Retour sur les 3e Entretiens du patrimoine de l’océan Indien qui se sont déroulés au Théâtre du Grand marché à Saint-Denis de La Réunion du 2 au 4 octobre puis les 5 et 6 octobre à l’île Maurice en collaboration avec l’Institut français de Port-Louis.

Après avoir, dans sa 1ère édition en 2011, traité de « La ville patrimoniale » puis, pour sa 2e édition en 2014, des « Jardins, paysages et sociétés dans l'océan Indien », les 3e Entretiens du patrimoine de l'océan Indien déclinent le patrimoine comme moteur du développement économique et touristique. Ils ont pour titre : « Patrimoines, mises en valeur & perspectives touristiques » et abordent trois thèmes :

  • Diversité et logique d’attractivité des patrimoines de l’océan Indien.
  • Stratégies de valorisation entre conservation, développement et gouvernance.
  • Les patrimoines de l’océan Indien, une destination à part entière.

 

     Les EPOI sont organisées par l’État (préfecture de La Réunion, direction des affaires culturelles - océan Indien) et l’École d'architecture de La Réunion en partenariat avec le conseil régional et le conseil départemental de La Réunion, le rectorat de l'académie de La Réunion et Ile de La Réunion tourisme (IRT). Ils ont pour mécène la Caisse des dépôts et de consignation et pour sponsors la Saga du Rhum et Air Austral.

     Des actes complets de ces échanges seront réalisés, nous partageons ici quelques temps-forts de ces Entretiens.

     Pérennisation et diversification des soutiens

Notons en préambule, qu'en six années, les partenariats créés autour de cette manifestation internationale se sont élargis tout comme le nombre des pays participants. Ils sont désormais au nombre de onze : Afrique du Sud, Comores, Inde, Madagascar, Maurice, Danemark, Seychelles, Australie, Mozambique, France (Métropole, Réunion) et, pour la première fois, le Kenya.

Une trentaine d'experts, universitaires, chercheurs, conservateurs, architectes, urbanistes, élus, décideurs, mais aussi associations, étudiants et plus largement le grand public y participent dans le cadre d'interventions, d'ateliers et de débats ouverts au public et traduits le cas échéant, en direct.

Notons ensuite la présence significative et attentive durant ces 3 journées, des étudiants de 1ere et 5e année de l’École d'architecture de La Réunion ainsi que la présentation par leurs soins, d'une sélection de maquettes et de travaux réalisés avec leur enseignante Jeanne Coulon, dans le cadre d'un programme libre conçu autour du paysage naturel réunionnais. Enfin, soulignons le vif intérêt suscité par les trois conférences de Laurent Bruxelles, chercheur à l'INRAP,membre honoraire de l'Université du Witwatersrand de Johannesburg, venu présenter son travail conduit avec Ron Clarke, célèbre paléoanthropologue sud-africain autour d'un fossile exceptionnel : l'australopithèque Little Foot.

Le patrimoine comme facteur de développement économique et touristique

Le président d'honneur des EPOI, Domingos di Rosario Arthur, secrétaire général du ministère de La Culture du Mozambique, ouvre ces 3e Entretiens en insistant sur l'importance de penser un développement équitable et durable au bénéfice des populations, en s'appuyant sur l'éducation et le respect des traditions culturelles. Selon lui, le principe de l'éducation au patrimoine pourrait reprendre celui de « l'école de la brousse » qui contribue à construire une identité et un développement économique équitable et durable, ouvert sur le monde et soucieux de conserver et protéger la relation des êtres au sacré et aux ancêtres.

Marc Nouschi, directeur des affaires culturelles-océan Indien insiste quant à lui sur le caractère polysémique et évolutif de la notion même de patrimoine qui constitue à la fois un engagement des citoyens et des politiques publiques et « un investissement processif dans l'avenir ». La mémoire n'est pas l'histoire, et l'océan Indien offre un terrain exceptionnel pour co-construire des liens entre les patrimoines naturels, culturels, ou immatériels.

 

La présentation des stratégies de valorisation de lieux iconiques tels que Table mountain à Cape Town, Le Capital complex construit par Le Corbusier à Chandighard ou encore Fort Jésus à Monbasa soulignent la nécessité de relier les symboles liés à l'histoire de ces lieux (le caractère sacré de la terre et des forêts par exemple) aux usages développés par les habitants eux-mêmes sur ces sites, afin de créer des outils de découverte et de développement durables destinés à la fois aux touristes, et aux habitants.

Au-delà de l’apport de devises, l'appropriation des lieux patrimoniaux par la population est un enjeu majeur de développement économique, éducatif et de formation (entrepreneuriat, études, guides touristiques, outils multimédia.).

Pour les Comores, Ahmed Oulidi souligne que la connaissance des territoires et l'organisation des circuits de visite contribuent à mettre en place des réseaux de compétences qui permettent de renforcer l’efficacité régionale.

 

Le tourisme constitue en ce sens une voie d'appropriation. Olivier Poisson, conservateur général du patrimoine, spécialiste du patrimoine mondial, précise que le « récit singulier de chacun des sites » doit s'inscrire dans un temps long et conjuguer singularité et logique d'ensemble pour devenir un bien commun à tous et redonner ainsi sens et fierté aux habitants eux-mêmes.

 

La présentation de la directive territoriale et du centre d'interprétation de Port Louis par Corinne Forrest donne un cadre concret à cette affirmation en présentant l'intégration d'un lieu patrimonial doté d'une charge affective importante, dans le schéma de développement de la ville. C'est également le cas de l'intervention de Alokananda Mukherjee sur la nécessité de poser les questionnements justes, puis les choix nécessaires à un tourisme durable centré sur le patrimoine culturel et naturel de Calcutta et ce, au regard des changements climatiques en cours.

 

Pour La Réunion, Jean François Rebeyrotte du service régional de l'inventaire, insiste sur la fragilité des sites patrimoniaux qui semblent pourtant immuables et qui, pour entrer dans une logique patrimoniale doivent être validés par une gouvernance adaptée produisant un projet partagé, intégré à la sphère des échanges puis médiatisé.

Même approche quant à l'interprétation et aux choix nécessaires de la part d'Yves Baret, architecte du Parc National de La Réunion qui présente la logique de création puis de préservation d'un projet de territoire, bien régional et universel, face à une urbanisation galopante et à une dynamique de peuplement très forte.

Notons l'intervention de Karl Kugel, artiste photographe, créateur du Jardin de la Mémoire sur l'île du Mozambique, qui a plongé l'assistance dans la découverte sensible d'un lieu vivant, « symptôme du moment où on le regarde », production vivante, lieu indompté riche d'histoires et de symboles où chacun passe, face à la mer.

 

Selon Martin Malvy, président de Sites et cités remarquables, le patrimoine participe à 50% du choix de la destination touristique. La notion de gouvernance en matière de préservation et de valorisation du patrimoine se pose dans notre pays avec une acuité toute particulière du fait de la multiplicité des acteurs. Cette situation exige selon lui des réponses rapides, cohérentes et coordonnées, propres à rapprocher les acteurs afin de valoriser et de promouvoir les destinations dans le respect des patrimoines. Il pointe également les évolutions qu'autorise et favorise le numérique et la nécessité de mieux construire, pour mieux les vendre, les projets touristiques.

 

L'analyse est proche du côté d'Atout France en la personne de son directeur général, Christian MANTEI, quant à la nécessité de « mettre en récit les territoires » à partir d'analyses concrètes de leur potentiel et des attentes des visiteurs au nombre desquelles viennent en priorité : la sécurité, le paysage et son environnement, l'accueil et les services proposés. L'offre se construisant dans la relation humaine avec le visiteur dans un souci d'authenticité et de partage d'expériences.

 

Enfin, Vincent Berjot, directeur général des patrimoines au ministère de la Culture, pointe quant à lui la nécessité de structurer les labels existants qui constituent déjà une source reconnue de notoriété et de visibilité, afin de faire émerger de véritables schémas et outils de valorisation touristique concertés. Il salue la présidence mozambicaine et le travail en réseau impulsé par ces Entretiens qui mériterait selon lui d'être étendu à d'autres territoires.

 

Autour des Entretiens du patrimoine de l'océan Indien

 

Lors de la séance publique de conclusion, Vincent Berjot a remis la médaille d'officier dans l’ordre des arts et lettres à Domingos di Rosario Arthur, président des 3e Entretiens du patrimoine de l'océan Indien.

 

Réunion du réseau IONNAS et signature d'un protocole d'intégration

 

Le lendemain des Entretiens, alors qu'une délégation se rendait à Maurice, se tenait au Port, la réunion du réseau IONNAS : Indian ocean network architecture schools, créé en 2011. Elle réunissait autour de Vincent Berjot, d'Alain Derey, directeur de l'Ecole nationale supérieure de Montpellier et de Pierre Rosier, directeur de l'Antenne réunionnaise de l'ENSAM, Frédéric Miranville, président de l'Université de La Réunion et Françoise Zattara Gros, vice-présidente en charge des relations universitaires et de la coopération ainsi que les directeurs et/ou recteurs des écoles du réseau : Lurio au Mozambique, Cape Town en Afrique du Sud, Perth en Australie, Chandigarh en Inde ainsi que  trois écoles invitées : Bruxelles, Bordeaux et Montpellier.

 

Cette réunion fut le cadre de la signature d'un protocole de partenariat entre l'Université de la Réunion, l’École d'architecture de Montpellier et l'Antenne réunionnaise de l'ENSAM, de telle sorte que cette dernière devienne une Ecole de plein exercice, tournée vers son environnement indianocéanique et adaptée aux échanges internationaux. A cette occasion, sont rappelés les filières traitant des enjeux énergétiques et environnementaux, comme la conception bioclimatique en zone tropicale, ainsi que les partenariats à l'œuvre et à construire en matière d'enseignement et de recherche au niveau des micro-territoires de La Réunion et à l'international.

 

Les Rencontres du patrimoine de Port-Louis

 

Réunir dans la foulée des EPOI les acteurs clés mauriciens autour du patrimoine comme enjeu déterminant du secteur culturel, tel était l'enjeu des deux journées organisées à l'Institut français de Port-Louis en partenariat avec la DAC oI, l'Appravasi Chat, SOS patrimoine en péril, le National Heritage Fund et l'Aventure du sucre et le soutien de l'Institut français, de Beachcomber et de la Standard Bank.

 

Ces tables rondes portaient sur 3 thèmes : patrimoine, moteur d'attractivité touristique ; patrimoine, ville et régénération urbaine ; patrimoine, richesses et métiers. Elles concluaient tout comme les 3e Entretiens du patrimoine, sur la nécessité de renforcer la mise en réseau, la concertation et la coopération entre les acteurs de la zone Océan Indien, la nécessaire sensibilisation et implication du secteur privé, la consultation participative des habitants, la mise en place de formations sur la zone Océan Indien et la mutualisation de partages d'expériences.

 

Les 4e Entretiens du patrimoine devraient se dérouler à La Réunion durant l'été austral 2020.

 

Texte et photographies Françoise Kersébet.