Monsieur le directeur de L’Humanité, cher Patrick LE HYARIC,

Monsieur le président de l’Association de la presse d’information politique et générale, cher Georges SANEROT,

Monsieur le président du Syndicat de la presse quotidienne nationale, cher Francis MOREL,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Je suis ravie d’être ici aujourd’hui. Merci à Patrick LE HYARIC pour cette invitation.  Merci de perpétuer cette tradition : d’offrir à l’Etat et aux professionnels ce terrain supplémentaire de dialogue – il n’y en aura jamais trop. Et merci, plus largement, pour le travail que vous faites, pour que cette Fête de l’Humanité vive année après année ; et surtout qu’elle vive dans son esprit d’origine, malgré les impératifs que l’on sait.

Vous nous rappelez ici que votre secteur ne sera jamais dépendant que d’une chose : c’est l’indépendance.  Je veux commencer par-là, parce que là commence tout le reste.

Et comme il est bon de revenir parfois à l’essentiel, je rappellerai ici les mots de Victor HUGO, prononcés à l’Assemblée nationale, en 1850, sur la liberté de la presse. Il expliquait qu’elle était l’une des « trois vérités fondamentales » qui sont « la base de toute démocratie, et en particulier de la grande démocratie française ».  Il en scellait ainsi sa « solidarité essentielle » avec les deux autres vérités : la souveraineté du peuple, le suffrage universel. Et il mettait en garde, rappelant que cette solidarité pouvait partout être attaquée, « même sous le mot République ».

Cette mise en garde vaut toujours aujourd’hui.

Une liberté n’est jamais acquise : elle est continument conquise. Nous veillerons à celle de la presse. Sans faiblir. C’est la philosophie des aides au pluralisme : elles seront préservées dans le budget 2018. Et c’est bien sûr le devoir de protection que nous avons vis-à-vis de nos journalistes – qui sont la racine de tout.

Je souhaite que l’on poursuive la réflexion lancée par la récente loi BLOCHE, pour renforcer la protection du secret de leurs sources.  Et nous sommes là, évidemment, pour assurer la protection de leur personne : en France – je n’ai pas besoin de le dire. Et à l’étranger. Je veux avoir ici un mot pour Loup BUREAU, qui est détenu en Turquie depuis le 26 juillet. Le Président de la République est pleinement mobilisé pour obtenir sa libération. Avec Jean-Yves LE DRIAN qui est en ce moment même en Turquie, et qui évoquera ce sujet avec son homologue.

Comptez sur moi pour faire systématiquement entendre la voix du ministère de la Culture : pour tous les journalistes, les auteurs, les créateurs qui sont inquiétés, parce qu’ils font entendre la leur.  Je pense en ce moment à Asli ERDOGAN ; et au metteur en scène russe Kirill SEREBRENNIKOV : j’aurai un échange samedi avec mon homologue russe à ce sujet.

Ce n’est pas, pour moi, un combat nouveau… Et si vous le permettez, je voudrais vous dire un mot de ma « vie d’avant ».

Parce que je crois y avoir rencontré des enjeux, et cultivé des convictions, qui ne sont pas si éloignés des vôtres, dans la presse, aujourd’hui. Pendant 40 ans, et jusqu’en mai dernier, j’étais moi aussi dans l’édition : celle des livres, certes. Mais c’est la dimension éditoriale qui importe dans ce que je veux dire ici. Au fil de ces 40 années, j’ai vu la nature de mon métier changer, à mesure que le numérique progressait : avec l’émergence de nouveaux concurrents, de nouvelles préférences pour les lecteurs.  Mais ce que j’ai pu observer de près – de plus préoccupant, de plus profond que ces changements de nature – c’est la fragilisation de notre cœur de métier : de la valeur même de l’édition.

La fragilisation de sa « valeur » au sens économique. Je pense ici aux questions posées par la banalisation de la gratuité, qui peut faire oublier cette réalité simple : la production de l’information a un coût ; elle doit donc avoir un prix. Et surtout sa « valeur » au sens culturel et politique. Vous êtes les gardiens du pluralisme, et donc du débat d’idées. Vous êtes « le verbe » de la démocratie, pour citer encore HUGO.

Cette valeur est fragilisée par la surabondance et la disparité des contenus : l’information étant produite et véhiculée par des personnes dont ce n’est pas le métier, les citoyens perdent leurs repères. Tout ceci met en risque le pluralisme et la fiabilité de l’information. C’est un risque démocratique.

Et c’est ce qui justifie l’intervention des pouvoirs publics.

Dans cette période de grande transition, nous ne sommes pas seulement là pour vous soutenir au présent. Nous devons surtout préparer les conditions de votre avenir.

Nous devons le faire dans un contexte budgétaire très contraint, vous le savez. Ce Gouvernement a trouvé en arrivant une situation financière très dégradée : la Cour des Comptes l’a établi de façon incontestable. C’est pourquoi nous nous sommes engagés, en responsabilité, dans une politique de redressement des comptes publics. Et c’est pourquoi des efforts sont demandés à tous les secteurs de l’action publique.

Mais le message que j’aurai aujourd’hui est simple. Votre meilleure protection, sur le long terme, c’est la valeur que vous créez en éditant, en vérifiant les sources, en traitant l’information, en l’acheminant vers le citoyen. La meilleure façon que nous avons de vous soutenir, c’est de vous donner – durablement – les conditions de faire votre métier, et de le faire valoir.

Cela passe par des moyens financiers, mais pas seulement. J’estime que nous avons une triple responsabilité. D’abord, garantir la protection de la valeur que vous créez, par la régulation. Ensuite, en soutenir le dynamisme, par l’innovation. Enfin, y sensibiliser les citoyens, par l’éducation.

Protéger, innover, éduquer : voilà le triptyque qui guidera mon action.

Protéger la valeur créée, c’est la mère des batailles. Et c’est une bataille qui se mène au niveau européen, par la régulation.

La vraie sphère de protection, à moyen terme, est là : c’est l’Europe. Ce sont les réglementations communes que nous parviendrons à faire valoir, collectivement, face aux géants mondiaux. Notamment pour assurer les conditions d’une concurrence saine et équitable. Et notamment, c’est essentiel : sur le plan fiscal. Tous les acteurs doivent être traités de la même manière.

Plusieurs textes sont actuellement en discussion, et ces discussions sont difficiles. Vous le savez.  Mais les changements qu’ils peuvent apporter sont majeurs.  Et je vais énormément me mobiliser sur ce terrain : je veux vraiment vous le dire. Je vais aller régulièrement à Bruxelles, pour discuter avec les commissaires, les parlementaires, les différentes organisations.  J’ai au moins 3 déplacements prévus dans les prochaines semaines. Et je suis en contact permanent avec la Présidence estonienne.

Pour moi, les négociations européennes sont une priorité.

Je voudrais d’ailleurs dire un mot de deux grands dossiers. La reconnaissance d’un droit voisin pour les organismes de presse, d’abord. C’est une question de cohérence. Comme nous le défendons pour les auteurs, nous défendons pour les éditeurs et les agences de presse une garantie de rémunération à chaque fois que leur travail est repris. C’est le principe du droit voisin. Et sa reconnaissance au niveau européen est en bonne voie.

La France a réussi à le faire inscrire dans le texte proposé par la Commission européenne, en septembre 2016, dans le cadre de la directive « Droit d’auteur ». Nous avons donc gagné cette bataille, mais nous n’avons pas gagné la guerre : un certain nombre de pays reste à convaincre, ainsi que les parlementaires européens.  Je vais me mobiliser pour mener ce travail.

Protéger la valeur que vous créez, c’est ensuite empêcher une concurrence inéquitable de la fragiliser. Et c’est l’objet d’un deuxième grand dossier européen : le projet de règlement « e-privacy ».  Il prévoit d’encadrer davantage l’utilisation de cookies sur vos sites – c’est-à-dire de « traceurs » de données – au nom de la protection des utilisateurs. Nous allons défendre un assouplissement. Il peut sembler paradoxal, pour un Etat de droit, d’aller contre ce texte.

Mais en vous empêchant de recueillir des données sur les habitudes de vos lecteurs – grâce aux cookies ¬–, on vous empêche de bénéficier des revenus de publicités ciblées. On fragilise votre modèle économique. On fragilise votre avenir. C’est évidemment une menace pour le pluralisme.

Car de leur côté, les géants de l’internet – qui sont devenus des grands médias – sauront recueillir des données par d’autres moyens. Donc se financer par de la publicité. Ce qui veut dire que ce règlement, qui se veut au service des citoyens, les dessert indirectement, in fine. Il ne sert qu’à  renforcer la position dominante d’une poignée d’acteurs.

Ce message doit être martelé vigoureusement. 

Le ministère de la culture a réussi à faire valoir cette position. La France pourra donc porter ce message à Bruxelles, et proposer d’amender le texte en ce sens. Mais nous aurons aussi besoin de vous, pour porter ces positions auprès de vos interlocuteurs au niveau européen.  J’en appelle à votre mobilisation chaque jour, chaque semaine sur ce sujet : auprès de la Commission, auprès des Etats membres, auprès des parlementaires, dans les débats publics… dans les colonnes de presse. Il faut transformer le débat sur l’e-privacy en débat sur la sauvegarde du pluralisme. Nous serons là pour vous épauler.

Nous portons ensuite une seconde responsabilité, celle de soutenir l’innovation. Dans un environnement de grande transformation technologique et économique, l’Etat doit vous accompagner dans la transition – comme il le fait ailleurs, je pense par exemple à l’industrie. Et nous devons le faire sur l’ensemble de la chaîne : les éditeurs de presse, mais aussi les agences en amont, et le réseau de distribution en aval.

Pour les éditeurs de presse, l’innovation, c’est d’abord le numérique. La transformation doit se poursuivre. Et nous continuerons de l’accompagner, avec des soutiens financiers. Je pense au Fonds stratégique pour le développement de la presse, dont le taux de subvention a été relevé.

Soutenir l’innovation, dans votre secteur, c’est aussi soutenir l’émergence de nouveaux médias. C’est l’objet du Fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation. Il a été mis en place l’an dernier, et il monte en puissance. Une quarantaine de bourses ont pu être attribuées à des entreprises émergentes, emblématiques du bouillonnement de votre secteur. Et dix programmes d’incubation, inscrits dans des territoires variés, ont pu être soutenus. Chacune de ces aides permet de soutenir des écosystèmes entiers.

Nous allons aussi accompagner l’innovation en amont : je pense tout particulièrement à l’Agence France-Presse. Elle a déjà transformé son offre, ce qui lui a permis de conquérir une clientèle internationale – je pense à la BBC. Elle est l’une des trois grandes agences mondiales aujourd’hui. Mais face aux évolutions du marché, il n’y a pas de trêve dans la transformation.  Celle de l’AFP doit se poursuivre, pour aller plus loin dans la valorisation de son travail et de sa marque. Nous accompagnerons l’agence dans ses réflexions.

Et nous accompagnerons aussi la modernisation en aval : sur  toute la filière de distribution, de l’abonnement à la vente au numéro. Concernant les réseaux de portage : le décret sur l’aide au portage est enfin paru hier, après avoir fait l’objet d’échanges nourris avec vous. Il intègre notamment la pérennisation de la clause de sauvegarde attendue par beaucoup d'entre vous ces dernières années. Il faudra néanmoins tenir compte des contraintes budgétaires qui sont fortes, encore une fois.

Sur la vente au numéro et le réseau des messageries de presse, les transformations doivent se poursuivre. Je pense notamment à Presstalis, qui a engagé ce travail, mais qui reste fragilisée par l’évolution du marché. Et je pense plus largement à la situation de l’ensemble de la filière de distribution de la presse par vente au numéro.

Nous devons trouver les pistes qui permettront d’assurer sa pérennité. Comme vous le savez, Bruno LE MAIRE, Gérald DARMANIN et moi-même avons confié une mission de réflexion à Gérard RAMEIX. Nous venons de l’annoncer. Monsieur RAMEIX connaît très bien le secteur et il va faire des propositions pour sécuriser la situation économique des messageries et notamment de Presstalis ; pour réfléchir à l’organisation industrielle de la distribution de la presse et peut-être pour aller plus loin, une réflexion sur le cadre juridique et la régulation.

Il n’y a qu’une façon de garantir un avenir à la presse, c’est de lui permettre de continuer à créer de la valeur en prenant la vague du numérique, en s’adaptant à un contexte en mutation.

Enfin, troisième responsabilité que nous portons pour l’avenir de la presse : l’éducation des publics .

Pour défendre la valeur que vous créez, nous devons en faire la pédagogie et la promotion. La montée des fake news nous en rappelle l’urgence. Nous devons sensibiliser les futurs citoyens à la valeur d’une information sourcée, exigeante, diversifiée. J’en ai fait une priorité, dans le cadre plus large de ma politique pour l’éducation artistique et culturelle.

L’éducation aux médias doit trouver sa place dans le parcours scolaire de tous les enfants. C’est une question sur laquelle nous travaillons main dans la main avec Jean-Michel BLANQUER, ministre de l’Education nationale, qui partage mes convictions sur le sujet.

Le budget de l’éducation artistique et culturelle sera augmenté en 2018, et cette augmentation servira l’éducation aux médias, du texte à l’image. Ce n’est pas une aide directe à la presse. Mais c’est un gage pour son avenir. J’insiste vraiment sur cette idée.

Nous allons par ailleurs promouvoir la lecture de la presse avec notre projet sur les bibliothèques. Erik ORSENNA a débuté la semaine dernière un tour de France, pour encourager les ouvertures en soirée et le dimanche. Pour vos journaux, vos magazines, les bibliothèques sont des espaces de visibilité primordiaux.

Voilà, Mesdames et messieurs,

Les messages que je voulais porter aujourd’hui et si j’ai été un peu longue, je m’en excuse.

Mais les transformations connues par votre secteur soulèvent des questions fondamentales. Des questions qui me sont chères, depuis longtemps. Et qui sont au cœur de ma mission aujourd’hui.

Penser l’avenir de la presse, c’est penser une part de l’avenir de ce pays.

Vous pouvez donc compter sur mon soutien, sur mon écoute, sur ma volonté d’avancer. Je vous remercie.