Transcription fidèle du prononcé

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

Bonsoir,

Je pourrais me lancer dans le récit de toutes mes premières fois de la rue de Valois… Dans ce ministère qui a ses habitudes, et où vous avez les vôtres, j’ai pris le parti de ne pas me conformer aux codes… Certains d’entre vous l’ont noté.

Aujourd’hui pourtant, je me conforme à cette tradition, à cette cérémonie des vœux, car c’est important de se souhaiter bonne année, surtout lorsqu’on a un combat à mener. Ces premiers mois à votre contact m’ont convaincue. Nous le partageons. Et vous êtes déjà nombreux à l’assumer.

Ensemble, nous serons tellement plus forts. C’est pour cette cause que j’ai accepté de prendre ces responsabilités. De tout plaquer. Paul AUSTER me l’a fait remarquer, la semaine dernière…

Oui. J’ai dit oui pour la France. Pour ceux qui y vivent. Parce qu’elle mérite un combat, notre combat. Le combat contre, ce que je nomme :  La ségrégation culturelle.

De quelle ségrégation parle-t-on ?

De celle qui tient les citoyens, trop de citoyens, tant de citoyens à distance de lieux, d’œuvres, d’événements fréquentés par d’autres. Les barrières économiques, sociales, géographiques n’ont pas cédé. En dépit de ce qui a été fait par ce ministère. En dépit de la décentralisation, du maillage, des politiques tarifaires. En dépit de ce que tant de ce que vous accomplissez. La fracture culturelle de la France est là : entre ceux qui ont accès à tout, et ceux qui sont exclus de beaucoup. La France qui a pleuré Jean d’ORMESSON a pleuré Johnny. Celle qui a pleuré Johnny ne connaissait pas toujours Jean d’ORMESSON.

Qu’est-ce qu’on en déduit ? Que Johnny est une plus grande star ? Une star populaire ?

Non. On en déduit qu’un Académicien, un écrivain, aussi grand soit-il, n’est pas entendu. Ce constat nous met mal à l’aise. Pourquoi ? Parce qu’il donne l’impression que l’on hiérarchise la culture. Que l’on fait une typologie :

  • La culture populaire, la culture élitiste…
  • La culture pour tous, la culture pour chacun…
  • La culture d’Etat, la culture d’intermittence…
  • La culture publique, la culture privée …

« L’Art pour l’art », l’art pour plaire, l’art pour l’Autre …

Voilà autour de quoi on tourne. Depuis trop longtemps.

Dépassons ce malaise, dépassons ce débat. Les Français n’ont pas à choisir. Le secteur culturel n’a pas à choisir. Le ministère n’a pas à choisir. Défendre la culture, c’est défendre toute la culture, dans sa diversité. Je suis là pour ça. Pour la rendre accessible. Et pour permettre à chacun d’y jouer sa part : ne pas en être simplement spectateur, mais acteur.

Cette diversité culturelle, rempart à la ségrégation, vous en êtes les artisans. Elle passe par un service public fort. Par les institutions que vous représentez : je suis là pour vous défendre. La diversité culturelle vit grâce aux structures privées, aux associations, aux projets alternatifs que vous portez… Je suis là pour vous accompagner. La diversité culturelle se nourrit des pratiques amateurs, qui ne cessent de progresser – c’est « la » grande tendance de fond des quarante dernières années. Les pouvoirs publics l’ont insuffisamment prise en compte. Nous allons le faire.

Je veux desserrer l’étreinte. Sortir des cases. Je considère que pour libérer la France de ses clivages, nous devons nous libérer des nôtres. Pour affronter la ségrégation culturelle, je veux donc avancer sans carcan, sans complexe, sans tabou.

Sans tabou, nous allons nous installer à l’école. Sans y être invité, parce qu’on y est légitime. Aujourd’hui, personne ne songerait à remettre en cause la place du sport à l’école. Vous me direz que cela fait quarante ou cinquante ans qu’on vous promet la même chose pour la culture.

Il y a eu les visionnaires : LANG-TASCA. Il y a eu les pionniers : à Lille, à Paris… Des maires qui en ont fait une priorité, une réalité. Cette volonté politique – celle de Bertrand DELANOE, de Martine AUBRY – a changé l’école. A changé des vies. 

Cette volonté politique, je la porte pour la France entière.  Ce ministère est en train de travailler avec l’Education nationale comme jamais.  Ce n’est pas moi qui le dis.

Ce sont nos équipes de la culture, dans ce ministère, qui n’ont pas vu le front bouger pendant des décennies.

Aujourd’hui ils y croient. Aujourd’hui ils le font. Aujourd’hui ils gagnent Une chorale dans chaque école et dans chaque collège : c’est un début. Ça ne suffit pas.

Nous continuerons demain avec le théâtre, après-demain avec les arts plastiques, la pratique instrumentale, la danse.

Ce que nous sommes en train de faire, qui n’a jamais été fait, c’est de créer une obligation de partenariat pour les écoles, avec des acteurs culturels du territoire : pour que ce soit des professionnels et des artistes qui assurent les enseignements. Engageons-nous.

Tout le monde culturel doit être au rendez-vous. Pour que dans quatre ans, la pratique d’un art ne soit plus le privilège de quelques-uns. Pour que cette génération d’enfants ne se sente plus illégitime face à la création. Pour que chacun devienne un adulte qui se dira, devant une œuvre, un établissement culturel : « Je suis chez moi ».

Sans tabou, ensuite, nous allons aider les bibliothèques à renaître.  A occuper la place qui leur revient dans la Cité, dans la vie citoyenne. La répartition des compétences n’est pas le sujet. C’est l’envie de faire qui compte : celle des bibliothécaires, auxquels je rends hommage ; celles des villes, des départements ; mon envie de faire, notre envie de faire.

J’ai commandé un rapport à Erik ORSENNA, qui a dressé un formidable état des lieux.

Nous avons tous deux la complicité du livre et des lieux de lecture. Les bibliothèques sont des ilots où la ségrégation culturelle n’a pas droit de cité. Des lieux sans clivage : où la poésie classique côtoie la bande dessinée. Où n’importe qui peut entrer. Où la plupart des citoyens vont sans complexe. Les bibliothèques sont des lieux à la portée de tous.

C’est le premier réseau culturel de proximité. Mais beaucoup de Français ont perdu le réflexe de s’y arrêter. Parce qu’elles ne sont pas ouvertes quand ils sortent du travail, ou le weekend, quand ils ont du temps. Parce qu’elles ne sont pas ouvertes le dimanche, quand nos lycéens, nos étudiants cherchent un endroit pour travailler. Nous allons aider les 16 000 bibliothèques de France à adapter leurs horaires. A ouvrir plus. A ouvrir mieux.

A devenir des « maisons de services publics culturels ». Cela sonne comme une promesse.

Je vous présenterai les axes de sa concrétisation fin février.

Sans tabou, j’ai engagé le ministère dans une aventure inédite : celle du Pass culture.

Vous le savez, c’est une promesse présidentielle. Une volonté claire. Un projet à inventer. J’ai décidé de le faire avec les premiers concernés – les jeunes – et avec les futurs partenaires de l’offre – publics comme privés. Nous mettons tout le monde autour de la table. Il s’est dit beaucoup de choses, sur ce Pass culture.  Il interroge.

Parce que je n’ai pas choisi une méthode classique : j’ai choisi d’avancer avec une startup d’Etat. Ce que je peux d’ores et déjà vous dire, c’est que le Pass ne sera pas un simple chèque : nous sommes en train de construire un nouveau service public universel, et le premier réseau social culturel. Le Pass prendra la forme d’une application pour mobile géolocalisée, qui permettra de connaître et d’accéder à toute l’offre culturelle à notre portée – l’exposition qui vient de débuter dans le musée d’à côté, la dédicace dans la librairie d’en face, le concert près de chez soi…

Des questions demeurent : sur l’âge des bénéficiaires, sur le périmètre de l’offre disponible. Nous avons besoin de vous pour y répondre. Je vais mettre en place, en février, un Comité d’orientation qui se réunira tous les mois pour nous aider à cheminer dans ces réflexions.

L’application sera lancée en septembre. D’ici là, elle sera testée dans plusieurs territoires, métropolitains et ultramarins. Ce Pass Culture est une chance. La chance de conquérir de nouveaux publics. C’est un début de révolution : pour ce ministère et le secteur culturel, qui n’ont jamais travaillé ensemble de cette façon. Et pour toutes les nouvelles générations, qui vont découvrir la culture autrement. Je vous rapporte l’échange auquel j’ai assisté, avec un groupe d’une quinzaine de lycéens, lors d’un premier atelier de travail sur le Pass culture. Nous leur demandons :

- « Est-ce que vous iriez au musée, avec cette application ? ».

- « Non », répondent-ils spontanément.

- « Pourquoi ? »

- « Parce que c’est toujours la même chose », je les cite toujours.

- « Et si nous vous proposons une visite guidée, avec quelqu’un qui vous raconte l’histoire des œuvres, et groupée, avec des amis ? »

- « Alors là oui. Là, c’est différent ».

Loin des tabous, encore, je veux faire le pari de l’itinérance. Les chefs d’œuvre n’ont pas été créés pour les seuls musées. Les spectacles peuvent se jouer hors des grandes scènes.

On ne dénature pas l’art en le sortant des salons, en passant des décors aux tréteaux. J’ai en tête cette image estivale : le cinéma en plein air est toujours une grande fête populaire...Louis MALLE sur les pelouses de La Villette, Mustang de Deniz ERGUVEN sur les places de Lyon…L’art n’intimide pas quand il est hors les murs. Quand on passe devant. Quand il vient à nous.

L’art sera une chance pour tous, si nous le faisons circuler davantage encore. Je vais lancer le 9 février prochain un grand plan de soutien à l’itinérance. Pour accompagner les compagnies, les opéras, les pièces de théâtres qui vont sur les routes de France. Ils sont trop peu visibles, trop peu soutenus, trop peu nombreux. Nous allons les aider à grandir, à essaimer.

C’est un mouvement qui ne doit pas être porté uniquement par quelques militants, quelques associations. Je souhaite que toutes les institutions du ministère y prennent part. Je sais que grâce à vous, les grandes collections nationales sont déjà visibles dans beaucoup de musées en région. Mais il faut aller plus loin. Il faut dépasser les murs des institutions. Pourquoi ne pas imaginer investir les halls de gare, les salles polyvalentes, les places publiques ? On ne va pas déplacer le Louvre.  Mais pourquoi s’interdirait-on de déplacer La Joconde… ou la tapisserie de Bayeux ?

Je sais les coûts, les assurances, les manques à gagner temporaires… Mais posons-nous ces questions. Et pour toutes les œuvres qui ne pourront pas être déplacées, pour des raisons de coût ou de fragilité, appuyons-nous sur le numérique, sur la réalité virtuelle. Là encore, vous êtes déjà plusieurs à le faire. Tous les moyens sont bons pour combattre la ségrégation. Sans tabou, toujours, je vais m’atteler à des transformations d’ampleur.

Dans le secteur des médias. Des transformations nécessaires à la bonne marche de notre vie démocratique. A l’invitation de Pierre HASKI, je suis allée assister hier à la projection du dernier film de Steven SPIELBERG : Pentagone Papers. Un hymne à la liberté de la presse. Chacun : journalistes, politiques, nous étions rappelés à nos devoirs. Votre devoir d’informer. Notre devoir de garantir la liberté de la presse. Votre devoir de croiser les sources. Notre devoir de veiller à la fiabilité de l’information, de combattre les « fausses nouvelles » avec les outils législatifs qui sont les nôtres.

Je défendrai dans les prochaines semaines une loi sur la fiabilité et la confiance dans l’information, qui a été annoncée par le Président de la République.

Dans le champ audiovisuel, cette loi permettrait de renforcer les pouvoirs du CSA à l’égard des chaines de télévision contrôlées par des États étrangers.

Pour les plateformes numériques et les réseaux sociaux, elle permettrait d’instaurer un devoir de coopération pour lutter contre les fausses nouvelles. L’absence de coopération serait pénalement sanctionnée.

Nous réfléchissons aux obligations des plateformes pour mieux avertir les usagers en cas de contenus sponsorisés, pendant les périodes électorales.

Je suis en train de consulter les parties prenantes sur ces différents enjeux.

Pour lutter contre les fausses nouvelles, nous ne pouvons pas nous contenter d’un appareil législatif. Nous devons mettre le paquet sur l’éducation aux médias. Et là, plus que jamais, je me tourne vers vous. C’est vous qui savez faire. C’est nous qui devons financer.

Je présenterai un plan pour mobiliser les services civiques sur cet enjeu. La « Semaine de la presse à l’école » est un début. Cette éducation à la presse, nous devons la tenir toute l’année, dès l’école primaire.

S’agissant des médias, c’est également la transformation de l’audiovisuel – public comme privé, d’ailleurs – qui est une priorité de ce ministère. Cela ne vous aura pas échappé. Nous sommes dans une forme d’urgence. L’apparition de nouveaux acteurs – les GAFA – et de nouveaux usages, surtout, impose une adaptation rapide de notre système de régulation. Aujourd’hui, la concurrence est parfaitement déloyale. Les plateformes échappent à nos règles, à notre fiscalité, à notre écosystème. C’est ce que j’ai plaidé à Bruxelles, pour la réforme de la directive « Services de médias audiovisuels », dite SMA.

J’ai obtenu une majorité au Conseil, en mai dernier.

La directive SMA est désormais en négociation entre les Etats membres et le Parlement européen. Sa transposition en France sera le point de départ d’une refonte de la régulation audiovisuelle posée par la loi de 1986.

Dans ce paysage en mutation, l’audiovisuel public doit faire sa transformation. C’est le service public culturel le plus accessible, le plus populaire.

Il est présent dans tous les foyers. C’est aussi le budget le plus important du ministère. Ce sont là deux réalités qui nous obligent. Qui vous obligent. A un devoir d’exemplarité : fiabilité de l’information, programmation, représentativité de la société, gestion des deniers publics. A un effort accru d’innovation, pour reconquérir le jeune public. A un effort accru de coopérations, pour accélérer l’investissement numérique, qui représente 1 à 2% du budget des sociétés de l’audiovisuel public, contre 7% chez certains voisins européens. 

Pour que l’audiovisuel public continue à faire la différence, je veux une transformation très ambitieuse, très audacieuse. Nous la devons à nos concitoyens. J’y travaille avec les dirigeants des sociétés concernées. Je les réunis de nouveau la semaine prochaine. Vous connaissez nos chantiers : le soutien massif à la création ; l’offre de programmes locaux ; le rayonnement de la langue et de la création françaises.

Cette année, nous décidons de l’avenir du secteur.

Enfin, sans tabou, je veux pouvoir interroger les équilibres budgétaires du ministère. Interroger l’équilibre entre Paris et le reste de la France. Interroger l’équilibre entre le patrimoine et la création. Interroger les automatismes, en matière budgétaire.

L’essentiel de nos moyens pour la création, par exemple, est aujourd’hui fléché vers les lieux labellisés du ministère. Il laisse très peu de place à l’offre émergente. Interroger les modèles économiques de nos grandes institutions publiques, aussi, la possibilité d’une diversification des moyens, la place encore plus grande que peut prendre le mécénat. Toutes les opportunités de financement sont à explorer. Les fondations, que vous êtes plusieurs dans la salle à représenter, jouent un rôle essentiel.

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

Combattre la ségrégation culturelle : Voilà donc la mission que je me donne, sur ce quinquennat.

Celle qui guidera tous mes projets. Celle qui guidera les vôtres, je le souhaite. Nous partageons cette responsabilité. Elle nous oblige à une très grande audace, à une très grande liberté : d’initiative, d’esprit, d’action.  

Je veux pour finir vous appeler à vous mobiliser, sans tabou, sans réserve, pour aider la France à relever un défi particulier : l’accueil de ceux qui subissent l’exil. Le monde culturel a le devoir d’agir.

Vous êtes déjà nombreux à le faire. Continuons. Offrons aux migrants un accueil digne de notre pays.

J’appelle chacun à prendre sa part, à son niveau, pour leur offrir un accès à la langue française, à la pratique d’un art, aux repères que donne la culture. Pour leur rendre une dignité, après les périples traversés. Pour leur offrir la chance d’un enracinement.

Pour avancer concrètement, je viens de confier à Benjamin STORA une mission de coordination de l'action portée par les opérateurs du ministère de la Culture en faveur des migrants.

Chers amis,

Puisse cette année 2018 apporter à chacun de vous la santé, la détermination et le courage nécessaires à la conduite de tous ces combats, de tous ces projets.

J’aurai besoin de vous.

Je vous présente tous mes vœux pour la nouvelle année.

Je vous remercie pour votre engagement.