Les négatifs retrouvés de la guerre civile espagnole

Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) présente pour la première fois à Paris - après New York (ICP 2010), Arles (Rencontres internationales de Photographie, 2011), Barcelone, Bilbao et Madrid - la légendaire valise mexicaine de Robert Capa contenant des négatifs de la guerre d’Espagne dans une nouvelle scénographie conçue par Patrick Bouchain, du 27 février au 30 juin 2013.

Redécouverte de cette valise. L’annonce officielle en 2008 de la redécouverte de cette valise – constituée en réalité de trois petites boîtes –, dont la trace avait été perdue depuis 1939, a provoqué un engouement considérable dans l’univers du photoreportage et de la recherche historique. Après plus de soixante-dix années de pérégrinations rocambolesques et de péripéties diverses, elle révélait son extraordinaire contenu : 4500 négatifs d’images de la guerre civile espagnole, prises entre 1936 et 1939 par Gerda Taro – compagne de Capa tragiquement disparue en 1937 pendant la bataille de Brunete –, David Seymour, dit Chim et Robert Capa. On y trouve également des clichés du photographe et ami Fred Stein, représentant Taro, des images qui sont devenues, depuis la mort de celle-ci, intimement liées aux images de la guerre elle-même. Une manne de documents en très bon état de conservation, et pour une large part totalement inédits, déployant le panorama détaillé d’un conflit qui a changé le cours de l’histoire européenne.

New York, janvier 2008

Fred Stein. Gerda Taro et Robert Capa sur la terrasse du café Le Dôme à Montparnasse. Paris, début 1936 © Estate of Fred Stein - International Center of Photography

C’était comme un film – mes yeux parcouraient une image après l’autre tandis que je déroulais les négatifs des célèbres photographies de Capa, Chim et Taro : le camion en feu à Brunete, les soldats qui chargent à La Granjuela, une Basque en train de pêcher et une messe en plein air avant la bataille, les cadavres à Teruel, les exilés républicains dans les camps de concentration français. Même en négatif noir et blanc, les histoires de la guerre civile espagnole reprenaient vie dans ces longs rouleaux de pellicule, exactement comme les photographes les avaient découvertes. C’étaient les négatifs originaux qui étaient restés perdus durant près de soixante-dix ans, perdu dans la panique quand on avait fui Vichy, en France. Mais qu’allaient nous dire ces négatifs et que contenaient-ils au juste ?

Cynthia Young commissaire de l’exposition The Mexican Suitcase: Rediscovered Spanish Civil War Negatives by Capa, Chim, and Taro, ICP, New York, 2011

Un exceptionnel intérêt documentaire. Ces films et clichés racontent aussi l’histoire de trois célèbres photographes juifs, totalement investis dans la cause républicaine, qui, au prix de risques considérables, ont jeté les bases de la photographie de guerre actuelle et donné ses lettres de noblesse au photoreportage engagé. Portraits, scènes de combat, images rappelant les effets terribles de la guerre sur les civils : si certaines de ces oeuvres nous sont déjà familières grâce à des tirages d’époque ou des reproductions, les négatifs de la valise mexicaine, présentés ici sous la forme de planches-contact agrandies, dévoilent pour la première fois l’ordre de la prise de vue, ainsi que certaines images totalement inédites.

Publiée chez Actes Sud. l’édition en deux volumes de La Valise mexicaine – sous la direction de Cynthia Young, ICP, New York – présente l’intégralité des films miraculeusement retrouvés, ainsi que des documents d’époque, des textes et des analyses critiques rédigés par les meilleurs spécialistes.

Robert Capa

Robert Capa. Exilés républicains emmenés vers un camp d’internement Le Barcarès, 1939 © International Center of Photography-Magnum Photos

L’exposition en 32 tableaux. L’exposition est rythmée par 32 sections offrant un véritable panorama de la guerre civile espagnole. Elle s’ouvre sur les boîtes de la « valise » et sur deux des carnets de contacts créés par Capa, Taro et Chim durant la guerre civile espagnole. Ces derniers montrent toute l’étendue des sujets couverts par les trois photographes. Ils étaient employés notamment dans un but promotionnel à destination des directeurs artistiques. Ils constituèrent également un instrument de travail précieux en contribuant à confirmer l’identification des films de la Valise et à rétablir la séquence originale des films mélangés. Huit de ces carnets sont conservés aux Archives nationales de Paris ; un autre se trouve dans les archives de l’ICP.

Gerda Taro

Gerda Taro. Spectateurs de la procession funéraire du Général Lukacs Valence, 16 juin 1937 © International Center of Photography

Les années parisiennes de Capa. En point d’orgue, à mi-chemin du parcours seront évoquées les années parisiennes de Capa à travers quelques objets retrouvés au début des années 1980 dans un grenier du 37 rue Froidevaux – adresse à laquelle Capa séjourna pendant cinq ans –, ainsi que des photos de Fred Stein représentant Robert Capa et Gerda Taro à Paris.

Chim (David Seymour)

Chim (David Seymour). Femme avec un bébé écoutant un discours politique près de Badajoz, mai 1936 © Estate of David Seymour-Magnum Photos

  • Robert Capa (Budapest, 1913 – Thai Binh, Indochine, 1954). Né Andre Friedmann, Robert Capa est l’un des plus célèbres photojournalistes du XXe siècle. Il quitte la Hongrie et sa famille, des tailleurs juifs de Budapest, à l’âge de dix-sept ans, pour cause d’activités gauchistes, et se réfugie à Berlin. Il s’inscrit à la Hochschule für Politik et étudie le journalisme. Sans ressources ni profession, et avec peu de connaissances en allemand, il se tourne vers l’appareil photo pour gagner sa vie. En 1933, il s’installe à Paris, où il rencontre Chim, Stein et Taro. Il se fait rapidement connaître par ses photographies de la guerre d’Espagne, caractérisées par une proximité viscérale avec l’action, rarement vue auparavant. Au fil des pellicules retrouvées dans la valise mexicaine, on peut observer Capa se déplacer avec ses sujets, courir après l’action, essayer de comprendre et de ressentir les événements de la même manière que ses sujets. En 1947 Robert Capa fonde l’agence Magnum Photos avec Henri Cartier- Bresson, Georges Rodger et Chim (David Seymour).
  • Gerda Taro (Stuttgart, 1910 – Brunete, Espagne, 1937). Ce fut l’une des premières femmes photojournalistes reconnues. Née Gerta Pohorylle, élevée à Leipzig dans une famille juive de classe moyenne, elle choisit de s’exiler à Paris en 1933, où elle rencontre « André » Friedmann et se lance dans la photographie. Au printemps 1936, ils se réinventent pour devenir Robert Capa et Gerda Taro. En août de la même année, ils partent pour l’Espagne en tant que photographes indépendants dans le but de documenter la cause républicaine pour la presse française. Pionnière du photojournalisme, elle consacre sa courte carrière presque exclusivement à la photographie dramatique des lignes de front de la guerre d’Espagne. Son style se rapproche de celui de Capa, mais diffère par son intérêt pour les compositions formelles et le degré d’intensité avec lequel elle photographie des sujets morbides. Taro travaille aux côtés de Capa, avec lequel elle collabore de près. Lors d’un reportage sur la bataille de Brunete, conflit décisif de la guerre d’Espagne, elle est mortellement blessée par un char. Taro fut la première femme photographe tuée lors d’un reportage de guerre.
  • Chim (Varsovie, 1911 – Suez, 1956). De son vrai nom Dawid Szymin, grandit dans une famille d’intellectuels et d’éditeurs de livres en hébreu et en yiddish. En 1933, après avoir étudié les arts graphiques à Leipzig, il s’oriente vers la photographie pour gagner sa vie en poursuivant ses études à la Sorbonne. Bientôt reconnu pour ses photographies fortes des événements politiques liés au Front populaire, il collabore régulièrement avec le magazine communiste français Regards. Comme Capa, il couvre la totalité de la guerre d’Espagne. Mais contrairement à Capa et à Taro, qui cherchaient à faire des prises de vue sur la ligne de front, la grande force de Chim est de s’intéresser aux individus en dehors du conflit, qu’il s’agisse de portraits officiels de personnages importants, d’images de soldats sur le front intérieur ou de paysans au travail dans des petites villes. À l’écoute de la politique complexe de la guerre, ses images sont chargées de sens et de nuances. Il est avec Robert Capa l’un des quatre fondateurs de l’agence Magnum Photos en 1947.

(L’exposition sera accompagnée d’une large programmation dans l’auditorium et d’un album coédité avec Télérama (68 pages, 10 € 90)).