Cher Jean Tirole,

Mesdames et messieurs nos partenaires,

Chers amis,

Je suis très heureuse de signer aujourd’hui cette convention qui engage mon Ministère avec la Chaire Jean-Jacques Laffont pour les trois prochaines années.

Depuis que nous l’avons installée ensemble, en février dernier, cher Jean Tirole, vous avez déjà commencé à travailler. En mai, c’est à Bruxelles que vous avez organisé un colloque sur l’audiovisuel et le marché unique du numérique. En juin, c’est au Musée du Quai Branly que vous avez consacré un séminaire international aux enjeux culturels et sociétaux du numérique.

Et vous le savez, j’attends beaucoup de vos travaux.

J’en attends beaucoup – nous en attendons beaucoup – car la mutation numérique rebat les cartes avec une telle profondeur qu’il nous faut pouvoir la saisir sous tous ses aspects, et dans toutes ses dimensions.

Pour en tirer le meilleur comme en saisir les limites, pour nous y adapter ou y répondre, en un mot pour agir, nous avons besoin d’en comprendre le mécanisme.

C’est là qu’intervient la recherche fondamentale. Pour mon Ministère, travailler avec des chercheurs est, si j’ose dire, une riche habitude et nous en éprouvons une fierté collective. Nos conservateurs font de la recherche. Les équipes qui se consacrent à la création, au patrimoine, à l’accès de tous à la culture ne cessent de faire de la recherche.

Mes services peuvent s’enorgueillir d’avoir depuis longtemps un département d’études, de prospectives et de statistiques reconnu pour la qualité de ses travaux. C’est grâce à lui que nous pouvons suivre, régulièrement, les évolutions des pratiques culturelles des Français. Il a d’ailleurs très précisément analysé les conséquences du numérique sur la vie culturelle de nos concitoyens, et j’invite d’ailleurs expressément tous ceux qui ne l’ont pas encore fait à lire l’excellent ouvrage de Sylvie Octobre, Deux pouces et des neurones, que le Ministère a publié l’an passé.

Ses recherches ont éclairé la prise de décision de mes prédécesseurs, comme ils éclairent aujourd’hui les miennes. C’est donc tout naturellement que notre convention prévoie que le DEPS – dont je salue le nouveau directeur, Loup Wolff – préside un comité de recherche et de prospective qui fera le lien avec la Chaire.

Il rassemblera des membres de mes équipes, le CNC, le CNL, des établissements publics comme le Louvre, la BNF, l’INA, la Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais ou, les entreprises de l’audiovisuel public.

Je remercie tout spécialement Philippe Chantepie qui a dialogué ces derniers mois avec nos établissements publics et les membres de la TSE, afin de trouver les synergies et d’associer tout le ministère à cette démarche de recherche et de prospective. Grâce à ce travail, la convention que nous avons signée trace avec précision les problématiques de recherche qui seront le plus en écho avec les préoccupations du Ministère de la culture.

Ce n’est donc pas dans les relations toujours plus étroites que nous entretenons avec la recherche que réside la nouveauté. La nouveauté réside dans le fait que j’ai fait le choix d’aborder de front le volet économique de la mutation numérique, au sein du Ministère de la culture et de la communication. Disons-le tout net : on me l’a parfois reproché. On y a vu quelque chose d’iconoclaste. C’est pourtant tout l’inverse.

C’est parce que je veux préserver la vitalité du tissu artistique français et la possibilité de son renouvellement,

C’est parce que je suis profondément attachée à la diversité de la création,

C’est parce que je crois qu’un algorithme froid et automatique ne vaudra jamais l’accompagnement, l’éveil, la découverte, l’inattendu, qui naît d’une rencontre avec un libraire, un médiateur, un bibliothécaire, un artiste en relation directe avec ses publics,

C’est parce que je crois enfin que le numérique est une opportunité extraordinaire pour les artistes de trouver leur public et de mieux diffuser leurs œuvres, que je veux aborder de front les enjeux économiques du numérique.

Si nous ne sommes pas en mesure de mieux les comprendre et de mieux saisir ces impacts, en particulier sur la chaîne de valeur, alors nous laisserons d’autres les penser et les organiser à notre place, je pense notamment à ces quelques géants du numérique. Je sais que les entreprises, qui sont partenaires de la chaire, partagent une part de ces préoccupations.

La qualité des travaux que pourront produire les équipes réunies autour de Jean Tirole et de l’Ecole d’Economie de Toulouse nous donneront donc matière à nourrir nos décisions, publiques et privées, à agir pour les uns, à réguler efficacement pour les autres, là où c’est nécessaire. La force de ces travaux résidera aussi dans leur dimension transdisciplinaire, puisque économistes, sociologues et juristes pourront être invités à réfléchir ensemble à ces enjeux. C’est ainsi, telle est ma conviction, que nous pourrons mieux percevoir la mutation numérique dans toutes ses dimensions.

Je n’évoquerai pas ce soir l’ensemble des problématiques que j’ai soumises à la chaire. Vous me permettrez néanmoins d’en évoquer deux en particulier.

Je veux d’abord parler des plateformes, qui sont devenues en l’espace de quelques années des acteurs essentiels des industries culturelles. Je suis engagée, vous le savez, à soutenir le développement de l’offre légale, qu’il s’agisse de la musique en ligne, de la vidéo à la demande, ou du livre numérique et à faire en sorte que nos concitoyens aient accès à une offre diversifiée en ligne. Je suis aussi déterminée à lutter contre l’offre illégale. Je suis enfin déterminée à agir en faveur d’une répartition équitable de la chaîne de valeur. Nous avons déjà commencé à agir en ce sens, en France, au niveau européen, où nous sommes engagés dans une discussion sur la réforme des droits d’auteurs – j’étais d’ailleurs à Bruxelles hier matin pour approfondir ces questions.

Au niveau mondial, nous avons aussi commencé à travailler avec nos partenaires, pour que la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée à l’UNESCO il y a dix ans, puisse s’appliquer aussi au marché numérique – je l’évoquais encore ce matin même.

Pour que nous puissions agir au mieux, et convaincre nos partenaires, nous avons besoin de mieux saisir l’évolution des dynamiques concurrentielles, les modèles économiques des plateformes et les modèles économiques des industries de contenus numérisés sous forme d’accès illimité. Ces axes de travail seront au cœur de la recherche de la chaire. Je souhaite que vos travaux nous aident à convaincre nos partenaires européens de notre intérêt commun à mieux réguler l’activité des plateformes, dans le cadre du marché unique numérique.

Je veux ensuite évoquer l’enjeu des données publiques culturelles et de leur valorisation. Pour tous nos établissements publics, c’est aujourd’hui un enjeu essentiel, tant pour mieux connaître leurs publics que pour en atteindre de nouveaux. Cet enjeu recouvre aussi toutes les problématiques qui sont liées à la billettique et à la valorisation de ces données par les intermédiaires qui vendent des entrées pour le compte de nos grands musées ou de nos théâtres par exemple. Vos travaux doivent nous permettre de mieux comprendre comment agissent les acteurs culturels, pour que nous puissions accompagner nos établissements publics, afin qu’ils puissent à leur tour en faire le meilleur usage.

Mes chers amis, la recherche est pour nous un bien précieux, parce qu’elle nous aide à mieux cerner les mutations en cours et à les anticiper. Même si elle vient nourrir notre action, c’est d’abord cette liberté, cette objectivité qui caractérise la recherche fondamentale qui nous importe collectivement. Car c’est elle qui nous permettra de prendre les bonnes décisions et de faire les bons choix pour l’avenir. Merci encore à Jean Tirole d’avoir accepté d’en prendre la tête. Merci à tous les sponsors de l’accompagner avec nous. Le numérique nous ouvre des portes, il est une chance pour la culture. A nous d’en tirer le meilleur.

Je vous remercie.