La France a signé le 7 mai 1999 la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais ne l’a pas ratifiée. Pour relancer le processus de ratification qui permettrait de l'appliquer, le Gouvernement a présenté, le 31 juillet dernier, un projet de loi constitutionnelle qui sera prochainement débattu au Parlement. Loïc Depecker, délégué général à la langue française et aux langues de France, revient sur un dispositif important qui « permettrait aux langues régionales de se développer de façon positive ».

Quels sont l’objectif et le contenu de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ?

Adoptée le 25 juin 1992 par le comité des ministres du Conseil de l’Europe, la Charte vise à protéger et à promouvoir les langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe. Son objectif est d’ordre essentiellement culturel. Elle présente un ensemble de 98 mesures, qui vont de la reconnaissance des langues à leur protection, en passant par leur utilisation dans l’espace public et privé, jusqu’aux relations des citoyens avec l’administration. Les États signataires de la Charte s’engagent à appliquer au moins 35 des 98 mesures proposées.

Quelles sont les langues concernées, et celles qui n’entrent pas dans le cadre de la Charte ?

La Charte concerne les langues pratiquées traditionnellement sur le territoire d’un État. La Charte entend par « langue régionale » une « langue pratiquée traditionnellement sur un territoire d’un État » ; et par « langue minoritaire » une langue moins « pratiquée traditionnellement sur un territoire d’un État ». La Charte concerne aussi « les langues dépourvues de territoire », à savoir les langues qui ne peuvent être rattachées à un territoire particulier. En revanche, elle ne concerne pas les « dialectes de la langue officielle d’un État ». Le terme de dialecte est cependant à interpréter avec précaution, car il s’agit essentiellement d’une notion de grammaire historique. Par exemple, nul ne reconnaît aujourd’hui en France de « dialectes » du français. La Charte ne concerne pas non plus ce que le Conseil de l’Europe désigne comme « les langues de migrants », soit, selon ses termes, « les langues liées à des phénomènes de migration récents ».

La France a fait de la question des langues l’un des éléments de son engagement pour le développement démocratique de l’Europe

Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il rendu dans le passé une décision défavorable à la ratification de la Charte ?

Dans une décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a estimé que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires comportait des clauses contraires à la Constitution. Il a notamment jugé que la Charte « confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées », ce qui, selon lui, « porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ». 

Pourquoi le processus de ratification est-il relancé aujourd’hui ?

Le 28 janvier 2014, le processus de ratification de la Charte a été remis à l’ordre du jour par une proposition de loi adoptée à une large majorité par l'Assemblée nationale (361 voix pour, 149 contre). Le Sénat n’a pas, par la suite, examiné cette proposition. Le Gouvernement a donc décidé de relancer la procédure sous la forme d'un projet de loi constitutionnelle. Ce projet a été présenté par la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, au Conseil des ministres du 31 juillet 2015 : « Conformément aux articles 1er et 2 de la Constitution, la République est indivisible et sa langue est le français. Ces principes interdisent qu’il soit reconnu des droits propres à certaines communautés, distinctes du corps national. En revanche, ces principes n’interdisent pas de faire vivre le patrimoine culturel, et donc linguistique de la France » et d’en reconnaître la richesse et la diversité. La France rejoindrait ainsi les 25 États qui ont d’ores et déjà souscrit à cette Charte.

La ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires serait un acte symbolique fort

Que changerait la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires par la France ?

La ratification de la Charte serait un acte symbolique fort. En France, il permettrait aux langues régionales de se développer de façon positive. À l’extérieur, cette ratification donnerait un signe supplémentaire de la volonté de la France de construire une Europe où la diversité des langues serait pleinement reconnue et son patrimoine pleinement protégé. La ratification permettrait donc une meilleure reconnaissance de la richesse linguistique de la France, aussi bien à l’intérieur de son territoire, que vis-à-vis de ses partenaires européens. Par ce geste, la France répondrait également aux inquiétudes de l’Unesco, qui note depuis plusieurs années que près d’une trentaine de langues sont en France « en danger », voire « sérieusement en danger ». La ratification de la Charte serait là aussi une décision de portée internationale. La France est reconnue comme un pays d’excellence pour la sauvegarde de son patrimoine ; ce serait une avancée qu’elle le soit aussi pour la sauvegarde de son patrimoine immatériel.

Quelle est la portée précise des 39 mesures de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires auxquelles la France a souscrit ?

La France a fait de la question des langues l’un des éléments de son engagement pour le développement démocratique de l’Europe. Nombre de mesures énoncées par la Charte sont déjà mises en œuvre sur son territoire, aussi bien en métropole que dans les Outremers. C’est le cas notamment en matière d’enseignement, grâce à l’action du ministère de l’Éducation nationale. Le ministère de la Culture et de la Communication participe également depuis longtemps à des actions de soutien et de mise en valeur des langues parlées sur le territoire de la République. Ces actions participent d’une meilleure reconnaissance des valeurs portées par la culture de chaque citoyen, différent, mais uni dans la République.

Les 39 mesures de la Charte retenues par la France

La France a signé le 15 juin 1999 un ensemble de 39 mesures contenues dans la Charte. Ces mesures impliqueraient, en cas de ratification de cette Charte :

> de favoriser l’apprentissage des langues régionales ou minoritaires dans les cursus d’enseignement préscolaire, scolaire, universitaire, ainsi que dans l’enseignement technique ;

> de favoriser la traduction des textes législatifs les plus importants ;

> de favoriser l’adoption de noms de lieu en langue régionale ou minoritaire sur les territoires où elles sont concernées ;

> de favoriser les émissions de radiotélévision en langues régionales ou minoritaires ;

> de favoriser le maintien d’organes de presse dans ces langues ;

> de soutenir la formation de journalistes dans ces langues ;

> de soutenir la traduction des langues régionales ou minoritaires dans d’autres langues ;

> de donner à ces langues une place dans les activités culturelles, en France ou à l’étranger.