Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication, prononcé à l'occasion de la remise des insignesd'Officier de la Légion d’Honneur à Jean-Paul Viguier et deCommandeur dans l’ordre national du Mérite à Dominique Alduy

Cher Jean-Paul Viguier,
« À force de construire, me fit-il en souriant, je crois que je me suis
construit moi-même », écrit Paul Valéry que vous citez dans votre livre
sobrement intitulé Architecte.

Car dans les maquettes, qu’elles soient physiques ou dématérialisées par
l’informatique, il y a aussi tous les voyages de la vie d’un créateur, les
images de l’ailleurs, la présence de l’histoire, le souci humaniste, des sauts
vers le futur, des arbres et des jardins qui vont grandir, des vies projetées,
et tout le talent nécessaire pour que tout cela tienne debout.

Avec quelques deux millions de mètres carrés à son actif, Jean-Paul
Viguier est incontestablement un « architecte-star », comme on dit souvent
de vous, aussi bien en France qu’à l’étranger. Pour autant, votre travail ne
relève en rien des performances tapageuses. Au contraire, l’un de vos
premiers succès internationaux revient à l’élégance et à la simplicité
percutantes du Pavillon Français de l’Exposition Universelle de Séville, en
1992, évocation d’un abri primitif reposant sur une maestria technique et
fonctionnelle très remarquée. Le style Viguier s’est alors imposé sur la
scène internationale de l’architecture.

Sobriété, audace, réflexion, histoire sont les mots qui viennent aussitôt à
l’esprit au regard de votre oeuvre architecturale. Votre succès, vous le
devez en partie à votre combat contre ce que vous appelez les
« conservatismes » architecturaux français. Tout au long de votre carrière,
que ce soit pour le parc André Citroën pour lequel vous recevez avec vos
partenaires le Grand Prix du Moniteur des Villes, le siège social de Maroc
Telecom à Rabat ou l’hôtel Sofitel Water Tower de Chicago, vous avez
pour chaque type de bâtiment la même exigence en termes d’audace et
d’inventivité.

Vous déclarez à ce sujet « qu’il n’y a pas de bâtiment plus utile que les
autres ». « En France », rajoutez-vous, « on a mis beaucoup de temps à le
comprendre. » Votre rubrique au sein de la revue « Urbanisme » à laquelle
vous avez collaboré pendant huit ans, a poursuivi votre réflexion de
théoricien de l'architecture urbaine. Paris aura été au coeur de vos
inspirations depuis plus de vingt ans maintenant, et en retour, la Ville
Lumière a vu son paysage se transformer par touches successives, à
travers autant de jalons importants de sa mutation qui portent votre
marque.

De votre formation aux Beaux-Arts en France puis en planification urbaine
à l’Université de Harvard, vous avez gardé le goût des villes en constant
work in progress, dont les grandes métropoles américaines sont
l’illustration. La Défense était donc pour vous un terrain de jeu privilégié.

Votre projet du « Coeur Défense » auquel vous avez consacré près de dix
ans de votre vie témoigne de votre ambition pour une nouvelle génération
de tours.

Très attaché aux valeurs environnementales - à l’image notamment des
serres et des bambous du parc André Citroën, dont la réalisation vous
occupera plusieurs années avec Patrick Berger, Jean-François Jodry et les
paysagistes Alain Provost et Gilles Clément, ou des jardins qui seront
projetés tout au long de la future Tour Majunga de la Défense qui figure
parmi les chantiers majeurs actuellement portés par votre agence, aux
côtés de Lyon Clonfluence ou encore du Cancéropôle sur le site de l’usine
AZF de Toulouse, vous soutenez avec ferveur que tout bâtiment doit
« rendre visible les progrès » et faciliter grâce aux matériaux nouveaux les
exigences de haute qualité environnementale, notamment en termes de
réduction du coût énergétique. Une préoccupation que l’on retrouve dans
bon nombre de vos projets, dont le Centre Jane et Arthur Stieren au
Musée McNay de San Antonio, consacré à l’art moderne européen et
américain, où la lumière zénithale naturelle est traitée à travers un feuilleté
complexe de brise-soleil, de stores et de panneaux de verre sablé. Encore
une fois, épure et intelligence s’accordent pour des espaces aussi
lumineux et transparents qu’un éclat de verre, une matière pour laquelle
vous avez une très grande affinité, comme on peut le voir aussi dans votre
réalisation du siège de France Télévisions. Quelques exemples parmi
d’autres des réalisations majeures qui vous ont valu les plus hautes
distinctions, à commencer par le premier prix du jury du concours pour
l’Opéra Bastille, en 1981, le premier prix ex-æquo pour le projet Tête
Défense en 1983, ou encore votre mention à l’Equerre d’Argent en 1988
pour le bâtiment technique M19 d’Aubervilliers.

Votre réflexion sur la modernité se lie par ailleurs intimement à une
relecture singulière du passé, au service du patrimoine. Vous avez
redonné une nouvelle vie à la forme antique de l’atrium : je pense à celui
dont vous avez doté le siège de la Caisse des Dépôts à Boulogne-
Billancourt, ou encore celui de votre bâtiment place Vörösmarty à
Budapest. Je pense également au Site du Pont du Gard, que vous avez
revisité avec votre agence en le dotant de manière harmonieuse de son
musée d’archéologie ; ou encore à la médiathèque qui se fond avec le
parvis de la cathédrale de Reims dans un remarquable jeu de miroirs. Loin
des abstractions universalistes du XXème siècle, votre modernité ne peut
s’exprimer qu’à travers l’idée d’une contextualisation que vous défendez
ardemment et qui se mêle étroitement avec la fonction des bâtiments,
l’histoire et les cultures urbaines. À la manière par exemple du Rivage des
Syrtes de Julien Gracq, l’un de vos auteurs de référence, où la frontière
entre le passé et l’anticipation est indécidable.

À ces remarquables performances professionnelles, je veux ajouter votre
implication sans faille dans des actions d'intérêt public de premier plan,
pour lesquelles vous avez assumé en bénévole des responsabilités avec
un engagement exemplaire, notamment entre 1999 et 2002 comme
président de la prestigieuse Académie d'architecture.

Pour la richesse de votre apport à l’architecture et à l’urbanisme français,
pour votre contribution à son rayonnement international, pour l’élégance et
la beauté de votre démarche interdisciplinaire, au nom du Président de la
République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous
faisons Officier de la Légion d’honneur.
Chère Dominique Alduy,
Vous êtes depuis près de vingt ans l’une des personnalités centrales du
monde des médias français. Je suis très heureux de recevoir aujourd’hui
celle qui aura servi avec un très fort engagement les plus hautes fonctions
dans les domaines de la communication, de l’audiovisuel, de la presse et
de l’administration culturelle – un exemple aussi pour la féminisation des
postes clefs et des organes dirigeants pour laquelle la France a encore du
chemin à parcourir.

Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, d’études supérieures
des sciences économiques et de l’Université de Pennsylvanie, vous
débutez votre carrière à 23 ans, en 1967, au Centre de documentation sur
l’urbanisme du ministère de l’Equipement. Affectée à la direction
départementale des Alpes-Maritimes, l’excellence de vos services vous
vaut d’être nommée responsable des études financières sur les
collectivités locales et les équipements collectifs au service des affaires
économiques et internationales. Promue en 1976 chargée de mission
auprès du secrétaire général du Groupe central des villes nouvelles, vous
serez nommée responsable de la commission « Habitat et carde de vie du
VIIIème Plan » au Commissariat au Plan.

C’est forte de ces réussites et de vos expertises que vous êtes appelée au
Cabinet du Premier Ministre Pierre Mauroy pour prendre la charge d’une
mission sur la politique sociale, avant de rejoindre la Caisse des Dépôts et
Consignations comme directrice des programmes de la filiale consacrée au
développement, puis membre de son directoire à compter de 1985 et enfin
présidente de sa filiale câble, ainsi que de Médiacité.

Parfaitement à l’aise dans les arcanes de la politique comme dans les
relations avec les élus locaux, c’est ensuite au secteur de l’audiovisuel que
vous vous consacrez, en vous confrontant aux enjeux liés aux évolutions
technologiques et à la gestion de chaînes. Vous défendez devant le CSA
les dossiers de Canal Musique et de Canal Enfant, Canal J, que vous
dirigez pendant un an ; vous êtes alors également administratrice de la
SFP (Société française de production) et d’Arte France, qui en est alors à
ses débuts. Ces qualités vous valent d’être choisie en 1989 pour occuper
le poste de directrice générale de la Société nationale des programmes
France-Régions 3 et devenir président-directeur général de FR3 Films
Productions, puis de France 3 Cinéma, sans oublier votre présidence du
groupement d’intérêt économique de France 3 et de la Radio-télévision
belge francophone (RTBF), au sein duquel vous avez pris en charge la
production des programmes communs. Dans l’ensemble de vos fonctions
vous avez apporté un concours précieux et dynamique, qui a contribué à
changer les habitudes, en renouvelant les programmes, en garantissant la
liberté de programmation et en accroissant le rôle des régions et des
collectivités territoriales dans la télévision française.

Polyvalence, toujours : de décembre 1993 à mars 1994, vous exercez les
fonctions de Directrice générale du Centre Georges-Pompidou. Vous avez
ensuite mis vos compétences au service de la presse, et notamment de la
SARL Le Monde, dont vous serez pendant dix ans membre du comité
exécutif : éditrice du quotidien, de la Lettre du monde de l’éducation et de
plusieurs mensuels dont Le Monde de l’Education. Dans le secteur de la
presse là aussi, vous avez déployé des qualités d’administratrices
remarquables qui vous ont valu des responsabilités croissantes. À l’instar
du Monde, Les Cahiers du Cinéma, le Syndicat de la presse parisienne et
l’Agence France Presse sont passés dans les mains de l’administratrice
consciencieuse et déterminée que vous êtes. Un monde de la presse que
vous n’avez pas quitté des yeux, puisque vous êtes depuis 2008 la viceprésidente
de Cartooning For Peace, une initiative née au siège des
Nations-Unies et conçue par le dessinateur Plantu pour promouvoir
notamment des conférences destinées à « désapprendre l’intolérance ».

Selon la célèbre formule du Général de Gaulle dans Le fil de l’épée, «
l’autorité ne va pas sans prestige », et j’ajouterai sans compétence et sans
aptitude au jugement : vous exercez ces qualités à bon escient dans toutes
les responsabilités qui vous incombent, et notamment pour votre mandat
de juge au Tribunal de Commerce de Paris, auquel vous êtes élue en
octobre 2005.

La même année, vous revenez vers le monde des institutions culturelles,
en prenant la tête du Festival « Paris Quartier d’été », qui conforte la place
de Paris dans son éminent statut de capitale internationale des arts.

Depuis 2006, enfin, vous êtes à la tête du conseil d’administration du
Théâtre de la Ville, où vous accompagnez avec enthousiasme et
complicité la nouvelle politique de cet établissement remarquable dirigé par
le très talentueux Emmanuel Demarcy-Mota, qui a succédé sous votre
présidence à Gérard Violette.

En grande professionnelle, vous avez servi les domaines de l’édition, de la
presse écrite, de la communication audiovisuelle et les institutions
culturelles avec un sens de l’intérêt public et une ouverture d’esprit
remarquables. Par votre action, vous avez largement contribué à
l’évolution et à l’adaptation des entreprises et des établissements que vous
avez administrés, afin qu’ils restent pleinement en prise avec leurs publics
et notre société.

Chère Dominique Alduy, au nom du Président de la République, nous vous
faisons Commandeur dans l’ordre national du Mérite.