Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

« Je suis heureux que le monde politique se souvienne que les artistes ne sont pas tout à fait morts. »

Ces mots, cher Olivier Py, ce sont les vôtres.

Sans doute gardez-vous ce texte en mémoire : c’était en 2010. C’était il y a cinq ans, et vous ne dirigiez pas encore le Festival d’Avignon. Mais vous dirigiez l’Odéon, et vous mettiez ainsi vos pas dans ceux de Jean-Louis Barrault : l’homme qui voulait rendre le théâtre à la jeunesse, l’homme qui voyait dans le théâtre l’un de ces lieux où l’avenir s’imagine, se discute et se dessine.

Aujourd’hui, Olivier Py a succédé à Jean Vilar.

C’est donc ici, aujourd'hui au festival d'Avignon, que je prends la liberté de vous répondre.

Dans ces lieux, où je me rends pour la première fois comme Ministre de la Culture et de la Communication.

Dans ces lieux, où l’on débat chaque été d’une question simple, mais qui n’a jamais cessé d’être brûlante : « pourquoi la culture, et pour qui ? »

« Je suis heureux que le monde politique se souvienne que les artistes ne sont pas tout à fait morts. »

L’adresse était rude.

C’est qu’elle était à la hauteur d’une attente. D’une angoisse.

Celle de voir l’art et la pensée renoncer à investir le champ politique, et se retirer sur son Aventin.

Celle de voir le politique abandonner l’art et la pensée comme cœur battant de la République, prisonnier des contingences du quotidien.

Cinq ans plus tard, reprenant Shakespeare à la fin du Roi Lear, « Dans ces temps de malheur, à quoi bon les poètes ? », c’est à mon tour de vous interpeller – de nous interpeller.

Lorsqu’un pays est traversé par de puissants courants, qui éloignent ses citoyens les uns des autres, peut-il se passer des artistes ?

Lorsqu’un pays s’interroge à ce point sur son identité, c’est-à-dire sur ce qui fait son unité et sa singularité, peut-il se passer des artistes ?

Lorsqu’un pays se met à douter de lui-même, et craint de ne pas trouver sa place dans ce monde qui naît et renaît sans cesse, peut-il se passer des artistes ?

Et lorsque ce pays est la France, dont la voix a toujours été singulière dans le concert des Nations, singulière par sa culture, singulière par son ouverture, singulière par sa volonté de démocratiser toujours plus, et de le faire par la culture, peut-il se passer des artistes ?

Aujourd’hui, je le redis avec force, le gouvernement auquel j’appartiens, ce gouvernement sait ce que la République doit aux artistes.

Il sait que la République les aime, et ne peut s’en passer.

Elle ne peut se passer non plus de tous ceux qui travaillent avec eux : ces femmes et ces hommes de culture, qui les accompagnent sur les chemins de la création, de la diffusion et de la transmission. Les techniciens, les programmateurs et les producteurs, les costumiers et les distributeurs, les ouvreurs et les projectionnistes, les assistants, les médiateurs, et bien d’autres encore – pardon de ne pas évoquer chacun.

Elle les aime, non pour « l’utilité sociale de leur tâche » – si tant est « qu’utilité sociale » ait un sens. Elle les aime parce que, « mus par leur intuition et leur exigence intérieure », les artistes « tracent des chemins, où retrouver les quelques valeurs permanentes, qui autrement se perdraient dans l’effervescence des images et des mots, eux qui ordonnent le chaos des expériences, » comme le disait François Mitterrand.

Elle les aime parce qu’ils créent, et qu’en créant, ils donnent naissance à des œuvres dont la signification les dépasse. Et ce faisant, suscitant l’engouement ou la désapprobation, le questionnement intérieur ou le débat public, les artistes soulèvent des émotions et des expériences partagées, obligent à faire un pas de côté, contraignent à naviguer contre le vent des idées reçues, et engendrent ainsi du commun.

Nous l'avons bien vu hier soir encore à la Cour d’Honneur.

Elle les aime, non pour leur seule « utilité économique », non parce que leurs œuvres ont une valeur marchande, qui profite à l’attractivité, au tourisme, à l’image, au dynamisme, au rayonnement de notre pays. Elle les aime bien au-delà. Car la culture est la vie même. C'est la trame qui nous rassemble.

Et aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de nous rassembler.

Nous avons besoin de ceux qui nous rassemblent.

C’est pour cette raison que, dès mon arrivée rue de Valois, j’ai voulu travailler avec tous les artistes et professionnels pour redonner sa place à la création, au cœur du projet culturel de notre pays.

Ce n’était pas chose aisée : les attentes étaient nombreuses et le secteur en pleine crise.

Qu’est-ce qui a changé depuis un an ?

Le budget : c’était une des raisons du malaise de l’année dernière

On ne mesure pas l’action d’un ministre à son budget mais pas loin. Je suis donc heureuse d’avoir pu compter cette année sur un budget de la culture préservé. Réaffirmant l’attachement du gouvernement à la création, le Premier Ministre a annoncé l’augmentation du budget de la culture pour 2016. Cette augmentation permettra de financer de nouvelles mesures fortes au service de la création. En particulier vis-à-vis des compagnies indépendantes, de l'émergence, du soutien à la production et aux résidences.

La question de l’intermittence qui était au cœur du conflit

Nous partageons une même conviction, celle de l’importance des métiers artistiques et de leur spécificité que nous avons tous à cœur de préserver.

La reconnaissance par la loi de l’existence de règles spécifiques pour les professions du spectacle était nécessaire pour rétablir la confiance. Nous l’avons fait. Avec François Rebsamen, nous avons personnellement ouvert les négociations de branche afin de témoigner de l’engagement du Gouvernement à l’aboutissement de ces négociations pour stabiliser voire refonder le régime de l’intermittence.

La prochaine conférence pour l’emploi devra nous permettre de réunir tous les acteurs concernés autour d’une ambition commune : la qualité et l’excellence de l’emploi artistique, qui est une des grandes richesses de notre pays.

Les nombreuses inquiétudes liées au désengagement culturel dans nos territoires

Je me suis engagée aux côtés des artistes créateurs pour défendre notre modèle culturel, qui a permis de porter la création au plus près de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire. Ce maillage culturel est le fruit d’une ambition partagée entre l’État et les collectivités territoriales depuis plus de 30 ans.

Aujourd’hui, quand je vois par exemple les intentions du Conseil Départemental du Nord, je constate que certains retraits nous interrogent sur la philosophie même de notre modèle culturel et l’équation budgétaire ne doit pas faire perdre de vue l’équation politique.

C’est pour cela que j’ai voulu accompagner les collectivités qui ont fait le choix de la culture en s’engageant à maintenir leur budget pendant trois ans, sans diminution par rapport à l’année précédente. Plus de 40 pactes ont été signés aujourd’hui et je souhaite que nous en signions une centaine d’ici la fin de l’année. Ils ont permis de préserver 300 millions d’euros de crédits pour la culture. 

Je sais que ce n’est pas facile, que la Maire d’Avignon fait beaucoup dans une ville très pauvre pour porter ses efforts à destination des publics les plus défavorisés. Nous aurons l’occasion d’en parler.

Je suis heureuse qu’une instance de discussion des politiques culturelles au niveau territorial ait pu être introduite dans la loi notamment grâce à Patrick Bloche dont je salue l’action.

Pour ce qui est des festivals, je comprends la vive émotion car je suis attachée à ces manifestations qui font vivre nos territoires au rythme de la culture. Sur la situation des festivals : s’il y a des disparitions, il y a aussi de nombreuses créations de festivals et nous devons examiner en détail les facteurs qui expliquent ces évolutions. C’est pourquoi j’ai lancé une mission pour évaluer la réalité et l’impact de cette crise pour que nous puissions préparer sereinement la saison 2016.

Les menaces qui pèsent sur la création

A Paris comme à Bruxelles, j’ai défendu les artistes et la diversité de la création.

La diffusion de la création ne peut se faire au détriment de ceux qui la font.

Grâce à la mobilisation de l’ensemble des professionnels et des artistes, en France comme en Europe, je pense a Thomas Ostermeir, nous avons porté avec force la voix de la France pour une Europe des artistes et un marché unique numérique qui ne soit pas celui d’une culture unique. Et je me réjouis de constater que nous avons été entendus, notamment sur le droit d’auteur, la régulation et la fiscalité du numérique.

Au-delà de la gestion de ces crises, j’ai posé les bases d’un nouvel élan de nos politiques culturelles.

En renforçant nos outils au service de la création grâce au projet de Loi Liberté de création, Architecture et Patrimoine qui sera présenté en conseil des ministres le 8 juillet.

C’était une des promesses de campagne de François Hollande et ce sera un des marqueurs culturels du quinquennat : ce projet de loi consacre la liberté de création et de programmation, il renforce la protection des structures de création et de diffusion par des labels, il assure une plus grande transparence dans le partage de la valeur et une plus juste rémunération des artistes.

En faisant de la jeune création la première de mes ambitions.

J’ai organisé des Assises de la Jeune création pour mieux prendre en compte les besoins des jeunes créateurs, accompagner les artistes de demain et favoriser l’émergence de nouveaux talents. J’ai présenté le 30 juin dernier en conclusion de cette vaste concertation les 20 mesures de ma feuille de route visant à favoriser la formation et l’insertion professionnelle des jeunes, à améliorer leurs conditions de travail et de vie et à donner toute sa place à la diversité.

Ces deux grands chantiers augurent une belle année pour la création. Après les inquiétudes et les revendications de l’année passée, je vois dans la formidable mobilisation autour des Assises, et dans la volonté partagée de travailler ensemble à des conditions meilleures pour les créateurs de demain, le signe d’une embellie et, oserai-je le dire, de lendemains qui chantent.

Le soutien à la création, c'est aussi l'annonce ce soir à l'église des Célestins du label French Culture Tech pour Avignon. C'est une fierté pour moi.

Là aussi, la France est de retour, dans ce qu’elle a de meilleur.

Elle ne se contente donc pas de se souvenir de ses artistes, cher Olivier Py : elle croit en eux.

Je vous remercie.