Programmation, nominations, enseignement, moyens de production, salaires... Pour la deuxième année, l'Observatoire de l'égalité femmes-hommes publie ses statistiques très attendues. Les explications de Nicole Pot, haut-fonctionnaire à l'égalité.


L'an dernier, Aurélie Filippetti avait rendu publics les premiers travaux de l'Observatoire de l'égalité femmes-hommes. Ils étaient, aviez-vous dit alors, « sans appel ». Un an après, le ministère de la Culture et de la Communication publie les statistiques pour l'année écoulée. Globalement, comment les qualifieriez-vous ?

Au cours de l’année 2013, nous avons constaté un début d'évolution. Certains résultats – notamment ceux qui concernent les nominations dans le spectacle vivant – en témoignent. Pour autant, nous restons lucides : pour ce travail de fond, il ne fallait pas s’attendre à une inversion spectaculaire de la situation en une seule année. Ce qui me semble particulièrement important, au-delà des résultats, c’est qu’aujourd’hui on puisse disposer de statistiques précises, actualisées chaque année. En faisant éclater la vérité des chiffres au grand jour, je suis persuadée qu’on favorise une prise de conscience des différents décideurs culturels, qu’ils soient publics ou privés.

La démarche résolument volontariste d’Aurélie Filippetti semble avoir porté ses fruits, notamment dans le spectacle vivant…

En demandant que les listes restreintes pour le choix des dirigeants des Centres dramatiques nationaux soient paritaires, la ministre a permis un infléchissement substantiel de la situation. Sur douze postes à pourvoir, six ont été confiés à des femmes. Toujours dans le spectacle vivant, Aurélie Filippetti a également retenu les candidatures de Mathilde Monnier au Centre national de la danse, de Catherine Dan à la Chartreuse-les-Avignon et, de façon peut-être encore plus symbolique, de Claire Lasne Darcueil, première femme nommée à la tête du Conservatoire national supérieur d’art dramatique en deux cents ans d’existence… Et, fait remarquable, on a pu constater que le nombre des candidates s'était fortement accru, comme si une barrière avait sauté. Le message est clair : on a montré aux femmes qu'il était possible pour elles d'accéder aux postes de responsabilité.

Parmi les nouveautés du rapport 2014, l'Observatoire a étendu le champ de ses investigations aux secteurs du patrimoine, du livre, de la presse et de l'audiovisuel. L'extension de ce champ a-t-elle modifié le constat global ?

L'élargissement à de nouveaux secteurs conforte les premières analyses. On y voit en particulier à quel point les femmes échappent à la consécration artistique, quel que soit le champ : à titre d'exemple, une seule femme a remporté la palme d'or à Cannes depuis la création du festival, 23% de femmes ont été lauréates des prix littéraires les plus emblématiques depuis leur création... En revanche, on observe que la responsabilité du commissariat des grandes expositions est proche de la parité.

Au niveau des indicateurs concernant la programmation artistique, les évolutions constatées sont souvent peu significatives, voire témoignent d'un statu quo. Par exemple, les femmes sont nommées à la tête de structures de moindre importance, elles sont faiblement représentées dans les acquisitions des FRAC et ne représentent qu'un réalisateur sur cinq au cinéma et moins d'un réalisateur sur dix dans l'audiovisuel. Comment expliquez-vous cette absence d'évolutions significatives ?

Le temps de la programmation – comme celui de l'évolution des mentalités – est très différent de celui des nominations. Les programmations de saisons artistiques ont été réalisées il y a deux, voire trois ans. On ne peut pas avoir la même prise sur elles que l'on a eu, par exemple, sur les nominations. En même temps, il est essentiel d'être très vigilants et de donner des impulsions fortes. Par exemple, nous avions constaté en 2012 que « C dans l’air », une émission emblématique de débats de société diffusée sur France 5, ne comprenait aucune femme parmi les experts. En 2013, on a pu observer certains soirs la présence d'un tiers de femmes expertes sur le plateau de l'émission.

Dans le secteur musical, les résultats de l'enquête font apparaître un certain retard...

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 6% des opéras sont dirigés par des femmes et 1% seulement dans le cas des orchestres permanents ! Et ces résultats ne concernent pas seulement la musique classique. On ne compte, par exemple, que 13% de femmes à la tête des Scènes de musiques actuelles. Pour comprendre ce retard, on peut certainement faire appel au poids des stéréotypes et des représentations sexistes encore ancrées dans notre société. Mais il faut approfondir la question du monde musical, de ses spécificités, identifier ce qui fait problème pour trouver des leviers d'action adaptés.
 
A l'inverse, l'Observatoire de l'égalité constate qu'il y a de plus en plus de jeunes femmes dans l'enseignement supérieur culture, où elles représentaient 60% des étudiants en 2013. Est-ce un « marqueur » important pour identifier les professionnelles de demain ?

En effet. C'est sans doute le résultat le plus encourageant de l'étude. S'il est le signe d'un mouvement d'ensemble de la société – la féminisation croissante de l'enseignement supérieur – ce résultat est particulièrement remarquable dans le domaine culturel (55 % de jeunes femmes dans l'enseignement supérieur contre 60 % pour l'enseignement supérieur culture). Il porte le germe une réelle évolution des mentalités, qui va plus loin qu'un simple accès au savoir. Le signe que l'objectif de parité est accessible.