diversité a permis de mettre en lumière aussi bien de sérieux atouts pour lutter contre la discrimination au sein du secteur culturel que les points de faiblesses encore trop nombreux. Parmi les premiers, la prise de conscience par les pouvoirs publics et singulièrement par le ministère de la Culture et de la Communication de la question de la diversité constitue, à l’évidence, un atout majeur pour notre politique publique. Il y a en effet un foisonnement d’actions portées dans toutes les disciplines artistiques et culturelles (spectacle vivant, médias, musée, patrimoine, livre et lecture, arts plastiques, cinéma) pour s’emparer des sujets discriminants : création, action culturelle, formation. La liste est longue et devrait être accessible par tous : c'est ce que préconise le Collège de la diversité.

Cette première année d’activité a permis de mettre en lumière aussi bien de sérieux atouts pour lutter contre la discrimination au sein du secteur culturel que des points de faiblesses encore trop nombreux

Sur quels autres éléments mettez-vous l’accent ?

Le Collège de la diversité préconise également d'adapter la médiation culturelle aux enjeux actuels, de penser les lieux comme des lieux de culture et de rencontre, de développer des actions de transmission, de valoriser la relation amateur/professionnel inscrite dans la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, de renforcer le soutien aux associations qui accompagnent les projets d’action culturelle. A l’instar du guide des experts de la diversité créé par France Télévisions pour les institutions médias et presse, les autres secteurs culturels pourraient créer un annuaire des personnes compétentes dans chaque domaine. Le Collège de la diversité donne également comme recommandation de travailler en collaboration avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur la démarche statistique.

Le livre-blanc insiste aussi, à côté de ces mesures concrètes, sur l’importance de la reconnaissance de la diversité.   

Les échanges des groupes de travail n’ont rendu que plus vive, sans aucun doute, l’urgence d’apporter des réponses politiques fortes à un malaise persistant lié à la reconnaissance. Le mot clé de cette réflexion est peut-être en effet celui de reconnaissance, au sens de Paul Ricœur : parvenir à une conception décentrée de l’histoire, qui ne soit pas dans le déni. C’est dans le champ qui sépare la dénégation de l’assignation que la diversité doit pouvoir agir. Il est souhaitable que cette démarche, si importante dans le contexte actuel, contribue à intégrer la diversité comme élément naturel de notre société.

Un premier bilan de la diversité dans le secteur culturel

Depuis son installation en décembre 2015, le Collège de la diversité, comprenant des personnalités comme le réalisateur Abderrahmane Sissako, les chorégraphes Mourad Merzouki et Benjamin Millepied, le journaliste Mémona Hintermann-Afféjee, le metteur en scène David Bobée ou la chef d'orchestre Zahia Zouani, s'est penché sur la diversité sous toutes ses formes (personnes, territoires, pratiques). A partir de ces trois pistes d'étude, il a notamment abordé la question de la "mesure" de la diversité et a interrogé les notion d' "inclusion" et de "citoyenneté" à travers le prisme des "droits culturels". A la demande de la ministre de la Culture et de la Communication, plusieurs écoles nationales supérieures d'art ont été auditionnées (voir ci-dessus). De ces auditions, il est ressorti une connaissance plus précise des "bonnes pratiques favorisant l'accès de tous à l'enseignement supérieur" et des préconisations d'amélioration. Autre dossier du Collège de la diversité : le dépôt le 3 avril dernier de la candidature du ministère de la Culture et de la Communication aux deux labellisations AFNOR Diversité et Égalité. "Cette initiative constitue un engagement fort du ministère en faveur de la prévention des discriminations et de la promotion de la diversité et de l'égalité professionnelle, se réjouit Karine Gloanec-Maurin. L'obtention des labels Égalité et Diversité certifiera que le ministère de la Culture et de la Communication met en œuvre des politiques et des procédures aptes à garantir l'évolution du respect de la diversité et de l'égalité de traitement en interne, mais aussi à l'égard des publics, des partenaires et usagers de toute nature".