Monsieur le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, cher Pierre-François Racine,

Madame la vice-présidente, chère Anne-Elisabeth Crédeville,

Mesdames et Messieurs les personnalités qualifiées,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur,

 

Je suis très heureuse et honorée de vous retrouver ce matin en séance plénière du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.

J’ai eu la semaine dernière le plaisir de présenter en Conseil des ministres la réforme des règles du contrat d’édition, qui fait entrer ce dispositif essentiel du code de la propriété intellectuelle dans le XXIème siècle, en posant les règles  applicables à l’édition numérique et en renforçant la transparence des relations contractuelles. C’est une réforme exemplaire sur le fond, pour les auteurs comme pour les éditeurs, et dans la méthode, puisqu’elle a été obtenue dans le consensus et par la concertation. Je sais tout ce que cette réforme doit à votre Conseil supérieur, Monsieur le Président, et à vous tout particulièrement, cher Pierre Sirinelli, qui avez conduit ces travaux.

Mais le contrat d’édition n’est qu’un des nombreux sujets sur lesquels vous avez travaillé au cours des dernières années. Vous vous êtes tout particulièrement mobilisés ces derniers mois pour réfléchir aux sujets d’avenir les plus brûlants dans une perspective européenne.

Vous avez su vous saisir des enjeux posés par la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne, avec votre commission sur le marché de l’occasion numérique, conduite par Mmes Josée-Anne Bénazéraf et Joëlle Farchy, mais aussi plus largement de tous les débats européens sur le droit d’auteur.

Je salue en ce sens tout particulièrement les deux missions qui rendent aujourd’hui leurs conclusions sur l' « exploration des données » (« text and data mining »), grâce à Maître Jean Martin, et sur « les créations transformatives » avec le travail mené à bien par Mme Valérie-Laure Benabou. Ces deux sujets, l’un tourné davantage vers les usages du monde de la recherche et de l’économie, et l’autre vers les pratiques de partage et de création culturelles, sont au cœur des débats de société sur l’avenir du droit d’auteur. Grâce à la réflexion que vous avez animée et aux conclusions que vous livrez, la France va pouvoir continuer à porter une voix forte dans des débats européens essentiels.

Faire entendre cette voix de la France dans les débats européens sur le droit d’auteur est justement tout l’objet du rapport de la mission que vous présentez aujourd’hui, cher Pierre Sirinelli.

Pour atteindre cet objectif dans les si vifs et si complexes débats européens sur le droit d’auteur, il y a maintenant une contribution française essentielle, le « Rapport Sirinelli ». Vous y faites preuve de la liberté d’analyse et de ton qui est la marque du monde académique, mais aussi de l’expérience professionnelle et de la sensibilité culturelle et politique qui sont les vôtres. Vous montrez que l’Ecole française du droit d’auteur, qui a tant fait pour la définition et la protection de ce droit, en Europe et dans le monde, est encore aux avant-postes de la réflexion sur sa modernisation à l’ère numérique.

Sans revenir point par point sur la matière si riche que vous venez de présenter, et sur laquelle, j’en suis sûre, vous allez tous engager des débats passionnants, je souhaite partager avec vous quelques grandes convictions qui me guideront dans le débat qui s’ouvre sur le droit d’auteur en Europe.

Ma première conviction, c’est qu’une partie de l’avenir du droit d’auteur en Europe se joue dans l’année qui vient. Jean-Claude Juncker a clairement fait connaître sa volonté de réforme.

Je sais que beaucoup de créateurs et d’organisations professionnelles en Europe et en France sont inquiets. De nombreuses voix, parmi les auteurs et éditeurs de livres ou encore parmi les cinéastes (je pense notamment à Bertrand Tavernier) se sont élevées pour appeler à la vigilance. J’ai entendu ces voix et je les comprends.

La France a toujours clairement fait savoir qu’elle n’était pas convaincue par les arguments en faveur de la réouverture de la directive de 2001. Il reste un fait indubitable : la Commission européenne veut cette réouverture et trouvera des alliés au Parlement européen et parmi les Etats membres, pour rouvrir le sujet.

Je relève à ce titre que le Parlement européen a confié, parmi ses 751 membres, à la seule élue du Parti pirate, Mme Julia Reda, la responsabilité d’un rapport sur le sujet. Je ne suis pas certaine que ce soit le meilleur moyen de favoriser une réflexion sereine … mais, en tout cas le débat est ouvert !

Ma deuxième conviction, c’est que le débat européen est aujourd’hui biaisé, mal posé. Quelques contre-vérités flagrantes sont en effet trop souvent prises pour argent comptant.

On entend dire que le droit d’auteur serait une limite à l’innovation, qu’il serait contraire aux libertés, ou encore qu’il ne saurait pas évoluer. Bien sûr, on peut comprendre ce qui a parfois nourri de telles perceptions, lorsque certains secteurs ont été bouleversés par la transformation numérique, ou lorsque certains ont voulu opposer les créateurs et les internautes.

Et pourtant ces clichés sont fondamentalement erronés et dangereux. Destiné à faire vivre les auteurs et les artistes, le droit d’auteur est bien sûr l’allié de l’innovation, sa base même, puisqu’il permet la création des œuvres de l’esprit.

Fondé avant tout sur le contrat, le droit d’auteur est l’outil le plus souple qui soit pour faire face à toutes les évolutions technologiques et économiques. Le droit d’auteur a su, grâce à cette souplesse, accompagner le déploiement des services de distribution numérique qui ont révolutionné l’accès à la culture.

Et c’est justement parce que le droit d’auteur incarne cette extraordinaire modernité qu’il est aujourd’hui crucial que la France reste à l’avant-garde dans sa défense et ses évolutions.

Ma troisième conviction, est justement que, dans cet effort pour cesser les faux procès et ouvrir les vrais débats, nous avons un rôle déterminant à jouer.

Par ce « nous », j’entends tous les participants qui sont autour de cette table aujourd’hui et leurs organisations européennes ; par ce « nous », j’entends également le Gouvernement français, car la France est toujours attendue sur ces sujets; enfin, par ce « nous », j’entends aussi l’ensemble des ministres de la culture de l’Union européenne, car les impératifs culturels doivent être au premier plan des priorités de mes collègues.

Soyez certains que ma mobilisation sera entière. Je peux d’ores et déjà vous annoncer que, avec ma collègue Monika Grütters, Déléguée du Gouvernement fédéral allemand pour la culture et les médias, j’ai pris l’initiative d’un courrier conjoint des ministres de la culture à la nouvelle équipe de la Commission européenne. Le droit d’auteur en est évidemment l’un des tout premiers enjeux. Ce courrier est en cours d’examen par mes homologues européens, qui sont déjà plusieurs à nous avoir dit leur soutien.

Ces vrais débats que nous devons ouvrir sont finement décrits par le rapport de Pierre Sirinelli. Je souhaite insister ici sur celui du partage de la valeur dans l’univers numérique. Il faut se poser la question de la contribution de tous les acteurs qui bénéficient de la diffusion des œuvres, et veiller à tous les mécanismes qui nourrissent la créativité en Europe, en particulier les droits exclusifs mais aussi des mécanismes comme la copie privée, qui est si importante à mes yeux.

Il faut aussi ouvrir le débat de la lutte contre le piratage et de la mise en œuvre des droits, en impliquant, ici encore, tous les acteurs, des ayants droit aux hébergeurs, des moteurs de recherche aux fournisseurs de solution de paiement ou aux professionnels de la publicité. C’est seulement si l’on traite tous ces aspects que l’on pourra trouver des solutions efficaces et équilibrées : l’objectif ne doit pas être de donner quelques coups de canifs au dispositif européen en matière de droit d’auteur, mais bien plutôt de prendre un peu de recul et d’en consolider la structure en posant toutes les questions qui le méritent au regard des évolutions économiques et technologiques.

La quatrième conviction dont je souhaite vous faire part, c’est que, dans tout ce débat, la France n’est pas en retard, arc-boutée sur des convictions passéistes, mais au contraire en avance, vraiment clairvoyante sur ce qui fera l’avenir de l’Europe : la connaissance, l’innovation et la culture. C’est en promouvant le droit d’auteur que nous assurerons la place de l’Europe dans l’économie mondiale de la connaissance, de même que c’est en inscrivant enfin la culture dans la Stratégie Europe 2020 que nous valoriserons nos atouts les plus précieux.

Notre mobilisation ne pourra être efficace que si elle est accompagnée par le secteur culturel, français bien sur, mais également européen. Pour défendre nos intérêts, nous aurons besoin d’appuis, d’alliés. Votre action auprès de vos homologues européens, leurs démarches auprès de leurs gouvernements et à Bruxelles seront autant de conditions de notre succès.

Je voudrais relever des éléments positifs pour nous accompagner dans la défense de notre conviction. Je pense au spectaculaire retournement de nos amis britanniques, qui après avoir pris parti pour le rapport Hargreaves (2011), ont pris maintenant  conscience de l’atout que représentent leurs industries culturelles. Je pense aussi aux déclarations du nouveau Commissaire à l’Economie et à la société numériques, chargé du droit d’auteur, M. Oettinger, sur la nécessité de faire participer les plus grands acteurs du numérique à la rémunération de la création.

Cela a été l’un de mes principaux combats dans mes précédentes fonctions que de faire prévaloir pour les plateformes numériques une obligation de traitement ouvert et non discriminatoire, ce qui implique un respect du droit d’auteur et des exigences de promotion de la diversité culturelle.

Le rapport du Conseil d’Etat, avec ses propositions sur le statut des plateformes, va dans le même sens. Il reste évidemment  beaucoup à faire pour concrétiser ces orientations mais je suis certaine que le rapport remis par Pierre Sirinelli, dont j’ai d’ores et déjà lancé la traduction en anglais, pèsera puissamment en ce sens. Je souhaite que celui-ci retourne désormais, muni de ce rapport, à Bruxelles et dans les capitales européennes pour faire vivre le débat européen sur ces questions.

Tout cela m’incite à conclure par un appel à l’innovation et au courage. Dans un débat européen trop souvent caricatural, il faut avoir le courage d’engager la réflexion, et peut-être de remettre en cause de ce qui peut souvent nous apparaitre comme des évidences.

Nous devons travailler sur les demandes d’exception, comme l’ont fait Jean Martin et Valérie Laure Benabou sur l' « exploration des données » (« text and data mining ») et sur les œuvres transformatives. Elles peuvent répondre à de vraies demandes de la société et doivent être entendues. C’est évidemment le cas de l’accès des personnes handicapées aux œuvres, pour lequel je suis fière que la France ait signé le traité de Marrakech, ou encore de l’exception pédagogique ou de celles en faveur des bibliothèques.

Mais il faut pour cela une méthode sérieuse, attentive aux enjeux de rémunération de la création et de diversité culturelle, fondée sur l’expertise et la concertation.

Telle est la méthode illustrée par les rapports examinés aujourd’hui  par votre Conseil supérieur. Je vous en remercie sincèrement.