Monsieur le Président-directeur, cher Jean-Luc Martinez,

Mesdames et Messieurs les présidents d’établissements publics,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

 

Nous émerveiller : c’est l’invitation que vous nous faites, l’invitation qui nous est faite, dans chaque musée de France. En instituant le musée du Louvre, les Révolutionnaires ont voulu qu’il y ait un lieu où les chefs-d’œuvre sortent des collections privées pour que chacun puisse les découvrir et s’en émouvoir. Ils ont voulu que ce musée, le premier musée de France, l’un des premiers musées au monde, recèle des merveilles, pour que chacun s’émerveille. C’était une ambition d’une générosité inouïe. Une ambition universelle. Elle s’appuyait sur une conviction au fond très simple : c’est que chacun a gardé en soi une part de son âme d’enfant.

L’émerveillement, si j’ose dire, est un remède à l’ère du temps. Là où la société s’abîme dans de nouvelles fractures, où elle se tient apeurée devant l’avenir, où elle est tentée par le repli sur soi, et où l’angoisse la paralyse, il est de notre responsabilité – la mienne, la vôtre – de dégager de nouvelles voies pour faire de la place à cet émerveillement. Comme le dit si bien le philosophe Bertrand Vergely, « l’émerveillement est une faculté poétique qui se décide ».

 

Et ce que nous avons décidé, ce que vous avez mis en œuvre, ce sont des conditions propices qui libèrent l’émerveillement. Car telle est la vocation de la Petite Galerie. Je remercie Jean-Luc Martinez de l’avoir voulue et d’avoir tout fait pour qu’elle puisse éclore, et je salue l’action des mécènes qui l’ont rendue possible de façon déterminante.

Beaucoup de nos concitoyens, et beaucoup de visiteurs, se sentent parfois illégitimes dans des lieux de culture. Ils ne savent pas comment s’y prendre, ni par où commencer. Nul besoin d’être un enfant pour cela. Je connais bien des adultes qui sont encore moins à l’aise que leur progéniture. La Petite Galerie offre un temps d’introduction et un lieu apaisé pour qui veut avoir le temps de se familiariser avec les œuvres d’art. Dans un musée où chaque jour vous accueillez l’équivalent d’une ville entière, la Petite Galerie est une bulle, où l’on entre en confiance, où l’on se sent chez soi. Qui le souhaite peut faire le tour de l’œuvre. La place est là. Qui le désir peut même parfois changer l’éclairage, pour changer de regard. C’est une idée formidable. Tout cela, nous le devons en particulier au talent de l’architecte Anne Philipponnat et du graphiste Marcel Perrin. Vous levez là un premier verrou.

Quelqu’un m’a dit un jour qu’un musée apparaissait parfois comme un dictionnaire : il contient les mots, il les met merveilleusement en valeur, mais il ne raconte pas d’histoire. C’est en confrontant les œuvres, en traçant des lignes de sens, en provoquant des rencontres inattendues, que l’on peut tisser le fil d’une histoire. Les expositions temporaires le font très souvent. La Petite Galerie y puise là l’une de ses raisons d’être. Elle le fait avec des œuvres originales, car elle est d’abord la galerie du musée du Louvre, et que rien ne remplace la rencontre avec l’original. Mais elle produit surtout cette confrontation de façon originale.

Oui, placer le masque de Dark Vador à proximité d’une tentation de Saint-Antoine de Pierre Huys et d’une figurine Tanuki a du sens. Car c’est la peinture flamande qui la première a donné à voir des monstres. Dans cette exposition consacrée cette année aux mythes fondateurs, c’est l’occasion pour chacun de découvrir une permanence des motifs, passée à travers le filtre de la subjectivité des artistes.

D’Orphée à Icare, que l’on découvre à travers la statuaire, la photographie, la peinture et l’art contemporain, on comprend qu’une civilisation vit autant à travers des principes qu’à travers des histoires. Et l’on pourra alors découvrir, avec George Lukas, que Vador est un Hercule qui n’a pas été soumis aux travaux, et cherche la rédemption du côté obscur de la force. Cette clarté nouvelle, nous la devons moins à George Lukas qu’à la commissaire de l’exposition Dominique de Font-Réaulx. Vous levez là un deuxième verrou. Je me réjouis de découvrir dans quelques minutes et plus précisément votre travail.

 

L’histoire est désormais écrite, mais il faut des conteurs, des femmes et des hommes qui donnent les clés du sens et lui apportent de la profondeur. C’est le rôle de la médiation culturelle. Elle est très active, elle est très présente au Louvre, grâce aux équipes du développement des publics et de l’éducation artistique que dirige avec beaucoup de talent Frédérique Leseur.

Vous connaissez ma conviction : l’éducation artistique n’est pas uniquement l’œuvre de l’école, qui forme et instruit. C’est aussi l’une des responsabilités d’un musée, la responsabilité des lieux de culture, la responsabilité de mon ministère, même, de rendre possible la découverte des œuvres par le biais du plaisir. C’est pourquoi l’éducation artistique a été inscrite comme objectif majeur des politiques culturelles dans la loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine, que j’ai présentée il y a quelques jours à l’Assemblée nationale.

Cette découverte passe par des ateliers pour enfants ; elle passe aussi par des ouvrages, par des conférences – comme les mercredis de la Petite Galerie, par un site Internet, par des kits mis à disposition gratuitement. Elle passe aussi par de la présence humaine : celle des médiateurs, celle des jeunes étudiants que vous avez associés au dispositif, et par celle des agents d’accueil et de sécurité du Louvre. Une quarantaine d’entre eux ont d’ailleurs été formés spécifiquement pour travailler dans la Petite Galerie.  

Vous vous êtes engagés dans cette voie avec beaucoup de conviction et d’énergie et je vous en remercie. Vous levez là un troisième verrou à l’émerveillement, en particulier à ceux qui n’y ont pas habituellement accès.

C’est parce que je crois en votre talent, en votre travail, en votre pouvoir même en la matière, que j’ai souhaité, pour 2016, consacrer davantage de moyens à l’éducation artistique et culturelle. Ils augmenteront d’un tiers l’an prochain.

Et c’est dans cet esprit que j’ai décidé d’ouvrir - selon des modalités spécifiques - le Louvre, Orsay et Versailles le jour de fermeture, comme le souhaitait le Président de la République, en réservant ce temps supplémentaire aux enfants et aux publics plus éloignés de la culture. Cette disposition nouvelle, qui ne viendra pas perturber la vie de ces musées le jour de fermeture car les activités ce jour-là sont nombreuses et capitales, sera progressivement mise en place dans les mois qui viennent et tout au long de l’année 2016. Et, bien sûr, en concertation avec les établissements.

 

Le musée est un lieu ouvert sur la société. Un lieu où s’ancre et où s’invente aussi le contemporain. Le Louvre a toujours été un lieu de cet ordre. C’est bien parce qu’il a accueilli, en 1847, les premières antiquités orientales, qu’on disait assyriennes et que l’on avait oubliées, que la mode fut alors à la Syrie dans tout Paris.

Aujourd’hui, le Louvre poursuit sur cette voie. Nous avons besoin que les musées soient toujours des lieux d’expérimentation. C’est ce que vous faites aujourd’hui. Vous le faites pour le Louvre, et pour tous les autres musées. La grande réussite de la Petite Galerie, c’est aussi d’y retrouver des œuvres d’autres institutions culturelles, qui y ont été associées : Musée du Quai Branly, le Centre Pompidou, Cinémathèque, Musée national d’archéologie de Saint-Germain-en-Laye, Radio France et France Télévisions, et, outre-Atlantique, le Narrative Museum de Chicago. Je salue ce soir leurs directeurs. La Petite Galerie a aussi vocation à faire venir ces publics, jeunes et moins jeunes, mais curieux et émerveillés, dans vos musées. C’est d’ailleurs le sens de l’opération hors-les murs.

Cette opération dépasse même les frontières des établissements publics, et c’est là non seulement nécessaire, mais primordial. Puisque le musée est ouvert sur la société, il doit continuer - toujours plus - d’aller vers elle, pour qu’il y ait toujours moins de lieux sans culture. J’y travaille. C’est là encore que nous pouvons lever d’autres verrous.

 

Mes chers amis, l’art donne beaucoup. Il donne beaucoup pour découvrir le monde pour s’ouvrir à soi et aux autres, pour inventer l’avenir et pour nous rassembler. L’art fait souffler un vent de liberté. C’est pourquoi la création et les artistes, comme le patrimoine, sont un bien commun pour notre pays. A nous de faire en sorte que tout ce qui paralyse cette faculté poétique qu’est l’émerveillement soit chaque jour plus réduit. Avec la Petite Galerie, vous y contribuez de façon majeure. Et soyez assurés que je n’ai pas d’autre objectif en tête.

 

Je vous remercie.