Madame la ministre, chère Anne-Marie COUDERC,

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Cher Patrick LE HYARIC,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

 

C’est pour moi un grand honneur de représenter le Gouvernement à l’occasion de ce dîner offert par le journal l’Humanité à l’ensemble de la presse française. Ce dîner est une magnifique tradition républicaine de notre pays. Je tiens à remercier tout particulièrement Patrick LE HYARIC et  l’Humanité de leur invitation.

Je veux vous dire, à toutes et tous, le sentiment de responsabilité que je ressens de m’exprimer devant vous à cette occasion, alors que je viens de prendre mes fonctions de ministre de la Culture et de la Communication. Vous incarnez le pluralisme d’une presse dont la liberté est au fondement de notre démocratie. J’aurai, bien sûr, l’occasion d’en discuter avec chacun d’entre vous dans les prochains jours et les prochaines semaines mais je souhaite, ce soir, vous dire dans quel état d’esprit je compte œuvrer, avec votre appui, pour l’avenir de la presse. Car il nous appartient aujourd’hui de défendre la liberté et le pluralisme de la presse que d’autres ont défendus avec force avant nous. Ceux qui se sont battus depuis 1789, au nom de l’article 11 de notre Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, pour la défense du droit universel à la liberté d’opinion et d’expression. Des hommes de lettres, journalistes et politiques, dont l’engagement a permis le vote de la grande loi républicaine du 29 juillet 1881 qui est encore aujourd’hui le socle de la liberté de la presse dans notre pays : parmi eux, Camille Desmoulins, révolutionnaire et journaliste de la liberté, Victor Hugo déclamant à la tribune de l’Assemblée en 1848 que « le principe de la liberté de la presse n’est pas moins essentiel que celui du suffrage universel [car] la liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous », ou encore Chateaubriand qui a « aidé à conquérir celle de [n]os libertés qui les vaut toutes ”.

Nous devons être dignes de l’héritage qui nous a été confié par ceux qui nous ont précédés.

Nous connaissons tous la situation de la presse écrite en France, en Europe et au-delà. Elle est difficile puisque les ventes et les recettes publicitaires déclinent. Pour la première fois en 2013, ce double déclin a concerné dans notre pays toutes les familles de presse sans exception, presse d’information, de loisirs ou professionnelle, presse gratuite comme presse payante. Cette situation ne traduit pas une crise mais une mutation structurelle ; elle est inscrite dans les habitudes et les attentes des nouvelles générations de lecteurs comme dans les bouleversements techniques.

La presse accomplit des efforts pour sa transformation, elle va continuer. J’ai entendu par exemple les propositions qui ont été faites, cette semaine, en vue de réorganiser de façon ordonnée et négociée l’impression de la presse en région parisienne. La presse quotidienne nationale montre qu’elle a pris la mesure des enjeux et qu’elle souhaite se donner les moyens d’assurer par elle-même son avenir. Je sais, aussi, que les organisations syndicales de l’imprimerie sont pleinement conscientes de la baisse de la diffusion. L'essentiel dans ce dossier me semble être que chacun assume pleinement les responsabilités qui sont les siennes : les dirigeants des entreprises de presse, les actionnaires, les organismes de solidarité professionnelle, les représentants des salariés. L’Etat suivra attentivement ces discussions.

Les défis à relever pour votre secteur sont nombreux et appellent, de la part des rédactions comme des entreprises de presse, tout à la fois des remises en cause, de l’imagination, et la confiance tenace en ce que les lecteurs continueront de lire la presse – pourvu que la presse ne transige pas sur l’essentiel : l’indépendance des idées, la qualité du travail, l’originalité du regard. Le métier de journaliste, s’il n’est plus autant lié à la collecte d’informations disponible désormais à profusion, est en revanche fondé sur l’investigation, le travail d’analyse et de décryptage, la distanciation et la vérification des données. Il se distingue en cela de l’immédiateté et de la désintermédiation de l’information au temps du 2.0. L’objectif, aujourd’hui comme hier, est bien de réaliser l’ambition d’Albert Camus, qui écrivait, il y a tout juste 60 ans, au lendemain de la Libération de Paris, dans son éditorial de Combat du 31 août 1944, vouloir « donner [aux journaux] un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleur en lui. »

Avec ce panorama préoccupant, je veux aussi partager avec vous une donnée qui me paraît riche de perspectives. Il y a aujourd’hui en France 702 sites de presse en ligne, reconnus par la commission paritaire. Parmi eux, 212 contribuent plus particulièrement à l’information générale et politique de nos concitoyens. Plus de 70 titres de presse tout-en-ligne s’inscrivent chaque année. Nous savons qu’Internet n’a pas remplacé le papier – ni dans les usages des lecteurs, ni dans les revenus des entreprises de presse. Pour autant, l’émergence bien réelle de la presse en ligne me paraît être une excellente nouvelle. Je ne le dis pas seulement du fait de mon parcours. Je l’affirme parce qu’avec la plupart d’entre vous, journalistes, responsables de rédactions, entrepreneurs de presse, je partage le constat des effets positifs et novateurs que peut avoir Internet pour l’information de nos concitoyens et la diffusion de la culture.

Pour relever les défis qui l’attendent, la presse écrite sait pouvoir compter sur le soutien attentif de l’État, qui n’est jamais de l’ingérence mais ne peut pas être de l’indifférence, tant le pluralisme est vital en démocratie.

François Hollande a voulu, depuis 2012, une refondation du soutien public au secteur de la presse. Si le budget des aides à la presse a, comme d’autres, contribué équitablement au redressement de nos finances publiques, l’essentiel des sommes qui y sont consacrées ont été préservées et leur efficacité a été améliorée. Je veux vous le redire, forte des arbitrages budgétaires rendus pour les trois prochaines années : l’intervention des finances publiques en soutien à la presse est consolidée, parce qu’elle est légitime autant qu’elle est nécessaire. Elle est une garantie pour le pluralisme de l’information et pour l’accompagnement des transitions en cours.

Avec les réformes menées ces deux dernières années, les aides sont déjà plus efficaces et donc plus légitimes devant nos concitoyens : je pense au renforcement de la contractualisation entre l’État et les éditeurs de presse. Je pense aux nouvelles règles de rémunération des photojournalistes et à la mission en cours sur la situation sociale des porteurs de presse. Je pense enfin à la réforme du Fonds stratégique pour le développement de la presse et à l’extension du soutien de l’IFCIC aux sites tout-en-ligne d’information : ces réformes concrétisent la volonté du Gouvernement de miser plus clairement sur l’innovation. D’ores et déjà, le Fonds stratégique s’est saisi, par exemple, de la question-clé des kiosques numériques à travers le nouveau club des innovateurs. Les changements récents sont prometteurs. D’autres, conformément à l’engagement du Président de la République et du Premier ministre, sont en cours de préparation, en contact étroit avec les représentants des familles de presse. Je veux vous en dire maintenant quelques mots.

La question la plus urgente et la plus structurante demeure celle de la distribution de la presse imprimée. Chacun connaît les difficultés des messageries, les défis que la Poste elle-même doit relever, les progrès réels mais insuffisants du portage. Nous voyons que le système actuel est, sur bien des aspects, à bout de souffle, et que ses soucis pèsent durement sur la presse. Une mission de prospective sur la distribution, avec qui vous avez pu partager les uns et les autres, a été lancée. Sans anticiper sur les suites que vous-mêmes, acteurs du secteur, ou les pouvoirs publics, pourraient tirer des conclusions de cette mission une fois qu’elle sera achevée, je note qu’elle a, s’agissant du transport postal, d’ores et déjà encouragé les échanges directs qui se font, dans un nouveau climat, entre l’opérateur postal et les éditeurs : cet échange confiant doit se poursuivre, s’intensifier et préparer l’après-2015.

La mission a pu vous entendre également sur le sujet du renforcement de  la gouvernance de la régulation de la presse – et je tiens à saluer ici le travail de Jean Pierre Roger et de ses équipes : le Gouvernement accueille ainsi favorablement la proposition de plusieurs parlementaires, et vous ne vous étonnerez pas si je cite le nom de Michel Françaix, de légiférer à brève échéance pour apporter notamment les retouches nécessaires à la loi « Bichet » s’agissant de cette régulation.

Cette proposition de loi pourra être l’occasion d’aborder le sujet important du renforcement des fonds propres des titres. Plusieurs éditeurs ont demandé aux pouvoirs publics de proposer de nouvelles formules combinant l’indépendance éditoriale, la réunion de ressources financières et les modes de financement alternatifs. La situation de Nice-Matin montre combien le débat est pertinent. Le Gouvernement souhaite appuyer cette approche. Comme le disait JAURES, dans son premier éditorial de votre journal, cher Patrick Le Hyaric : « Faire vivre un grand journal sans qu’il soit à la merci d’aucun groupe d’affaires est un problème difficile mais non pas insoluble. » Il ne me semble pas inutile que le Parlement puisse se saisir de cette question.

Le même texte permettra enfin la réforme du statut de l’Agence France-Presse, dans le plein respect – bien évidemment – de son autonomie. Michel Françaix, dont je veux saluer ici l’engagement et l’expertise précieuse, a fait des propositions au Premier ministre pour l’avenir de l’AFP. Plusieurs portent sur sa gouvernance et ont leur place dans une loi, rendue d’ailleurs nécessaire pour respecter le droit européen de la concurrence, dans le plein respect de l’originalité de l’Agence. Je veux aussi vous confirmer que tous les efforts sont faits pour que la filiale technique proposée par Michel Françaix, portant les investissements d’avenir de l’AFP puisse voir le jour, grâce au soutien de la Caisse des dépôts et consignations, début 2015. J’ajoute qu’en 2015 et au-delà, l’État fera plus que préserver le soutien budgétaire des missions d’intérêt général de l’AFP, qui mène aujourd’hui un effort indispensable de modernisation : ces engagements mutuels figureront dans le contrat d’objectifs État-AFP qui sera bientôt signé.

Le dernier sujet d’actualité que je veux évoquer aujourd’hui est la réforme de l’aide au portage. Je sais sa sensibilité ; beaucoup d’entre vous ont apporté leur contribution. La réforme sera bien effective dès 2014, année de transition. Le nouveau décret, est actuellement présenté à la signature du premier ministre. Il permet de soutenir plus clairement le développement du portage et crée, pour la première fois, un soutien aux réseaux de portage dès lors qu’ils sont mutualisés. L’aide est ainsi rendue plus incitative et plus conforme à son objectif.

Tels sont, Mesdames et Messieurs, chers amis, les quelques questions que je voulais aborder avec vous. Des chantiers importants sont devant nous, au premier rang desquels la reconstruction de la distribution de la presse mais aussi le soutien toujours plus affirmé de l’innovation et de la transition numérique. Les changements en cours ne sont pas une fatalité qui dévasterait tout. Car dans un monde en perpétuel changement, écrit Hannah Arendt, la presse est un indispensable repère : « sans les journalistes, nous ne nous retrouverions jamais dans un monde en changement perpétuel, et, au sens le plus littéral, nous ne saurions jamais où nous sommes. » La liberté d’informer et de s’informer a de beaux jours devant elle.

Je vous remercie.