Madame la directrice générale de l’UNESCO, chère Irina Bokova,

Mesdames et messieurs les ministres,

Mesdames et messieurs les ambassadeurs,

Messieurs les représentants de l’Organisation internationale de la Francophonie,

Mesdames et messieurs les présidents et directeurs,

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

 

Je m’adresse à vous ce matin de « là où dialoguent les cultures », car telle est la vocation du musée du Quai Branly.

 

Faire dialoguer les cultures : voilà un geste à la fois affectif et savant. Être ému devant ce qui n’est pas familier, et le comprendre. Saisir la permanence des motifs qui traversent l’histoire de l’humanité, ou en constater au contraire les ruptures. Confronter ces héritages pour faire surgir du nouveau. Voilà tout ce que fait naître le dialogue des cultures.

L’actualité la plus récente nous a cruellement rappelé combien ce geste-là, auquel nous attachons tant d’importance et qui revêt tant de signification, peut cristalliser les haines les plus féroces des obscurantistes. Les terroristes qui nous ont frappés, il y a un peu plus de dix jours, en arrachant tant de vies, s’en sont aussi pris à tout cela.

Ils s’en sont pris à la liberté, à l’ouverture, à la mixité, à tout ce qui fait le sel d’une culture et rend possible ce dialogue.

C’est que leur fanatisme, leur fondamentalisme, leur idéologie de mort ne souffrent d’aucun pluralisme. Ils détruisent les traces du passé pour mieux obstruer l’avenir, brûlent les livres pour mieux fermer l’esprit critique, interdisent la musique pour mieux dominer les âmes, et rêvent de substituer à l’histoire humaine un récit aussi simpliste qu’univoque, aussi détestable que totalitaire.

Partout où ils ont frappé, ils s’en sont pris à la culture. A Tombouctou, ils ont brûlé les manuscrits et détruit les mausolées. A Tunis, ils s’en sont pris au musée du Bardo qui s’est donné pour ambition, dès sa fondation, d’exposer toutes les cultures, de l’art islamique au legs des communautés juives, en passant par l’héritage chrétien, grec, romain, carthaginois ou numide. A Mossoul, à Palmyre, ils ont démantelé et détruit un patrimoine d’une très grande valeur.

La culture sera toujours chez elle en France. C’est une exigence sur laquelle nous ne transigerons jamais. Car Paris est la capitale de la France, mais c’est aussi la capitale de l’UNESCO. L’Institution qui œuvre justement à organiser le dialogue des cultures, à les reconnaître, à les préserver dans leur diversité.

 

Depuis dix ans, depuis que les Etats-membres de l’UNESCO ont adopté à la quasi-unanimité la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ce combat en faveur du dialogue des cultures a pris une dimension nouvelle. Avec la mondialisation et l’intensification des échanges, un nouveau risque s’est fait jour : le risque de la standardisation. Comment, en effet, faire dialoguer les cultures si ce qui les distingue s’estompe ? Comment préserver ce qui fait leur spécificité, si la puissance de diffusion de certaines empêche les autres de se faire entendre ? Dès 1985, le combat pour l’exception culturelle, que la France a porté avec d’autres Etats, a permis d’exclure la culture des négociations commerciales. Mais c’est la convention de 2005 qui nous fera basculer dans un nouveau modèle, en consacrant la double nature des biens et services culturels, et en posant des principes directeurs essentiels : respect des droits de l’homme et  des libertés, égale dignité des cultures, liberté de chaque Etat de mettre en œuvre des politiques publiques en faveur de la culture, reconnaissance de la dimension culturelle du développement d’un pays. C’est aussi cet anniversaire que nous fêtons aujourd’hui. Cet anniversaire, et sa force politique, qui n’est plus à démontrer.

Rien qu’en ce qui concerne notre continent, deux accords commerciaux sur cinq y font référence. Elle permet aujourd’hui aux Etats-membres d’exclure les services audiovisuels des mandats de négociation de la Commission européenne. Elle a surtout favorisé la coopération internationale en matière culturelle, et facilité la mise en place de politiques de soutien aux arts et à la culture dans de nombreux pays. Tout cela a contribué à promouvoir et à soutenir la diversité culturelle..

Sans la mobilisation décisive de l’Organisation Internationale de la Francophonie, aux côtés d’autres pays leaders, la convention n’aurait pu voir le jour, et je souhaite aujourd’hui exprimer à ses représentants toute la gratitude de la France. Je salue également Jean Musitelli, qui était alors notre délégué permanent à l’UNESCO, et qui joua lui aussi un rôle essentiel.

 

Nous voilà aujourd’hui, dix ans après, face à de nouvelles perspectives. Une mutation nouvelle s’est engagée, aux côtés de la mondialisation et de l’intensification des échanges. C’est la mutation numérique. Elle est radicale, dans tous ses aspects – anthropologiques, éthiques, culturels, politiques. Elle était au cœur de vos débats aujourd’hui.

Le numérique, commençons par le rappeler, est une chance pour la culture, pour leur diversité et pour le dialogue. Il a démultiplié l’accès aux œuvres. Il n’a jamais été aussi facile pour un artiste de trouver son public. Mais il n’a jamais été aussi difficile pour un artiste de gagner sa vie avec ses œuvres. La mutation numérique bouleverse autant nos pratiques culturelles qu’elle bouleverse la chaîne de valeur. Elle a donc une conséquence directe sur les outils de régulation et de financement que les puissances publiques ont mis en place pour maintenir la diversité des cultures. Je pense en particulier à toutes les plateformes, qui ne connaissent ni frontières ni territoires, ce qui facilite l’offre illégale autant que l’optimisation fiscale.

Certains voudraient en conclure, un peu vite, que l’heure n’est plus à la régulation, et qu’il est aujourd’hui impossible de promouvoir la diversité culturelle de cette façon. Que peuvent faire les Etats souverains face à une mutation aussi radicale et aussi rapide quand leurs outils semblent dépassés, et qu’il faut faire face à une concentration majeure de certains acteurs privés ?

La conviction de la France, c’est qu’ils peuvent faire beaucoup, car la diversité relève d’une volonté politique. La régulation a fait ses preuves et continue de le faire. Et je veux le dire ici clairement : renoncer à réguler, c’est renoncer à la diversité culturelle. Renoncer à réguler, c’est renoncer à la création. Renoncer à réguler, c’est abandonner les artistes. Renoncer à réguler, c’est mettre l’avenir de la diversité culturelle entre les mains d’algorithmes froids et automatiques. Et la France sur ce point, comme sur d’autres, ne renoncera jamais.

Cela signifie qu’il nous faut réadapter nos politiques à la nouvelle donne. Nous nous y employons. Avec nos partenaires au sein de l’Union européenne, nous sommes aujourd’hui engagés dans une négociation d’envergure pour préserver la rémunération des créateurs dans le cadre de la réforme des droits d’auteur. J’étais encore à Bruxelles, hier matin, pour faire entendre la voix de la France. Récemment, sur notre territoire, nous avons obtenu un accord historique entre producteurs, acteurs du numérique, producteurs et artistes pour un partage plus équitable des revenus issus des plateformes de musique en ligne. Nous sommes fortement engagés dans la lutte contre le piratage, par l’assèchement des ressources financières des plateformes illégales. Nous avons enfin renforcé la diversité des œuvres musicales diffusées sur les radios. 

Mais nous avons aussi besoin de repenser notre régulation au niveau international. Et notre conviction est que la convention de 2005 est le cadre qui convient pour le faire. Je sais que ce point de vue est partagé. Une réflexion sur l’application de la Convention dans l’univers numérique est d’ailleurs en cours à l’UNESCO. Je me réjouis que les délégations française, canadienne et belge soumettent prochainement aux États qui sont parties prenantes de la convention des propositions pour élaborer une directive opérationnelle, qui soit politiquement engageante. Le résultat de ce travail sera soumis à la prochaine Conférence des parties de juin 2017. Je me réjouis également d’initiatives comme celle menée par la Coalition française pour la diversité culturelle pour rassembler la signature de ministres français de la culture, de créateurs et d’artistes qui s’engagent autour des valeurs portées par la Convention de 2005. C’est ainsi que nous serons le plus efficacement aux côtés des artistes et de la création, pour préserver et promouvoir la diversité culturelle.

 

Mais c’est aussi aux côtés du patrimoine que nous devons être. Les assauts qu’il subit le menacent dans son intégrité même. Si nous voulons continuer de protéger la diversité culturelle et de favoriser le dialogue entre les cultures, comme la convention de 2005 nous y engage, nous avons le devoir d’agir. La France assumera cette responsabilité. Le Président de la République l’a longuement rappelé la semaine dernière, à la 38e session de la conférence générale de l’UNESCO. Il avait confié un rapport en ce sens au Président du Louvre, Jean-Luc Martinez, que je salue.

La France assumera sa responsabilité en luttant de façon plus intense encore, contre le trafic des biens culturels. La France y prendra sa part, en instaurant aux frontières un contrôle douanier à l’importation des biens culturels. Nous ne pouvons laisser Daech financer ses conquêtes et ses attentats grâce à la vente illégale d’œuvres d’art.

La France assumera aussi sa responsabilité en donnant le droit d’asile aux œuvres menacées. Cette notion de « refuge » pour les biens culturels menacés est inscrite dans la loi que je porte. Nous accueillons, de fait, de nombreux étudiants et chercheurs venus de ces pays où les œuvres sont menacées. Ils pourront travailler en sécurité autour d’œuvres préservées.

La France assumera enfin sa responsabilité, en numérisant les sites menacés ou détruits, afin de protéger leur mémoire et d’en garder une trace pour l’éternité. Nous y travaillons à la fois avec des chercheurs, des historiens de l’art et des professionnels du numérique.

 

Tels sont, mes chers amis, les combats de la France en faveur de la diversité culturelle. Notre pays continuera d’être aux avant-postes auprès des artistes, des créateurs et des œuvres du monde entier pour la promouvoir, avec la conviction que nos sociétés inventent leur avenir dans un dialogue toujours ouvert, toujours inattendu, avec leur propre passé, avec celui des autres, et que c’est ce dialogue nourri que l’on appelle « culture ».

 

Je vous remercie.