Mes chers amis,

Quelques mots pour vous dire merci.

Merci d’avoir répondu présent à cet appel à changer de regard, sur ceux qui viennent d’ailleurs, pour vivre et pour survivre.

Merci à toutes celles et ceux qui sont venus débattre, s’informer, regarder, participer à ce rassemblement, qui était d’abord un rassemblement de citoyens.

Merci aux artistes et aux intellectuels qui ont fait vivre ces 12 heures d’événement.

Et en particulier à ceux qui ont réalisé des performances – les élèves du Conservatoire, sous la direction de Robin Renucci, les street-artistes qui continuent de peindre cette immense fresque dans la galerie temporaire, et bientôt les comédiens du Français.

Merci aux journalistes qui ont animé et modéré ces débats, avec toute la conscience professionnelle qui les anime et aux partenaires médias – l’AFP, France Médias Monde et Radio France.

Merci à toutes les associations qui ont participé à cette journée.

Merci à Mercedes Erra et à Benjamin Stora, à Hélène Orain, à Nathalie Sultan et à toute l’équipe du Musée National de l’Histoire de l’Immigration qui s’est investie sans compter depuis le début de la semaine pour que ces 12 heures puissent avoir lieu. Sans leur dévouement et leur engagement, rien n’aurait été possible.

Dix jours se sont écoulés depuis que Nilüfer Demir a pris cette photo du petit Aylan, échoué sur une plage de Turquie.

Dix jours, depuis que cette photo a fait le tour du monde et suscité l’émotion, forte et légitime qu’elle méritait. La mienne, la vôtre, celle de chacun de nous.

Cette émotion s’est traduite en engagements : de citoyens, d’associations, d’élus, du gouvernement, prêts à se mobiliser pour accueillir des réfugiés.

Et c’est heureux. La France n’est jamais aussi belle, elle n’est jamais aussi grande, que lorsqu’elle se mobilise au nom de ses valeurs.

Dix jours après, si l’émotion demeure, nous voilà arrivés au temps des réponses.

Aux drames que vivent au quotidien les réfugiés,

A ce qui les pousse à partir de chez eux – car on ne quitte jamais sans douleur la terre sur laquelle on est né, les murs que l’on a habités, les parfums avec lesquels on a grandi – ,

A ce qui les conduit à risquer leur vie pour arriver en Europe,

Il faut des réponses.

Aux terreurs,

Aux ignorances,

Aux égoïsmes, prônés par les partis les plus radicaux,

Qui conduisent parfois, en France et en Europe,

A exiger d’illusoires barricades et des expulsions massives,

A agiter les terreurs de l’invasion, de la dissolution, de la disparition,

Dans un réflexe de fermeture,

Il faut aussi des réponses.

Ces réponses sont d’abord politiques. Les débats et les interventions l’ont montré, il n’y a pas de réponse simple, rapide, univoque, définitive à cette crise que nous traversons. Il y a des enjeux géopolitiques, stratégiques, militaires, économiques, sociaux, humanitaires, et tant d’autres, à prendre en compte.

A une crise durable, il faut des réponses durables. Nous les donnons.

A cet effort collectif, la France prend sa part.

Ce sont des décisions fortes que le Président de la République a prises et que le Premier Ministre met aujourd’hui en œuvre, pour accueillir au mieux les réfugiés qui arrivent sur le territoire et nous organiser avec nos partenaires. C’était le sens des annonces du Premier Ministre et du Ministre de l’Intérieur devant les Maires ce matin.

Ce sont des principes forts que le Président de la République a réaffirmés, en appelant avec l’Allemagne à la mise en place d’une solution européenne pérenne par un mécanisme obligatoire ; en rappelant que le droit d’asile était constitutif de notre Nation et qu’il ne se découpait pas en tranche, selon la confession des réfugiés.

Répondre à la question « comment » fait partie des responsabilités du politique.

Cette responsabilité, le Gouvernement l’assume dans son ensemble.

A la culture, il revient sans doute une responsabilité particulière : celle de répondre à la question « pourquoi ». Et cette question n’est pas moins essentielle.

Pourquoi notre société a-t-elle longtemps détourné le regard, plutôt que d’en changer, face aux drames des migrants ?

Pourquoi notre société est-elle à ce point frappée de catatonie, tétanisée par l’avenir et traversée de courants si profonds, plutôt que de relever la tête ?

Que se passe-t-il pour qu’il nous faille à nouveau réaffirmer des valeurs que nous avons crues pendant longtemps évidentes – si évidentes qu’elles nous semblaient intangibles?

A ces questions, si vastes et douloureuses, la culture a le pouvoir d’apporter des réponses. Elle l’a. Elle le peut. Et, pardonnez-moi d’employer ce soir les mots de l’obligation morale, mais les questions que nous posons sont suffisamment graves pour y avoir recours : elle le doit.

Par l’intelligence et par la sensibilité, la culture nous invite à sortir de nous-mêmes.

Quand Abderrahmane Sissako nous emmène à Tombouctou partager l’histoire de ces familles qui se révoltent sous le joug djihadiste, il nous sort de nous-mêmes.

En nous montrant sous d’autres angles ce qui nous est familier, la culture déplace notre regard.

Quand Radu Mihaileanu nous emmène suivre le petit Schlomo, d’Ethiopie en Israël, il nous fait éprouver toute la complexité du réel.

En partageant avec nous l’histoire d’un autre, la culture nous invite à penser en nous mettant à la place des autres, et par conséquent à changer notre regard.

Radu l’a magnifiquement rappelé tout à l’heure.

Avec Fanny Bouyagui et Soyez les bienvenus, nous revivons le périple de son père, du Sénégal jusqu’à la France, et la façon dont elle l’a vécu à son tour.

En nous confrontant à d’autres vies intérieures – celle des artistes, celle de leur création – la culture invite au dialogue, et nous sort de la solitude des monologues intérieurs.

C’est ce que nous vivrons dans quelques minutes, avec Lisa Prosa et la première partie de son Tryptique du Naufrage, le drame de Lampedusa – car c’est la force du théâtre de nous plonger dans la chair du réel. Merci à elle, merci à Céline Samie, de le faire avec autant de puissance de signification.

Voilà ce que peut la culture : elle peut beaucoup, elle peut immensément, car elle a ce très grand pouvoir de changer le regard.

C’est parce que les artistes nous proposent un regard par lequel chacun peut entrer que nous pouvons renouer, ensemble, avec une histoire et une conscience collective.

Voilà pourquoi ceux qui attendent par réflexe que l’on ferme les frontières désirent aussi par réflexe que l’on ferme la culture.

Ce sont les mêmes, ceux qui s’en prennent aux artistes et ceux qui s’en prennent aux migrants.

Ce sont les mêmes, les vandales qui s’en prennent à Anish Kapoor.

Parce qu’il est artiste.

Parce qu’il est artiste, britannique, né à Bombay d’un père hindou et d’une mère juive originaire de Bagdad.

Parce qu’il est artiste, et que son œuvre, qui dialogue avec le Château, vient volontairement briser la symétrie parfaite d’un jardin à la Française, pour mieux interroger notre représentation de l’ordre et du désordre.

L’art ouvre des brèches dans nos certitudes, comme des brèches sont ouvertes dans les murs ou les clôtures qui séparent les migrants de la terre qu’ils veulent rejoindre.

Aucun mur ne retiendra jamais un artiste ;

Aucun mur ne résistera jamais au désir des hommes de partager un avenir commun avec d’autres hommes ;

Aucun mur ne saura jamais définir une identité collective éternelle et isolée du monde extérieur.

Aucun de ces murs, dans l’histoire, n’aura jamais tenu bien longtemps, car ils ne sont que des murs d’illusion. Et c’est heureux.

La grandeur de la France, on le lui a souvent reproché, est sa prétention à l’universalité. Cette prétention, elle la doit à ses intellectuels, elle la doit à ses artistes, qui ont façonné pour elle cette belle idée d’humanité.

Voilà pourquoi la France s’active aujourd’hui pour garder la trace éternelle de ce patrimoine universel, détruit à Palmyre par la barbarie et l’appât du gain. Elle restera plus que jamais une terre du patrimoine de l’Humanité.

La grandeur de la France, c’est d’avoir donné naissance à Diderot, Rousseau, ou Voltaire.

Mais la grandeur de la France, c’est aussi d’avoir accueilli, Léonard de Vinci, l’immigré italien ;

Picasso, le réfugié espagnol ;

Marie Curie, la jeune polonaise devenue l’une des plus grandes scientifiques de France ;

Serge Gainsbourg, le descendant d’immigrés russes ;

Cioran, Kundera, Semprun, Yasmina Khadra,

Et aujourd’hui Anish Kapoor à Versailles.

La grandeur de la France, c’est d’avoir accueilli de grands artistes qui ont façonné sa culture.

La grandeur de la France, c’est d’avoir toujours accueilli des migrants anonymes, des réfugiés inconnus, des enfants adoptés, et d’en avoir fait des ministres. Notre pays, ils y ont trouvé refuge, s’y sont intégrés, l’ont façonné à leur tour, et ont apporté leur pierre à ce qu’il est devenu aujourd’hui.

La grandeur de la France, c’est son identité ouverte, son identité multiple, une trame tissée par le dialogue des cultures, sur la chaîne de l’humanité.

Je vous remercie.