Mesdames et Messieurs, chers amis,

 

Un grand merci à tous d’être venus débattre aujourd’hui de la place de la diversité dans nos médias. La qualité des échanges, la force de proposition des uns et des autres me laisse penser que nous avons une marge de manœuvre importante pour opérer des changements concrets. Il est du reste amusant qu’à l’heure où nous parlons diversité, les « Républicains » se réunissent pour la première fois pour discuter…de l’Islam. Drôle de concordance des temps…

 

La diversité est une idée qui m’est chère depuis longtemps, une idée pour laquelle je me suis battu depuis longtemps, au sein notamment du Club 21ème siècle. Certains ont même voulu faire de moi un symbole de la diversité, ce que j’ai toujours refusé d’être. Si je me suis engagé dans ce combat, ce n’est pas en raison d’une quelconque origine, mais par conviction, en femme de gauche. Comment accepter que l’égalité des chances demeure un mot, que la discrimination empêche certains français de réussir en fonction de leur origine ?

 

C’est en enfant de la République que j’ai toujours souhaité m’engager dans ce combat, et la république, comme vous le savez, ne choisit pas ses enfants. Si la France ignore la couleur de peau ou les religions, ce n’est pas, bien sûr, par amour d’un individu abstrait qui lui ferait oublier les individus réels. Si la France croit en l’universel, c’est parce qu’elle se refuse à classer les êtres : notre conception de la démocratie n’assigne pas plus à identité qu’elle n’assigne à résidence. Ma conception de la République, c’est qu’elle condamne simultanément la réduction de l’individu à une essence, et l’idée terrifiante d’une humanité uniforme.

 

Dans nos existences, l’uniformité est un cauchemar, peut être même un drame. C’est d’ailleurs il y a exactement neuf siècle, en 1215 exactement, lors du 4ème Concile de Latran, que l’occident chrétien s’est pensé comme un monde clos, devenant un système voué à exclure les différents, qu’ils soient Juifs ou musulmans, on parlait alors de Sarrazins, qu’ils soient homosexuels ou femmes considérées comme sorcières.

Depuis le XIII e siècle, le christianisme a évolué bien sur. Certes, aujourd’hui, on ne parle plus de pouvoirs maléfiques, mais la différence semble, au mieux, tolérée, et elle encore trop souvent stigmatisée. Malgré les drames, malgré le tragique de l’histoire qui parcourt le XX e siècle, et qui perdure, hélas, en notre début de XXI e siècle, l’Autre demeure une catégorie en soi, et un objet d’exclusion.

Bien sûr, ce qui s’est produit en janvier dernier dans notre pays est une manière de nous rappeler que la différence n’est toujours pas une évidence. Les barbares, ce sont ceux qui veulent vivre sans inconnu devant eux. Ils ont la conviction illusoire qu’un monde uniforme peut exister, et que ce monde serait synonyme de pureté. Du « bois tordu de l’humanité » comme le disait Kant, ils veulent faire quelque chose de droit, d’orthogonal, de conforme et de prévisible. J’ai dit « barbares », mais il faut que chacun sonde en lui la propension au repli. Car, bien sûr, vivre autrement, penser autrement, cela ne va pas toujours de soi. Voilà pourquoi nous avons collectivement un défi à relever : faire en sorte d’assumer enfin les rapports à l’autre homme.

Vous me direz qu’aucun discours ne peut convertir l’humanité à la fraternité et à l’égalité. Qu’un propos égalitariste ne changera rien à une situation sociale. Mais la parole politique elle-même porte une responsabilité envers l’état de la société,  son état d’esprit, comme l’état du lien social.

 

Chers amis, il nous faut imposer la diversité contre les prêcheurs de haine. La rappeler sans relâche, sans lassitude, sans faiblesse, contre l’intolérance ordinaire aussi, qui est moins spectaculaire, mais infiniment plus fréquente. Si je crois à la responsabilité du langage, c’est parce que la bataille à mener est une bataille mentale, une bataille d’idées et de convictions. Bien sûr, des décisions politiques, des réformes, des actes doivent aussi accompagner ce discours, mais il porte en lui les fondements mêmes du possible changement.

 

A ce titre je dois dire que les échanges qui viennent d’avoir lieu nourriront ma réflexion politique et ma volonté d’action.

 

La question de la diversité qui nous occupe aujourd’hui, question qui est si centrale pour notre République, est avant tout une chose mentale. La bataille à mener est une bataille des représentations, c’est une question « médiatique » comme le dit ce mot qui souvent nous abuse. Car les médias sont au cœur de la construction sociale de la réalité : changer les représentations, c’est en réalité changer le monde. Voilà pourquoi nous ne devons pas abdiquer notre pouvoir, et nos responsabilités, vous, moi, qui incarnons ici des pouvoirs, le pouvoir politique, le pouvoir intellectuel, et non le moindre, celui de la presse et des médias.

 

Aujourd’hui, chacun de ces pouvoirs a un rôle défini, mais nous avons tous nos raisons d’œuvrer pour la diversité. Le politique doit jouer pleinement son rôle, car le but ultime du politique, c’est l’égalité des droits et des chances. Le pouvoir intellectuel a pour but de penser le monde, de le décrypter, quant au pouvoir des médias, il doit viser à informer le monde mais aussi à lui faire prendre forme.

 

Le premier devoir des médias, c’est de faire correspondre le monde dans lequel on vit et le monde tel qu’ils nous le donnent à voir. Je suis convaincue que la confiance que les citoyens refusent parfois aux médias tient beaucoup à la différence qu’ils distinguent entre la société dans laquelle ils vivent et l’image qui en est donnée. Que seraient des médias qui ne montreraient pas la formidable diversité d’une société dont ils ont pourtant la charge quotidienne de rendre compte ? Ceux qui nous permettent de nous représenter le monde, et donc d’agir sur lui, doivent être les premiers conscients de la responsabilité qui est la leur. Le grand sociologue Max Weber distinguait l’éthique de conviction de l’éthique de responsabilité. L’éthique de conviction c’est celle qui parle à notre sens moral, l’éthique de responsabilité c’est elle qui parle à notre sens des responsabilités. Eh bien aujourd’hui, incarner la diversité dans les médias c’est pour vous médias, cela pourrait être tenté de satisfaire notre éthique de responsabilité pour accompagner les évolutions du monde. 

 

Alors bien sûr, vous le savez vous qui vous confrontez à cet enjeu au quotidien : représenter la diversité, l’introduire sur nos écrans et dans nos entreprises de l’audiovisuel, est d’autant plus difficile nous n’avons pas la possibilité de la définir, pas plus que nous pouvons la quantifier et ainsi mesurer les actions et les engagements de chacun en matière de représentativité. De récentes polémiques ont contribué à très largement obscurcir le débat. D’ailleurs dans les statistiques ethniques, il y a bien souvent deux mensonges juxtaposés. Les statistiques se présentent souvent comme des morceaux de la réalité alors qu’elles n’en sont que des représentations : comme on le sait, la carte n’est pas le territoire. En outre, parler d’ethnie, c’est utiliser un terme bien peu adapté pour évoquer la réalité de la diversité contemporaine. La taxinomie raciale, le classement qu’elle institue, est une escroquerie, et c’est elle qu’il s’agit de condamner.  Ce qui est sur, c’est que le désir de savoir n’est jamais condamnable. Ce qui est condamnable, ce sont les arrière-pensées dans lesquelles certaines opérations pourraient être menées. Oui, définir la diversité c’est la réduire, c’est essentialiser les êtres, et ouvrir une brèche dans l’universalisme républicain. Mais, à la façon de la théologie négative, on peut adresser au portrait de la société une critique, dire « la diversité ce n’est pas ça », « le compte des visages de nos concitoyens  n’y est pas ».

 

Il ne me revient pas de me prononcer sur la meilleure façon de mesurer les discriminations pour y apporter des remèdes. Mais la culture est au cœur de ce qui tient l’unité de cette diversité, comme socle prospectif vers lequel toutes les individualités, tous les citoyens, peuvent se projeter pour œuvrer à un projet commun, se référer à une promesse républicaine offerte au désir et au respect de tous.

 

Nous avons déjà eu l’occasion d’en discuter ensemble aux lendemains des terribles événements de janvier : il faut nous mobiliser pour ouvrir plus grand les portes de la République à tous ceux qui peinent à se reconnaître dans ses valeurs. Nous devons faire de la culture un lieu commun et non pas une source de ressentiment ou le miroir d’une aliénation.

 

On rapproche souvent la notion de diversité des questions de citoyenneté et d’identité : certains pour inventer le ministère d’une identité nationale essentialiste et rance, d’autres pour rappeler très justement que l’identité, c’est être soi mais c’est surtout se savoir soi. Et pour se savoir soi, il faut pouvoir se reconnaître dans la société telle qu’elle nous est représentée. C’est pour cela que la représentation de la diversité est au cœur de la citoyenneté républicaine.

 

Car il s’agit bien de République : certains diront, à tort, que nous cédons aux sirènes du multiculturalisme et nous accuseront de libéralisme culturel à l’anglo-saxonne. A ceux-là, je veux dire avec fermeté qu’il n’est pas question de sacrifier l’égalité sur l’autel de la diversité. 

 

Ne nous méprenons pas sur le sens de notre rencontre aujourd’hui : donner à voir la riche diversité de notre société, ce n’est pas faire prévaloir le règne de la différence sur celui de l’égalité. Au contraire, c’est se placer du côté de ceux dont le droit à l’information est en jeu : pour eux, la diversité dans les médias, c’est la possibilité de se reconnaître au même titre que tous les autres. J’avais déjà évoqué cet effet-miroir si essentiel à la relation entre le spectateur, le lecteur et le journaliste ou le présentateur télé. C’est cette possibilité de se projeter qui permet, notamment au plus jeunes, d’avoir confiance dans l’information de qualité de nos médias républicains. Cela ne signifie pas mimer le monde, mais ouvrir des vecteurs d’identification, qui permettront à chacun de se défaire de n’être que soi, pour devenir capable de se mettre à la place de l’autre. Il y a là le fondement d’une démocratie plus juste, plus solide, comme le pense le philosophe Jacques Rancière lorsqu’il évoque la possibilité que chacun puisse faire le détour par l’autre pour donner à entendre sa voix dans le Logos démocratique.

 

La diversité sur tous nos écrans, ce n’est pas tant la culture de la différence qu’un instrument d’égalité et de justice sociale pour tous les téléspectateurs. 

 

La diversité sur tous nos écrans, c’est renouer avec ce que Fernand Braudel qualifiait de singularité française, le fait que « la France se nomme diversité ».

 

La diversité sur tous nos écrans, c’est le possible roman d’une France plurielle, d’un « nous » républicain – et j’entends par là une forme d’universalisme, loin des confiscations partisanes.

 

Ricœur, rappelait à travers la notion d’identité narrative, que l’on devient soi-même grâce à l’histoire que l’on se raconte et celle qui nous est racontée. Des

histoires dont les médias doivent être les dépositaires.  Non pas des story-telling prêts à se répandre, mais des récits tissés de cette intelligence complexe qui est au fondement de la littérature et de l’Histoire. Une intelligence de la dépossession de soi, qui fait qu’on peut se dire « oui, je me reconnais bien là » au moment même où l’on se projette dans un autre. C’est cette intelligence qui fait qu’on peut se défaire de ses préjugés et de ses carcans hérités ou subis pour connaître la libération d’un sujet enfin advenu comme sujet maître de ses pensées et inscrit enfin pleinement dans le lien avec les autres.

 

Mes amis, beaucoup d’efforts demeurent à faire. Mais sur cette question, celle de la diversité, notre volonté est grande, nous saurons être au rendez vous.

 

Je vous remercie.