La mode a-t-elle un sens ? Alors que les défilés printemps-été 2019 ont débuté le 24 septembre, à Paris, nous republions le compte rendu du 2e Forum de la mode, qui a revendiqué, le 10 novembre dernier, les "valeurs de ce secteur d'avenir".

« La mode n’est pas quelque-chose de futile, comme on l'entend trop souvent, c’est l’expression du génie créatif français ». C’est en ces termes que Bruno Le Maire a ouvert l’édition 2017 du Forum de la mode, une manifestation réunissant professionnels, institutions, pouvoirs publics, jeunes créateurs et entreprises technologiques. Avant d’aborder le poids économique substantiel de la filière – « 800 000 emplois, 150 milliards d’euros de chiffre d’affaire, 33 milliards d’euros de chiffres d’affaire à l’exportation » – le ministre de l’Économie et des finances s’est attaché à souligner les liens étroits que le mode entretient avec la culture. La France n’est-elle pas la seule nation « à même de produire deux grands films sur un créateur de mode, Yves-Saint-Laurent » ?  « Si vous connaissez un autre pays dans lequel les écrivains sont capables d’écrire sur la mode comme l’ont fait Cocteau ou encore Jean-Jacques Schuhl, à qui l’on doit un livre absolument magnifique sur la création et l’art de la découpe d’une robe, vous me le présentez », a-t-il affirmé, avant de conclure, définitif : « La mode, c’est notre culture ».

Cet enracinement culturel ne saurait toutefois dispenser le secteur d’accomplir une mue salutaire, nécessaire au maintien de son rayonnement à l’international dans un contexte de concurrence accrue, à son adaptation au développement du numérique et à la prise en compte de nouvelles exigences en matière de transparence et d’écologie. « Ce forum est un moment d’échange et de réflexion indispensable pour votre filière dans la période charnière qu’elle connaît », a observé Françoise Nyssen, en annonçant la lancement d'un nouveau fonds de 300 000 € destiné à soutenir les jeunes créateurs (voir vidéo et encadré). « Le marché se transforme, le numérique bouleverse les codes, la concurrence internationale grandit, de nouvelles places fortes s’affirment aux côtés de Paris ».

Fashion tech et innovation 

« L’innovation touche tous les aspects de la filière : création, fabrication, logistique, distribution, vente, communication et pratiques du consommateur », a rappelé Clarisse Reille, directrice générale du DEFI, un comité dont la vocation est de soutenir et valoriser la mode et l’habillement. Face à ce constat, le DEFI, qui a financé l’étude Alcimed afin d’identifier les innovations technologiques à même de servir le secteur. Cloud, big data, intelligence artificielle, cybersécurité, objets connectés, robotique, impression 3D et 4D, réalité virtuelle et augmentée... « Ces technologies, indispensables, vont vous permettre à vous, entreprises, d’inventer un nouveau projet vis-à-vis de vos clients et de vos partenaires », a déclaré Clarisse Reille. L’étude très pédagogiques, est étayée par de nombreux exemples. « Les PME ne doivent pas penser que l’intelligence artificielle leur est, entre autres, inaccessible », a-t-elle conclu.

L'innovation doit permettre aux entreprises de mode d’inventer un nouveau projet vis-à-vis de leurs clients et de leurs partenaires

Pour Marie Fauchadour, directrice chargée de la Business Unit & Politiques Publiques d’Alcimed, le travail de la startup Cypheme, qui développe une méthode de lutte contre la contrefaçon en utilisant l’intelligence artificielle, illustre parfaitement le fort potentiel de ces innovations technologiques. « L’intelligence artificielle est ici utilisée pour analyser la microstructure du matériau qui compose l’étiquette. Pour cela, il suffit que le consommateur la photographie avec son smartphone : si cette microstructure est référencée dans la base de données de Cypheme, le produit est immédiatement authentifié », a-t-elle expliqué. « Évidemment, le fait d’équiper des vêtements de cette étiquette représente un certain coût pour les entreprises ; malgré tout, cela permet de lutter contre la contrefaçon de manière très fiable et très rapide ».

La jeune entreprise française est cependant loin d’être la seule à se pencher sur le marché de la fashion tech. Andrea Gilet, qui travaille dans la société Euveka, lauréate du prix de l'Andam destiné aux jeunes créateurs, fait également partie de ces entrepreneurs désireux de transposer les nouvelles technologies au sein de l’univers de la mode. L’invention concernée ? Un mannequin robot évolutif et connecté qui permet de concevoir, produire et vendre des vêtements à la taille exacte. « C’est vraiment la nouvelle génération du mannequin de bois. Actuellement ce buste permet de recréer 80% d’une morphologie de femme, d’une taille 34 à la taille 48 », a assuré Andréa Gilet. Les bénéfices sont immédiats : réduction du nombre de prototypes, amélioration de la gamme de vêtement, optimisation du positionnement sur le marché concerné.  Une opportunité parmi d’autres, pour les entreprises de confection, de mettre les apports numériques au service de la modernisation de leur outil de travail.

Le nouvel écosystème de la formation 

« Tout ce que nous ferons en matière d’innovation, de recherche, de développement des nouveaux textiles doit s’accompagner de transformations profondes de la formation », a affirmé Bruno Le Maire. « Paris, c’est la mode. Il est anormal, au regard de cette réputation, que nous n'ayons pas un système de formation qui ne soit pas mondialement connu. Nous devons faire de Paris non seulement la capitale de la mode, mais la capitale de la formation en matière de métiers de la mode », a-t-il précisé, avant de saluer le rapprochement en cours entre l’institut français de la mode (IFM) et l’école de la chambre syndicale de la couture.

De fait, la formation aux métiers de la mode prend elle aussi un nouvel essor: l’ENSAD, Dauphine, Mines ParisTech se sont associés pour lancer l’École nationale de mode et de matière, qui vient d’accueillir en septembre sa première promotion d’étudiants. L’École Duperré et Paris 3 Sorbonne nouvelle ont, quant à eux, mis en place un « Master design, mode et industries créatives » par apprentissage.

Enfin Lyne Cohen-Solal, auteur du rapport « La mode, industrie de créativité et moteur de croissance » et présidente de l’Institut national des métiers d’arts, a annoncé lors du Forum la création de la Conférence des écoles supérieures de la mode, la CESUM. Cette « petite révolution » réunit les écoles du secteur afin de leur permettre de parler d’une seule voix et d’assurer la reconnaissance de leurs formations sur des niveaux LMD. Avec la barrière de la langue – dans le marché mondial, les écoles de mode françaises se trouvent confrontées à la concurrence d’établissements entièrement anglophones – la reconnaissance des diplômes à l’étranger et l’obtention d’équivalences représentent en effet des défis majeurs. Christine Walter-Bonini, directrice générale de l’École supérieure des arts et techniques de la mode (ESMOD), « la CESUM va être capitale pour la reconnaissance de nos écoles à l’international ».

Un vent de renouveau souffle également sur l’apprentissage des métiers techniques de la mode. Créé en 2014 par le groupe LVMH, l’Institut des métiers d’excellence (IME) forme des jeunes sans qualifications ou en réorientation, suivant une sélection exigeante. « Il s’agit de promouvoir et de transmettre le savoir-faire du luxe, de faire découvrir nos métiers en touchant des personnes éloignées de notre environnement », a précisé Florence Rambaud, directrice de l’établissement. Une ambition partagée par Jean-Luc François, fondateur de l’association éponyme, à l’origine du programme Couture & Métiers. Créé en 2013, Couture & Métiers résulte d’un constat sans appel : la diminution drastique du nombre de « petites mains » qualifiées. Dans ses ateliers à Pantin, en région parisienne, et à Ham, en Picardie, Jean-Luc François forme des demandeurs d’emplois et des bénéficiaires du RSA, qui sont ensuite accueillis à bras ouverts dans l’industrie du textile, où ils fabriquent la mode des créateurs. « Au tout début de cette entreprise, nous avons consulté des professionnels qui nous ont confirmé qu’ils attendaient ce genre d’initiative depuis longtemps », a-t-il souligné.

Les valeurs de la mode 

La vocation sociale de projets comme celui de Jean-Luc François illustre la capacité de la mode à porter des valeurs. Au-delà de l’innovation et de la créativité, la filière s’attache de plus en plus à des enjeux de responsabilité sociale et environnementale ou de transparence. Les problématiques qui traversent nos sociétés tendent à imprégner la vision du monde que la mode souhaite aujourd’hui transmettre. « Finalement est-ce qu’une marque est belle si elle est fabriquée dans des conditions environnementales et sociales exécrables ? ». C’est en ces termes que Sébastien Kopp, co-fondateur de Veja, une marque de baskets éthiques créée en 2005, pose le problème. « Ce que nous voyons – le produit – est aussi important que ce nous ne voyons pas : la façon dont ce dernier est fabriqué, la manière dont les matières premières sont obtenues… ». Sébastien Kopp et son équipe portent une attention particulière à la chaîne de fabrication de leurs baskets et, à chaque étape de celle-ci, essaient de changer ce qui peut l’être. Une exigence qui se traduit sur le plan des matériaux utilisés (coton biologique, caoutchouc naturel), de la logistique (collaboration avec une association de réinsertion pour le stockage), ou encore de la communication (politique zéro publicité).

Est-ce qu’une marque est belle si elle est fabriquée dans des conditions environnementales et sociales exécrables ?

Toutefois, si la mode peut servir le développement durable, l’inverse est également possible. Le jeune créateur Youssouf Fofana co-fonde en 2015 la marque Maison Château-Rouge, composée de vêtements détournant l’habit traditionnel africain dans un esprit contemporain. Celle-ci est destinée à financer une association « Les oiseaux migrateurs » dédiée au développement des TPE et PME africaines. « Nous cherchions un moyen différent de soutenir une Afrique entreprenante et responsable : pour qu’il y ait un développement économique et social durable, il faut qu’il y ait de l’emploi, ce qui implique de transformer les matières premières localement plutôt que les exporter » a expliqué Youssouf Fofana. Initialement, le projet Maison Château-Rouge se réduisait à une collection de cent pièces qui permettrait, une fois vendue, de financer le projet Bana-Bana, développé au Sénégal. La marque, repérée sur instagram, connait cependant un succès aussi foudroyant qu’imprévu et devient un business à part entière. Ce dernier continue aujourd’hui de prospérer sans pour autant perdre de vue son objectif initial : l’alliance de la mode et du social semble, en l’occurrence, avoir de beaux jours devant elle.

Forum de la mode FNY

Françoise Nyssen : « un nouveau fonds de 300 000 euros pour soutenir les jeunes créateurs »

« La création française ne perd rien en effervescence mais nous devons être encore plus présents pour l’accompagner […].

Nous souhaitons aller plus loin pour préparer l’avenir [de la filière de la mode], et l’avenir est plein de jeunes créateurs. Le ministère de la Culture va donc lancer un nouveau fonds de 300 000 euros pour les soutenir au démarrage de leur activité. Pour la création d’une présentation en ligne de leur collection par exemple ou la location d’un local éphémère, cette somme financera chaque année une dizaine de projets. Le premier appel à candidature aura lieu d’ici la fin de l’année. L’avenir se dessine par ailleurs dans le système de formation d’excellence que la France abrite : je soutiens l’idée d’une conférence des écoles de mode que vous avez évoquée aujourd’hui.

Le ministère de la Culture sera là pour l’accompagner. ‘L’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible’, disait Saint-Exupéry. C’est ce que vous faites ici ensemble, c’est ce que chacun d’entre vous fait, tout au long de l’année, en travaillant pour faire vivre la création, pour faire rayonner cette filière qui est au cœur de notre culture, qui concentre certains des plus grands savoir-faire français, qui crée des emplois, et qui fait notre fierté ».