La filière musicale connaît de fortes transformations : l’évolution des modes de consommation et des modèles d’affaires, induite par le numérique, a entraîné des recompositions importantes et a pu créer des tensions quant à la question du partage de la valeur entre les différents acteurs de l’écosystème musical, et notamment entre producteurs phonographiques et artistes-interprètes.

Afin de disposer, sur cette question très sensible, d’un diagnostic partagé par tous, le protocole d’accord du 2 octobre 2015 pour un développement équitable de la musique en ligne a prévu le lancement d’une étude sur le partage de la valeur fondée sur un échantillon de contrats et une méthodologie choisis d’un commun accord.

La Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) a confié dès novembre 2015 la réalisation de cette étude au cabinet BEARINGPOINT, sous l’égide d’un comité de pilotage associant des représentants des artistes et des producteurs phonographiques : Syndicat national des éditeurs phonographiques (SNEP), Union des producteurs français indépendants (UPFI), Fédération Nationale des Labels Indépendants (FELIN), Guilde des artistes de la musique (GAM), et Société pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI).

La définition de la méthodologie a fait l’objet de longues discussions qui expliquent le retard pris dans la conduite de cette étude. Ces échanges, qui reflètent la complexité du sujet, ont notamment porté sur le périmètre de l’étude, la construction de l’échantillon, la prise en compte ou non des revenus du « back catalogue », la protection du secret des affaires et, plus fondamentalement, la notion même de partage de la valeur qui renvoie à la fois au partage des recettes d’exploitation et au partage des bénéfices.

Au terme de ces discussions, les parties prenantes se sont accordées sur la définition d’un échantillon composé de 127 albums de nouveautés commercialisés en 2014, sélectionnés de manière à refléter la diversité de la production phonographique. Chacun de ces albums a fait l’objet d’une double analyse portant, d’une part, sur les dispositions contractuelles encadrant la rémunération des artistes-interprètes (taux, assiettes, abattements, avances) et, d’autre part, sur les flux financiers (coûts de production et de promotion, et revenus issus de l’exploitation jusqu’en juin 2016).

La présentation des résultats distingue les albums produits par des producteurs indépendants (TPE et PME) et ceux produits par les majors. En effet, ces deux échantillons ont été construits selon des méthodologies différentes, ce qui empêche d’agréger les résultats. Par ailleurs, si le champ de l’étude couvre également les contrats de licence qui représentent une proportion significative de la production, les résultats détaillés ci-dessous ne traitent que des contrats d’exclusivité.

Les résultats de l’étude, et en particulier de l’analyse financière, doivent être interprétés avec précaution compte tenu des limites méthodologiques suivantes :

  • les albums analysés sont régis par des contrats plus ou moins anciens (et, en tout état de cause, antérieurs à 2014) qui ne reflètent pas toujours la réalité des pratiques actuelles ;
  • l’analyse se limite à l’exploitation, sur une période de 18 à 30 mois après leur commercialisation, des albums récents. Elle ne prend en compte ni les revenus du « back catalogue » qui contribuent à l’équilibre du modèle économique des producteurs, ni l’exploitation des catalogues internationaux ;
  • l’étude ne prend pas en compte les revenus tirés des contrats de production scénique et d’édition, ni les droits voisins versés aux producteurs comme aux artistes interprètes ;
  • l’évaluation de la rentabilité des projets prend en compte un taux forfaitaire de frais généraux, estimé par le SNEP et l’UPFI à 31,9 % des revenus tirés des ventes physique et digitale des producteurs (majors et indépendants). De manière symétrique, un taux forfaitaire estimé à 28% par la GAM et l’ADAMI a été appliqué à la rémunération des artistes.
  • L’assiette de calcul des redevances diffère selon que le producteur s’auto-distribue ou non. En cas de distribution par un tiers, ce qui est en général le cas pour les producteurs indépendants, l’assiette est nette des coûts de distribution, ce qui n’est pas le cas des majors qui sont toutes auto distribuées. Les taux des deux études ne sont par conséquent pas directement comparables.

S’agissant des albums produits par les producteurs indépendants dans le cadre d’un contrat d’exclusivité, l’analyse contractuelle montre que le taux de redevance moyen (avant abattement) s’élève à 10,4% pour l’exploitation physique, 14,3% pour le téléchargement, et 10,6% pour le streaming. Dans la majorité des cas, ces taux subissent des abattements qui s’élèvent par exemple à 34,4% en moyenne pour les ventes à l’export et à 26,2% pour les campagnes publicitaires sur le territoire français.

L’analyse financière, quant à elle, montre que le taux de marge des producteurs indépendants sur les nouveaux projets s’élève en moyenne à -18,3%. Les revenus des artistes (avances non recoupées et cachets compris) correspondent en moyenne à 13,3% de l’ensemble des revenus du producteur (aides comprises) ; et à 24,4 % du chiffre d’affaires issu de l’exploitation de l’album hors aides perçues, soit respectivement 9,6% et 17,5% après prise en compte des frais généraux de l’artiste.

S’agissant des albums produits par les majors dans le cadre d’un contrat d’exclusivité, l’analyse contractuelle montre que le taux de redevance moyen (avant abattement) s’élève à 10,7% pour l’exploitation physique, 10,9% pour le téléchargement et le streaming. Dans la majorité des cas, ces taux subissent des abattements qui s’élèvent par exemple à 36,5% en moyenne pour les ventes à l’export et à 24,3% pour les campagnes publicitaires sur le territoire français.

L’analyse financière, quant à elle, montre que le taux de marge des producteurs majors sur les nouveaux projets s’élève en moyenne à -41,4%. Les revenus des artistes (avances et cachets compris) correspondent en moyenne à 13,2% de l’ensemble des revenus du producteur (aides comprises) ; et à 17,3% du chiffre d’affaires issu de l’exploitation de l’album hors aides perçues, soit respectivement 9,5% et 12,4% après prise en compte des frais généraux de l’artiste.

Une synthèse de l’étude est jointe au présent communiqué.

La DGMIC remercie l’ensemble des parties prenantes pour leur implication dans la conduite de cette étude. Elle apporte un éclairage précieux et inédit sur les pratiques contractuelles et sur la répartition des flux financiers entre producteurs et artistes. Pour la première fois, producteurs et artistes disposent d’un diagnostic partagé, fondé sur une méthodologie conçue collectivement.

Cette étude constitue une photographie d’une réalité économique à un instant précis, qui mériterait d’être actualisée afin d’identifier les transformations à l’œuvre dans un secteur dont les modèles économiques évoluent rapidement. À cet égard, il serait intéressant d’évaluer les effets de la dynamique plus récemment observée sur les revenus du streaming qui s’approchent aujourd’hui de ceux du physique. En outre, elle ne saurait épuiser à elle seule la question complexe du « partage de la valeur », qui renvoie aussi au partage des revenus entre services de musique en ligne, plateformes numériques et ayants droit. Ce constat confirme l’intérêt d’une meilleure structuration de l’observation économique de la filière musicale.