Madame la Présidente, Chère Anne Verneuil,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Vous avez souhaité consacrer ce 60ème congrès de l'Association des bibliothécaires de France à la question des nouveaux métiers et des nouvelles compétences en bibliothèque.
Nous sommes ici aujourd’hui pour parler d’avenir. Le métier de bibliothécaire est précieux, il est indispensable à notre démocratie.
C’est important de rappeler la place de la bibliothèque dans la Cité comme espace d’émancipation, d’apprentissage et de découverte. Dans notre contexte actuel marqué par le repli sur soi et la xénophobie, nos bibliothèques prennent une place encore plus importante : elles sont le temple de la richesse des œuvres, tout particulièrement notre littérature jeunesse, et de la liberté de publication.
Le numérique constitue pour la profession de bibliothécaire comme pour beaucoup d’autres secteurs culturels, une nouvelle frontière. Les mutations qu’il provoque suscitent, comme ailleurs, beaucoup d'interrogations et, parfois aussi, des remises en cause. Il demande beaucoup d’investissement pour chacun de vous mais il ouvre des possibilités nouvelles pour nos politiques publiques. Parce qu’il a transformé la diffusion de l’art l’accès à l’offre culturelle et aux savoirs, révolutionné les pratiques et les usages, il représente un horizon nouveau pour l’action culturelle au service du plus grand nombre. Il ne saurait être question de fétichisme : le numérique est un outil au service d’une vision très large et très ambitieuse d’ouverture au public.
Ces grandes tendances me semblent renvoyer à trois grands défis pour les bibliothèques et les bibliothécaires, au cœur de la question des compétences et des métiers :
•    le défi de la technologie d'abord,
•    le défi de la médiation ensuite,
•    le défi de la diversité culturelle enfin.
Vous savez que j'ai souhaité faire de l'année 2014 l'année des bibliothèques à  la suite de l’année de la librairie en 2013. J'ai fait ce choix car elles sont au cœur du processus de la lecture et de la littérature.
Alors que nous allons accueillir dans quelques semaines à Lyon le 80e Congrès mondial des associations de bibliothécaires, l'IFLA, et à la veille de l'importante réforme territoriale voulue par le Président de la République, il m'a semblé que devait davantage être mis à l'honneur le rôle de la bibliothèque, lieu essentiel de la bonne collaboration entre les collectivités territoriales et l’Etat, à la fois passeur de culture et lieu de vie ouvert sur la cité et son territoire.
J'ai eu l'occasion d'annoncer en mars, au Salon du livre de Paris, un certain nombre d'initiatives concrètes pour les bibliothèques, à mener collectivement avec nos partenaires, notamment les collectivités territoriales et bien entendu avec vous, les professionnels. Je voudrais revenir sur ces principaux chantiers, à l'aune de la question de la formation et de ses différents défis.
Les outils et les ressources numériques, vous le savez, prennent une place grandissante dans notre vie quotidienne. La maîtrise de ces services suppose pour les professionnels l'acquisition de nouvelles compétences nombreuses, informatiques, juridiques, techniques. En France, la place des ressources numériques dans les bibliothèques demeure encore modeste : une étude menée fin 2013 auprès de plus de 1100 bibliothèques a ainsi confirmé que seulement 23 % des établissements de plus de 10 000 habitants proposaient une offre de ressources numériques à leurs publics.
Afin de faire évoluer cette situation, j'ai souhaité d'une part renforcer le soutien de la BPI à l'association Réseau Carel, d'autre part encourager l'ensemble des acteurs du livre à se mettre d'accord sur un certain nombre de principes pour la diffusion du livre numérique en bibliothèque.
Concernant le premier chantier, je souhaite vous confirmer aujourd'hui que le rôle de coopération de la BPI, notamment en matière de ressources numériques, sera bien au centre de la lettre de mission que j'adresserai d'ici quelques semaines à la nouvelle directrice de la BPI, Christine Carrier.
Concernant le deuxième chantier que j’avais lancé, par message vidéo interposé lors de votre dernier congrès, je me félicite que les discussions entre les acteurs du livre aient bien progressé ces derniers mois. La signature avant la fin de l'année d'un document de recommandations sur le livre numérique en bibliothèque, fédérant les parties autour de quelques grands principes, demeure mon objectif. Toutes les difficultés ne sont certes pas écartées mais je crois qu'auteurs, libraires, éditeurs, bibliothécaires peuvent se retrouver sur l'essentiel. Je voudrais à cet égard saluer l'engagement remarquable de l'ABF dont les représentants participent avec détermination, efficacité et responsabilité aux travaux menés sous l'égide de mes services. Je souhaite que nous continuions cette mobilisation.
Un troisième chantier très largement numérique – mais qui ne s’y limite pas – et qui me tient à cœur est celui de la modernisation de l'exception au droit d'auteur en faveur des personnes handicapées.
Les travaux de concertation entre les différents acteurs ont là aussi bien progressé : le champ des bénéficiaires de l'exception et les modalités de circulation des fichiers numériques entre organismes agréés, en France comme à l'étranger, devraient s'améliorer largement à l'issue d'une modification législative présentée au parlement au début de l’année 2015 dans un projet de loi que je défendrai.
L'enjeu est tout simplement de permettre aux dizaines de milliers de personnes handicapées de pouvoir lire les mêmes livres que tout un chacun. C'est un impératif démocratique qui n'est toujours pas respecté de manière suffisante à l'heure actuelle.
Je tiens à cet égard à saluer ici l'action des établissements publics du ministère, tant la Bibliothèque nationale de France que le Centre national du livre, qui procède actuellement, à ma demande, une réforme de ses aides au bénéfice des personnes handicapées. Je sais que cette modification peut susciter des questionnements ici ou là parmi vous, mais je tiens à réaffirmer que, dans un contexte budgétaire contraint, la priorité des fonds destinés aux bibliothèques du CNL est celle de publics spécifiques. Pour porter cet élan en faveur de l’accessibilité, le budget du CNL ne sera pas affecté dans les années à venir, il n’y aura aucune baisse, c’est un point inflexible de ma discussion avec Bercy.
On le voit clairement à travers ces quelques exemples : les bibliothécaires sont désormais amenés à maîtriser des technologies complexes. Cette technicité ne doit cependant pas masquer un 2ème défi pour la formation, qui me paraît encore plus fondamental, celui de la médiation.
Parce qu’il est inacceptable que le numérique puisse répéter les blocages de notre société ou créer de nouvelles formes d’exclusion, nous devons permettre à chacun de maîtriser les nombreux outils innovants et de se repérer dans la diversité de l’offre culturelle numérique. Le bibliothécaire a un rôle déterminant à jouer qui suppose l'acquisition de nouvelles compétences, d'accompagnement des personnes, et de médiation, individuelle ou collective.
Le chantier des horaires d’ouverture me paraît relever pleinement de cette problématique de l'accueil et de la médiation.
Concernant d'abord la question des horaires d'ouverture, je me félicite de la bonne avancée des travaux que le ministère mène depuis quelques mois avec l'ABF : notre objectif commun sera de proposer pour la fin de l'année, à destination des élus en particulier, un document de recommandations identifiant de façon la plus objective possible à quelles conditions et pour quels résultats une extension d'horaires d'ouverture peut être envisagée.
Un autre chantier majeur de médiation est celui de l'éducation artistique et culturelle : équipement de proximité présent sur la quasi totalité du territoire, partenaire régulier de l'Education nationale, la bibliothèque est pour beaucoup de nos concitoyens, notamment pour les plus jeunes, un lieu privilégié de découverte des œuvres, des arts et de leurs créateurs.
Pour cette raison, le ministère conduit depuis plusieurs mois une grande enquête sur les actions menées en la matière par les bibliothèques.
Ses résultats seront présentés en septembre, lors d'un séminaire sur l'éducation artistique et culturelle à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, et j'ai explicitement demandé aux Directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, d'identifier et de soutenir cette année le plus grand nombre possible de projets d'EAC qui seraient portés par des bibliothèques.
Je voudrais également remercier les bibliothèques départementales qui en partenariat avec les services de la petite enfance de 12 Conseils généraux ont accepté de participer cette année à l'opération nationale Premières pages dont le but est de sensibiliser le plus tôt possible les enfants et leurs parents à l'importance et à la richesse de la lecture.
Dans le même esprit, j'ai souhaité que soit mise en place l'an prochain une Fête de la littérature jeunesse, qui célébrera, en associant tous les acteurs -auteurs et illustrateurs, libraires, éditeurs, bibliothécaires- toute la richesse et toute l'importance de cette littérature en pleine expansion qui représente aujourd'hui l'un des secteurs les plus dynamiques de l'édition française. Un groupe de travail animé par le Centre national du livre se réunira en juillet avec les bibliothécaires pour définir les contours de cette future manifestation qui devrait m'être présentés à la rentrée.
En fin de compte, quel est notre objectif partagé, quels sont les grands principes de notre travail en commun ?
La nécessité d'adapter nos métiers et nos compétences me paraît avoir pour but ultime la promotion de richesse culturelle et de la liberté, le respect d’une  exigence démocratique : proposer à chacun un service public de qualité et de proximité. C'est un défi qui me semble cependant devoir être rappelé et défendu avec force car rien n'est jamais acquis. Le maintien de la diversité  - diversité des métiers, des contenus, des personnels, des œuvres, des territoires - suppose une sensibilisation permanente de tous, les bibliothécaires bien sûr mais aussi les élus, le grand public. La bibliothèque est par essence un lieu de brassage des publics, d'échange des cultures, un lieu de mixité – même si je suis persuadée qu’il faut aller plus loin -, un lieu de foisonnement des contenus. Cela ne veut pas dire qu'elle est un lieu sans contrôle ni règle. Ces règles, vous en êtes les garants et les piliers.
Pour réfléchir au rôle politique des bibliothèques, au sens le plus noble du terme c’est-à-dire de leur place au cœur de la polis, la Cité, il m'a semblé utile de proposer la tenue d'une journée de réflexion, début décembre, qui permettra de débattre sereinement de toutes ces questions. Je souhaite qu’un nombre important d’élus puissent être présents, parlementaires comme élus locaux.
Je souhaite que puissent s’y exprimer les élus les plus convaincus –je sais qu’ils sont nombreux compte tenu de l’ensemble des expérimentations de qualité que vous portez les uns et les autres - mais également que puissent être présents les élus peut-être moins sensibilisés, mais aussi les nouveaux élus, pour qu’ils prennent conscience de l’enjeu que représentent les bibliothèques et de la gamme des possibles que les collectivités ont su mettre en œuvre.
Vous y serez évidemment invités pour pouvoir donner le point de vue des professionnels expérimentés que vous êtes.
Paul Valéry avait imaginé cette devise pour nos bibliothèques : « plus élire que lire ». C’est la mission de service public que vous remplissez, chacune et chacun d’entre vous : permettre à tous de choisir, d’élire donc de lire, de se repérer et de piocher dans la très grande diversité de l’offre culturelle.
Ce métier qui est le vôtre et qu’il est indispensable d’élargir aux enjeux dont ces trois jours de débat et de discussion se saisissent, contribue à faire des bibliothèques des piliers de notre démocratie, des temples du savoir et de la transmission, qui permettent à chacun d’être un véritable acteur de sa vie culturelle et citoyenne.
Je vous remercie.