Évolution des bibliothèques, extension des plages horaires, ouverture le dimanche... Les table-rondes organisées le 21 septembre dans le cadre de la mission Orsenna ont tenu toutes leurs promesses devant un public de professionnels et d'élus particulièrement attentif. Compte-rendu.

C’est dans une bibliothèque conçue au XXe siècle - la Bibliothèque publique d’information (Bpi), installée au cœur du Centre Pompidou - que s’est tenu, jeudi 21 septembre, le premier rendez-vous national de la mission Orsenna destiné à préfigurer les contours de la bibliothèque du XXIe siècle. Derrière le symbole, il faut voir dans ce choix la volonté d'inscrire aujourd'hui l'ensemble du réseau de bibliothèques dans une nouvelle ère, celle de la "modernité". "Il y a quarante ans, l'invention de la Bpi avait révolutionné le monde des bibliothèques, mais elle était restée un cas isolé", observent Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou, et Christine Carrier, directrice de la Bibliothèque publique d'information.

Aujourd'hui, l'enjeu est d'ouvrir plus et mieux les bibliothèques (Françoise Nyssen)

Inventer un nouveau modèle de bibliothèques

C'est aussi une "petite révolution" que promet Françoise Nyssen avec le lancement, le 8 septembre à Rennes, de la mission Orsenna sur les bibliothèques. "Si la fréquentation des bibliothèques a fortement progressé en vingt ans (40% des Français en avaient fréquenté au moins une en 2016 contre 25% en 1997), il n'en reste pas moins que ce résultat reste très insuffisant. Aujourd'hui, l'enjeu est d'ouvrir plus et mieux les bibliothèques", souligne la ministre de la Culture, en estimant que "la question des horaires sera au cœur de la réflexion, plus d'un jeune sur deux souhaitant s'y rendre après 18 h". Côté qualitatif, les "16 000 bibliothèques, qui ont un rôle majeur à jouer dans la cohésion de nos territoires, ont vocation à devenir de véritables maisons de service public culturel", insiste-t-elle.

Pour répondre à ces "défis", la ministre entend s'appuyer sur une "méthode", qui sera mise en œuvre lors du tour de France réalisé par Erik Orsenna. Cette méthode repose sur trois éléments : la confiance ("aucune évolution ne se fera sans une étroite concertation avec les professionnels et les élus"), le pragmatisme ("il faut partir de la réalité de terrain") et la cohérence ("il faut que l'Etat mette à disposition des moyens"). A ce sujet, la ministre a confié deux missions aux inspections générales des affaires culturelles et des finances dans le but d'évaluer le cadre de l'intervention de l'Etat. Françoise Nyssen a également précisé les deux temps forts du calendrier : à la fin de l'année, Erik Orsenna livrera un premier bilan de son tour de France ; en mars 2018, lors d'états-généraux des bibliothèques, la ministre fera des préconisations en fonction des résultats des missions des inspections générales.

Ouvrir plus nos bibliothèques : paroles d'élus

Les lieux de lecture publique, la ville de Nice n'en manque pas. "Avec 13 bibliothèques, dont 2 centrales et 11 de quartiers, auxquelles il faut ajouter 25 bibliothèques associatives, la force de notre proposition réside dans la mise en réseau", confie Jean-Luc Gagliolo, conseiller municipal de Nice, délégué aux affaires culturelles. Mais pour que chacun puisse avoir accès aux bibliothèques, notamment les plus jeunes, ce dispositif, pour conséquent qu'il soit, n'est pas suffisant. C'est pourquoi la ville de Nice se propose de "susciter le désir", en jouant la carte de l'attractivité.

Gagner de nouveaux publics, c’est aussi l’ambition d’un département rural comme le Finistère, qui a multiplié "les points d’accès à la lecture publique", détaille Nathalie Sarrabezolles, présidente du conseil départemental du Finistère. Avec une spécificité : "nous prenons soin d’allier offres de lecture et outils de solidarité", notamment en allant à la rencontre des lecteurs en dehors de la bibliothèque, par exemple chez le coiffeur ou le kinésithérapeute. Ce que confirme Jean-Marc Puchois, maire de Lampaul-Guimiliau et conseiller départemental du Finistère : dans sa commune rurale, dont il relève avec fierté qu'elle compte "800 adhérents à la bibliothèque sur 1200 habitants", le "lien social" est, là aussi, essentiel.

Faut-il, pour gagner ces publics, étendre les horaires d’ouverture de toutes les bibliothèques de l'Hexagone ? La réponse de Déborah Munzer, présidente de la Fédération nationale des collectivités pour la culture et maire-adjointe de Nogent-sur-Marne, est très claire : "il faut ouvrir différemment", plaide-t-elle, c'est-à-dire en faisant du sur-mesure et en s'adaptant aux réalités du terrain.

Expériences d'élargissement d'horaires : enjeux, méthodologie, évaluation

L’extension des horaires d'ouverture des bibliothèques nécessite-t-elle toujours une réelle politique territoriale ? C'est l'avis de Nathalie Moigne, responsable de la bibliothèque de Lampaul-Guimiliau, qui indique que l'ouverture le dimanche a coïncidé dans sa commune avec la nécessité de s'adapter à la "fréquentation familiale". C'est aussi celui de François Cavard, directeur général des services de la ville du Havre, qui souligne que le maire de l'époque, Édouard Philippe, avait fait de "la lecture, une priorité". Pour autant, même si elle est le fruit d'une politique réfléchie, "l'extension des horaires des bibliothèques n'est pas un long fleuve tranquille", assure Sylvie Robert, sénatrice d'Ille-et-Vilaine, auteur en 2015 d'un important rapport sur l'ouverture des lieux de lecture publique. Cette extension n'est évidemment pas impossible (voir l'exemple réussi du Havre sur la base du volontariat), même si la négociation sur les moyens financiers et humains est toujours longue et complexe. Sans ces moyens, prévient Xavier Galaup, président de l'Association des bibliothécaires de France et directeur de la médiathèque départementale du Haut-Rhin, "l'enthousiasme des bibliothécaires à faire progresser leur métier n'est rien".

Et du côté des bibliothèques universitaires ? Pour ces équipements dont les usages sont différents de ceux des bibliothèques municipales, on est passé de 40 heures hebdomadaires d’ouverture en 1988 à 61 heures en 2016, pour une moyenne européenne de 65 heures, rappelle Alain Abecassis, chef du service de la coordination des stratégies de l’enseignement supérieur au ministère de l’Éducation nationale. "En trente ans, la transformation des bibliothèques universitaires a été considérable", affirme-t-il.

Bibliothèques au XXIe siècle : quelles missions pour quels publics ?

Face aux mutations en cours, les bibliothèques publiques ont-elles su s'adapter ? Pour Amaël Dumoulin, directrice des bibliothèques de Dunkerque, il faut "faire autrement" pour combiner deux paramètres, la baisse de la dotation des collectivités territoriales et le désir de gagner d'autres publics. Selon elle, "un gros travail de communication reste à faire, car les fonctions de bibliothécaire sont très méconnues". Pour Colette Modion, directrice du livre du département de la Loire, c'est du côté de la "formation" qu'on doit chercher les réponses. "Il faut qu'elle soit amplifiée, professionnalisée et diversifiée", insiste-t-elle. Même préoccupation du côté de Françoise Muller, directrice de la médiathèque de Moulins Communauté : "La difficulté à créer des postes pose une question : qu'est-ce qu'on arrête ? les activités culturelles ? les activités jeune publics ?" Autre sujet important, celui soulevé par Nicolas Galaud, directeur des bibliothèques et de la lecture publique de Bordeaux : comment les bibliothèques s'inscrivent-elles dans le territoire ? "Pour évoluer, il est nécessaire de mieux connaître les attentes des usagers afin de mieux faire connaître ce que sont les bibliothèques".

Erik Orsenna : "Une demande de lecture immense et croissante"

Après trois déplacements (à Rennes, Nancy et Strasbourg), Erik Orsenna a réservé ses premières réflexions sur la mission que lui a confié Françoise Nyssen au public de professionnels et d'élus réunis le 21 septembre au Centre Pompidou. "Depuis le début de la mission, nous avons rencontré une demande de lecture immense et croissante, a-t-il observé. C'est le premier enseignement que je tire. On aurait tort de ne pas s'en préoccuper. Car les lieux de livre, ce sont aussi des lieux de vivre ; autrement dit, ils ont une dimension de cohésion sociale qu'on ne saurait négliger. En ce qui concerne l'évolution des bibliothèques, j'ai une conviction : l'Etat ne doit pas dire la même chose à tout le monde. C'est pour cette raison que la ministre de la Culture m'a confié la mission d'aller dans les territoires, pour rencontrer  bibliothécaires et élus, mais aussi les usagers. Notre objectif ? C'est d'avoir la connaissance la plus fine de ce qui existe. Avec cette mission, nous allons montrer que la réponse de l'Etat peut être souple et adaptée aux réalités du terrain".