Cher Emmanuel Starcky,
Vous n’êtes pas Conservateur général du patrimoine par hasard. Votre
oncle, l’abbé Jean Starcky, fut un archéologue et un épigraphiste de
grande réputation, professeur d’araméen, directeur de recherches au
CNRS, éminent spécialiste du site de Palmyre qui fut directeur adjoint de
l’Institut français d’Archéologie. C’est cette figure de savant - figure
tutélaire pour ainsi dire qui, vous le dites souvent, vous a donné le goût de
la recherche, des collections, en d’autres termes de ce qui fait le coeur de
votre métier.
Après votre diplôme de l'Ecole du Louvre et un diplôme d'études
approfondies (DEA) d'histoire de l'art à l'université Paris IV Sorbonne, vous
êtes reçu au concours de conservateurs des musées de France en 1983.
Votre carrière se caractérise par la mobilité et la diversité des
établissements. Vous mobilisez vos talents avec exigence et passion, avec
une attention très forte pour les relations humaines, avec un très grand
sens de l’Etat et du service public. Vous exercez vos missions au musée
de Rouen, puis à l’inspection générale des musées avant d’entrer au
cabinet des dessins du musée du Louvre. En 1985, vous êtes nommé
responsable de la section des écoles du Nord, écoles allemande, des
anciens Pays-Bas, flamande, hollandaise et suisse.
Puis, en 1989, vous êtes nommé chef d’établissement du musée Magnin
de Dijon, avant de devenir Conservateur du musée des Beaux-Arts de la
ville, aux collections si riches, traduction de la place du duché de
Bourgogne, notamment à la fin du Moyen Age, sous la houlette de Philippe
le Bon et Charles le Téméraire. La direction de ces deux établissements
est une lourde responsabilité, dont vous vous acquittez avec rigueur et
efficacité.
En juin 2003, vous êtes nommé adjoint au directeur des Musées de
France, traduction de la reconnaissance de votre talent au sein de cette
grande administration. Depuis juin 2005, vous êtes directeur du service à
compétence nationale des musées et domaine de Compiègne et
Blérancourt.
Très attaché à l’amélioration des conditions d’accès des publics au
patrimoine et aux collections, vous veillez à renforcer les relations avec
tous les partenaires : les collectivités territoriales (commune,
agglomération, département, région), l’université technologique de
Compiègne, les institutions scolaires avec lesquelles des conventions de
partenariat sont déjà conclues, les entreprises locales et régionales pour
développer les actions de mécénat. À vos yeux, le musée est ouvert sur la
ville, sur la société, sur tous les publics : il est un lieu vivant, il est un lieu
de conservation mais aussi un lieu d’apprentissage et de transmission.
Vous oeuvrez activement au développement du château de Compiègne et
à la mise en valeur de ses collections, très nombreuses et surtout très
riches. Vous vous engagez notamment dans le projet de rénovation du
musée de la voiture et du tourisme, auquel vous le savez j’accorde une
attention toute particulière. Vous vous attachez également à développer
les musées du Second Empire et à faire découvrir la vie de cour sous
Napoléon III, cette « fête impériale » raillée par Victor Hugo et
l’historiographie de la IIIe République, qui fait oublier le rôle de l’Empereur
dans le développement industriel et ferroviaire du pays comme dans les
relations européennes, à l’image de son engagement militaire aux côtés de
Cavour et du Piémont-Sardaigne dans la construction du projet unitaire
italien, à partir de la bataille de Solferino et de San Martino (juin 1859).
Vous êtes un conservateur particulièrement ouvert aux partenariats
européens, notamment avec les pays de l’Europe centrale et orientale, où
votre talent est d’ailleurs reconnu et distingué. Ainsi une exposition
consacrée aux collections de Nicolas II Esterhazy, prince hongrois a-t-elle
remporté un franc succès. Ce thème des arts en Europe s’est poursuivi en
2009 avec l’exposition consacrée à Napoléon III et les principautés
roumaines, après celle présentée en 2008 sur Napoléon III et la Reine
Victoria. Dans la plupart des cas, vous avez eu le souci de montrer la
complexité et les ambivalences d’une politique qui, héritière du passé de
carbonaro et de saint-simonien de Louis-Napoléon, n’en fut pas moins
soucieuse des équilibres européens imposés par le Congrès de Vienne en
1815. A Compiègne, Napoléon III chasse, danse, reçoit, mais il tisse aussi
les fils d’une nouvelle cartographie des puissances en Europe, non sans
hésitations et contradictions.
En 2010, vous programmez la première grande rétrospective sur
l’impératrice Marie-Louise avec une exposition marquant le bicentenaire du
mariage de Napoléon : 1810, la politique de l'amour. Marie-Louise et
Napoléon Ier à Compiègne.
Parallèlement à ces grands évènements, des expositions-dossiers sont
organisées chaque année et de nombreuses manifestations sont
proposées sur le site, comme les Automnales, série de concerts évoquant
ceux programmés à Compiègne du temps de Napoléon III et l’impératrice
Eugénie. Vous faites ainsi en sorte de mettre en valeur le parc redessiné
par Berthault en 1811, élément indissociable de ce patrimoine. Votre
engagement personnel et votre action depuis votre arrivée à Compiègne
sont unanimement reconnues. Ils ont permis d’améliorer très fortement la
fréquentation du château qui est passé de 70 000 visiteurs en 2005 à
100 000 visiteurs en 2009.
Je ne voudrais pas oublier votre action au musée franco-américain de
Blérancourt, dans l’Aisne, placé sous votre responsabilité, dont je sais que
vous suivez avec attention le projet d’extension, dans un contexte que je
sais parfois difficile. Je connais votre engagement afin de faire renaître ce
lieu, ce témoignage de l’amitié franco-américaine de la guerre
d’indépendance aux tranchées de la Grande Guerre. Né de la volonté
d’Anne Morgan, fille du célèbre banquier américain John Pierpont Morgan,
mobilisée en faveur des populations civiles françaises avec le Comité
Américain pour les Régions Dévastées (CARD), ce musée traverse depuis
3 ans une phase de réorganisation. Je sais pouvoir compter sur votre sens
de l’initiative et de la diplomatie afin de préserver, en lien avec le
conservateur présent sur place, la confiance des nombreux mécènes
américains et français qui le soutiennent.
Parce que vous êtes un homme de projets, parce que vous êtes un
serviteur exemplaire des missions assignées au service des Musées de
France, parce que vous êtes un conservateur qui a toujours servi le
rayonnement des établissements où il a exercé, cher Emmanuel Starcky,
au nom du Président de la République, nous vous faisons Chevalier dans
l'ordre national du Mérite.
Cher Georges Agniel,
Cher Simon Coencas,
Je vous propose de revivre avec moi les détails d’une des plus importantes
découvertes jamais faites dans l’histoire de l’humanité pour la
compréhension de nos ancêtres du paléolithique, la découverte d’un art
peuplé d’animaux dans les profondeurs de la terre. Une trouvaille comme
celle que vous fîtes alors est la réalisation d’un rêve ardent, d’un rêve que
partagent à la fois les chercheurs et la jeunesse en quête de trésors où les
aventures d’un « Club des Cinq » périgourdin rencontreraient Leroi-
Gourhan.
L’aventure est amie des découvertes et c’est en la pratiquant que la bande
des quatre s’inscrivit dans tous les manuels d’histoire. Vous aviez
respectivement 16 et 13 ans lorsque vous décidez le 12 septembre 1940
d’aider Marcel Ravidat et Jacques Marsal à dégager un trou de renard
repéré 4 jours plus tôt sur une colline de Montignac en Dordogne. À ce
moment de l’histoire vous pensiez dégager ce qui devait être un passage
vers un souterrain, et qui, selon la légende locale, devait aboutir au manoir
de Lascaux.
Équipés d’un long coutelas, d’une lampe Pigeon et d’une lampe à pétrole,
vous aidez Marcel Ravidat à se glisser dans l’orifice élargi. Après une
descente verticale de trois mètres, il se faufile entre un cône d’éboulis et la
voûte hérissée de petites stalactites. La pente continue sur près de huit
mètres jusqu’au premier gour, ce trou d’eau formé dans la roche. Vous l’y
rejoignez ; vous franchissez les gours successifs et c’est là que vous
percevez la présence en clair obscur des premières figures peintes sur les
parois.
C’est un instant que nous aurions tous voulu vivre et le seul fait aujourd’hui
de l’imaginer nous fait frissonner. Vous veniez de découvrir ce que l’on
baptisa la « Chapelle Sixtine de la Préhistoire ». Vous veniez d’éclairer un
des plus riches exemples d’art pariétal renfermé dans les ténèbres depuis
17 mille ans.
Vous prévenez le 16 septembre l’instituteur de Montignac, Léon Laval, qui
comprend, dès qu’il vous suit dans la grotte, que vous avez fait là une
découverte majeure. Il demande à Marcel Ravidat d’en écrire aussitôt un
récit détaillé et prévient l’Abbé Henri Breuil, éminent préhistorien dont nous
célébrons cette année le cinquantième anniversaire de la mort, qui se
trouve à ce moment réfugié dans la région. Celui-ci vient sur place dès
le 21 septembre et transmet quelques jours après l’intérêt de la découverte
à l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres. Son rapport est lu sous
la Coupole le 11 octobre. La grotte est classée monument historique le 27
décembre 1940.
Marcel Ravidat et Jacques Marsal ont été les premiers gardiens de ce
sanctuaire; avec vous, Georges Agniel, qui y êtes resté jusqu’à la rentrée
des classes en octobre avant de retourner en région parisienne. Vous,
Simon Coencas, qui étiez réfugié avec votre famille à Montignac, êtes
obligé de rejoindre Paris et vous êtes emprisonné peu après à Drancy.
Vous voyez avec votre soeur Eliette partir vos parents pour Auschwitz ; la
magie de Lascaux s’éloigne alors de vos pensées sous le poids des
tragédies du siècle.
Puis le 11 novembre 1986 voit l’équipe des quatre inventeurs à nouveau
réunie dans la grotte à l’occasion de la publication de l’ouvrage de Mario
Ruspoli intitulé Lascaux, un nouveau regard.
Vous êtes par la suite tous deux associés aux cérémonies organisées à
Montignac pour célébrer le 50ème anniversaire de la découverte, en
présence du Président de la République François Mitterrand. Et vous étiez
sur place tout récemment, le 12 septembre 2010, pour la visite du
Président Nicolas Sarkozy à l’occasion du 70ème anniversaire. Vous avez
aussi participé au symposium organisé par le ministère de la culture et de
la communication à Paris, en février 2009, sur la conservation de Lascaux,
présidé par Jean Clottes. Vous avez rencontré à cette occasion les
scientifiques qui interviennent dans la réflexion engagée pour que la grotte
retrouve son équilibre microbiologique, après plusieurs épisodes de
contamination successifs ayant suscité l’inquiétude.
Le succès rapidement rencontré dès l’ouverture de la grotte au public en
1948 a mis en péril la conservation des peintures. En 1963, André Malraux
met en place la première commission scientifique chargée de déterminer
les paramètres qui conditionnent la conservation des peintures et gravures
pariétales. Sur le conseil de ces scientifiques, André Malraux se résout en
avril 1963 à imposer la fermeture de la grotte à son propriétaire et
l’interdiction de toute visite. Décision douloureuse que cette « conservation
préventive » pour celui qui a fondé son action ministérielle sur l’accès au
plus grand nombre des chefs-d’oeuvre de l’humanité.
La grotte sera réouverte de 1976 à 1999 puis refermée à l’occasion des
travaux qu’a impliqué le changement du dispositif climatique d’air, devenu
inopérant et vétuste. Une nouvelle contamination microbiologique en 2001
amène une série d’interventions d’urgence du laboratoire de recherche des
monuments historiques, puis la création d’un nouveau comité scientifique
présidé par Marc Gauthier, inspecteur général honoraire de l’archéologie.
Ce comité a été renouvelé en février 2010, à la fin du mandat de ce
dernier, et placé sous la présidence d’Yves Coppens, membre de
l'Académie des Sciences et professeur honoraire de paléoanthropologie au
Collège de France.
Les dernières observations faites dans la cavité montrent que le
rééquilibrage microbiologique est actuellement en cours. Je suis heureux
de pouvoir donner ces nouvelles en votre présence. Sachez que tout ce
qui concerne la grotte de Lascaux, inscrite en 1979 avec les grottes de la
Vézère sur la liste du patrimoine mondial, est pour moi et l’ensemble des
acteurs publics, Etat comme collectivités locales, un sujet de
préoccupation et une priorité.
La grotte appartient à l’Etat depuis 1972. Et il existe à ce jour autour d’elle
tout un réseau de scientifiques de rayonnement international qui veillent
sur sa convalescence, soutenus par la direction régionale des affaires
culturelles d’Aquitaine, maître d’ouvrage des programmes de recherches
engagés.
Je tiens à rendre hommage à l’engagement qui a été le vôtre en faveur de
cette grotte, en parallèle à votre vie professionnelle. Vous avez contribué à
la faire connaître au plus large public en racontant votre aventure, avec les
mots qui touchent le plus car ils n’appartiennent qu’à vous, à Marcel
Ravidat et à Jacques Marsal, vous, les découvreurs, les « veilleurs de
l’humanité » qui avez vu les premiers, à la lumière de leur lampe à pétrole,
les taureaux de Lascaux. Vos deux récits ont été récemment filmés dans le
cadre des dossiers « Témoins de la Préhistoire » coordonnés par le Pôle
international de la préhistoire. Accessible sur Internet, cette base de
données existe afin de conserver des archives orales liées aux grands
sites archéologiques.
Je veux également vous témoigner aujourd’hui toute ma reconnaissance
en vous remettant à tous deux les insignes d’officiers des arts et lettres au
nom de tous ceux pour qui Lascaux incarne, en France et dans le monde,
« ce lieu de notre naissance », « l’aurore de l’espèce humaine » pour
reprendre les belles expressions de Georges Bataille.
Cher Georges Agniel, au nom de la République française, nous vous
faisons Officier dans l'ordre des Arts et des Lettres.
Cher Simon Coencas, au nom de la République française, nous vous
faisons Officier dans l'ordre des Arts et des Lettres.
Chère Monique Peytral,
C’est l’oeuvre d’une artiste qui se présente comme une passerelle entre
l’art pariétal préhistorique et l’expression artistique contemporaine que je
tiens à saluer aujourd’hui. Artiste peintre formée aux Beaux Arts, installée
à Marseille, vous avez consacré plus de 10 ans à travailler à la création du
fac similé de la grotte de Lascaux entre 1972 et 1983, « dix années d’effort
pour ‘sonder’, comme vous dîtes, ce qui était caché derrière l’apparence
de ces parois peintes ».
Votre nom est associé à Lascaux II. Vous vous êtes pliée avec amour et
humilité aux exigences d’une palette de couleurs qui n’était pas la vôtre,
vous vous êtes employée à copier les mystères d’un art fascinant car
méconnu, animiste et chamaniste. Vous êtes devenue une « faussaire »
d’un nouveau genre pour offrir au plus grand nombre ce que la fragilité de
la grotte ne pouvait plus offrir.
Il faut rappeler que cette confrontation, ce « corps à corps », pour
reprendre votre expression, était tout à fait inédit : la grotte originale
découverte le 12 décembre 1940 par Georges Agniel, Simon Coencas,
Jacques Marsal et Marcel Ravidat ayant été fermée au public en avril 1963
par André Malraux par mesures de précaution, fit naître une immense
déception, qui toucha à la fois les élus soucieux de la valorisation
touristique de la Dordogne, les préhistoriens convaincus que la
sensibilisation à l’art pariétal passait par une vision régulière des peintures
et tout le public qui connaissait Lascaux grâce à la diffusion d’images mais
qui désiraient découvrir, in situ, les chefs-d’oeuvre du paléolithique.
En 1972, la société civile immobilière créée par le propriétaire de la grotte,
M. de la Rochefoucauld, donne la grotte à l’Etat en compensation de la
création d’une reproduction grandeur nature de la Salle des Taureaux et
du Diverticule Axial. Le Conseil général de Dordogne, avec le soutien de la
Caisse nationale des monuments historiques et des sites réussissent, avec
votre participation, à rendre accessible au public en 1983 ce qu’on baptisa
Lascaux II.
L’enjeu était considérable. Il s’agissait en plus des problèmes techniques
de support, de pigments, de lumière, de restituer l’émotion qui vous prend
littéralement à la gorge quand on pénètre dans ces cavités et que l’on
découvre les dimensions monumentales de certaines figures. Il vous fallut
une année entière pour développer la méthode de restitution, méthode
nécessaire à reproduire le prodigieux récit qu’est Lascaux, illustration de
l’art comme médiateur entre l’homme et les puissances naturelles selon
Jean Clottes, ou le fabuleux récit de l’art pariétal comme cartographie du
ciel, selon Chantal Jègues-Wolkiewiez.
Vous avez plongé sans retenue dans la salle des taureaux et le diverticule
axial : les six premiers mois vous vous êtes laissée pénétrer par les lieux,
cherchant à vous imprégner d’un savoir-faire, d’un rapport au monde,
allant parfois jusqu’à travailler dans le silence de la nuit. Vous êtes
devenue chamane et metteur en scène, vous avez tâtonné, retrouvé des
pigments, réinventé les gestes et mémorisé avec les sculpteurs Bernard
Augst et Pierre Weber chaque aspérité de la roche.
Lascaux II achevé, six mois vous ont été nécessaires pour revenir en vousmême,
décanter les énergies et les fluides puissants du paléolithique. Ces
dix années de passion, de patience et d’interrogation furent un voyage
dans le temps et dans l’intelligence des premiers hommes qui vous donna
le sentiment d’avoir émergé d’un passage initiatique, « comme une
naissance et aussi comme une libération ».
Inaugurée en 1983, Lascaux II accueille chaque année environ 300 000
visiteurs, ce qui en fait le site le plus fréquenté de la Dordogne, l’un des
lieux emblématiques du patrimoine de l’humanité.
Permettez-moi de vous dire aujourd’hui notre reconnaissance et notre
admiration pour la qualité exceptionnelle de ce qui est votre oeuvre à
Lascaux.
Chère Monique Peytral, au nom de la République française, nous vous
faisons Chevalier des Arts et des Lettres.
Cher Hervé de Rocquigny,
Un poète que vous appréciez tout particulièrement, Paul Eluard, écrivait :
« Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rendez-vous. » Votre rencontre
avec l’art ressemble à l’un de ces rendez-vous, tant vous avez oeuvré,
durant toute votre vie et votre carrière, à son service.
Votre passion pour la culture est d’abord celle d’un homme de lettres.
Grand amateur de poésie, vos goûts éclectiques vont de Georg Trakl à
René Char, en passant par T. S. Eliot et Guillaume Apollinaire. Votre
bibliothèque, riche de quelques milliers d’ouvrages, explore les domaines
de l’histoire, de la politique, et bien sûr de la littérature. Enfin, il me plaît de
rappeler que vous avez vous-même pris mainte fois la plume et publié
ainsi quatre recueils de poèmes, au cours de ces trente dernières années,
dont j’aime à citer les titres évocateurs : Femmes floues, Les Ecaillers du
rêve, Les Nyctalopes, La Mémoire des lèvres.
Mais je veux aussi me souvenir de l’action de mécène que vous avez pu
mener grâce à votre brillante carrière dans la banque. Au terme de vos
études en France, et après un passage aux Etats-Unis par la National
Association of Securities Dealers, vous commencez un parcours
professionnel qui vous mène rapidement au sein de Neuflize OBC, que
vous intégrez en 1980. Vous y gravissez les échelons de la hiérarchie pour
devenir directeur central en 2006, ainsi que Président-directeur général de
Neuflize OBC Art. Vous avez contribué à faire de cette banque le
partenaire de nombreuses activités culturelles et un acteur particulièrement
engagé dans le domaine du mécénat.
Cet engagement s’est illustré récemment par l’acquisition de l’Aphrodite de
Sainte-Colombe pour le musée gallo-romain de Saint-Romain en Gal, près
de Lyon. J’avais eu le plaisir, en septembre dernier, de saluer l’acquisition
de cette oeuvre admirable par sa qualité esthétique et son intérêt
historique, et c’est une joie renouvelée, cher Hervé de Rocquigny, que de
rappeler votre rôle dans cet événement. Mais l’action de Neuflize en faveur
de la culture s’étend à bien d’autres domaines que l’art antique, à
commencer par l’art contemporain, puisque Neuflize est partenaire de la
FIAC depuis 2004. Mais son mécénat touche aussi le cinéma : grand
mécène de la Cinémathèque française, Neuflize est depuis l’an dernier
partenaire pour cinq ans de ce temple mondial du septième art, et sera
étroitement associée, cette année, à une exposition itinérante consacrée à
Stanley Kubrick. J’ajoute que le mécénat de Neuflize s’accompagne d’une
importante réflexion sur les modalités et les enjeux des liens entre culture
et économie ; à ce titre, Neuflize sera cette année, pour la quatrième fois
consécutive, le partenaire du Forum d’Avignon. Du patrimoine à la création
contemporaine, des arts plastiques aux arts vivants, la plupart des
dimensions de la vie culturelle sont couvertes par le mécénat que vous
avez développé à Neuflize.
Votre action en faveur de la culture est aussi tournée vers le septième art,
puisque vous avez été Président-directeur général de plusieurs Sociétés
engagées dans le financement de l’industrie cinématographique et
audiovisuelle, plus communément appelées Sofica. Cela fait maintenant
plus de dix ans que, par l’exercice de telles fonctions à hautes
responsabilités, vous apportez votre soutien à cette industrie culturelle qui
fait connaître les artistes français dans le monde entier.
Cher Hervé de Rocquigny, vous savez comme moi que le mécénat, en
favorisant la création artistique et la constitution d’un patrimoine culturel de
qualité, a permis l’existence de certaines des plus belles réalisations du
génie humain. Aurions-nous L’Enéide sans Auguste et Mécène, Phèdre
sans Louis XIV, Tristan et Yseut sans Louis II de Bavière ? Aujourd’hui,
cependant, il faut réinventer le mécénat et le rapport de l’artiste aux
pouvoirs publics, en ouvrant un dialogue avec tous les acteurs
économiques soucieux de s’engager dans le financement de la culture,
notamment dans les actions favorisant une nouvelle étape de la
démocratisation culturelle.
La France a tardé à se doter d’une législation vraiment incitative en
matière de mécénat. La loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux
associations et aux fondations a marqué un tournant, et rend un hommage
mérité à l’action d’intérêt national des mécènes. Cette loi a permis un essor
remarquable du mécénat au cours des sept dernières années, que la crise
économique et financière a certes freiné mais qu’elle n’a pas arrêté. Aux
20 000 entreprises qui utilisent aujourd’hui les dispositions de la nouvelle
législation, il faut ajouter un véritable essor de la philanthropie individuelle
dans le domaine de la culture et du patrimoine.
Cher Hervé de Rocquigny, vous incarnez au mieux ce mécénat que nous
appelons de nos voeux, votre volonté de soutenir et de faire partager la
création artistique n’a d’égal que l’amour que vous témoignez pour les
oeuvres de l’esprit. C’est pourquoi, cher Hervé de Rocquigny, au nom de la
République française, nous vous remettons les insignes de Chevalier dans
l’Ordre des Arts et des Lettres.
Chère Anémone Wallet,
Je suis très heureux de vous accueillir dans ces salons de la rue de Valois
pour saluer votre engagement au service de la culture, et plus
particulièrement du château de Versailles, que vous ne cessez de
préserver et d’embellir depuis plus de dix ans maintenant, en tant que
directrice déléguée de la Société des Amis de Versailles.
Titulaire d’une licence d’histoire, vous avez d’abord débuté votre carrière
comme professeur d’histoire-géographie ; vous êtes alors déjà investie par
l’exigence de la transmission du patrimoine et de la mémoire. Vous vous
tournez ensuite vers le monde de l’entreprise, tout d’abord au service de la
Banque de l’Union européenne pendant quinze ans, avant d’intégrer
l’entreprise familiale, dont vous avez tenu les rênes durant près de dix ans.
Ce long passage par le monde de l’entreprise a fait de vous une femme de
défis et de projets. Il vous permet aujourd’hui de nouer des liens fructueux
avec des mécènes potentiels, avec lesquels les Sociétés d’Amis de
musées dialoguent et travaillent.
C’est en 2000 que vous devenez directrice déléguée de la Société des
Amis de Versailles. Fondée en 1907 pour venir en aide au château et au
parc alors très dégradés, faute de moyens, et presque oubliés, la Société
des Amis de Versailles représente aujourd’hui l’un des exemples les plus
durables et les plus heureux de collaboration entre l’Etat et la société civile.
Vous en êtes, chère Anémone Wallet, une remarquable ambassadrice et,
pour ainsi dire, la gardienne tutélaire.
À travers vous, c’est l’ensemble des Sociétés d’Amis de musées que je
tiens à saluer. Acteurs incontournables de la conservation et de la mise en
valeur du patrimoine culturel, elles permettent, par leur générosité,
l’acquisition de nouvelles oeuvres, souvent remarquables – je pense
notamment au célèbre Bain turc d’Ingres, acheté pour le Louvre par la
Société des Amis du Louvre et récemment aux Trois Grâces de Lucas
Cranach. Elles savent aussi attirer des publics toujours plus divers en
organisant des visites, des ateliers, des conférences, voire des voyages
culturels. Toujours fidèles à leur volonté de valoriser un patrimoine
commun à partager, elles apportent une aide essentielle à l’occasion de
manifestations comme les Journées du Patrimoine et la Nuit des musées.
Elles soutiennent également la création contemporaine, en collaborant
notamment avec les Fonds régionaux d’art contemporain. Mais plus qu’un
acteur de la vie culturelle, chaque Société d’Amis des musées est aussi un
lien indispensable entre les institutions et leurs mécènes, qu’elles attirent
grâce à leur relation de proximité avec le monde de l’entreprise. En un mot,
les Sociétés d’Amis des musées sont un aiguillon de premier ordre, dont
l’Etat ne saurait se passer pour mener à bien une politique culturelle
ambitieuse.
Chère Anémone Wallet, si la Société des Amis de Versailles est
aujourd’hui l’une des plus importantes et des plus actives de France, c’est
grâce à vous. Sans votre action, certains trésors auraient disparu du
château : la commode de la bibliothèque de Louis XVI par Riesner, le
service en porcelaine de Mme du Barry ou encore le coffre à bijoux de
Marie-Antoinette par Carlin. La restauration du cabinet de la Garde-robe de
Louis XVI en 2009, grâce au mécénat de Lady Michelham of Hellingly,
celle du rideau de scène de l’Opéra royal, ou encore du balcon de la Cour
des Cerfs - avec l’aménagement d’un parcours de visite permettant aux
visiteurs de découvrir les cabinets de l’appartement privé du roi - sont
autant de grands projets où vous vous êtes tout particulièrement investie
afin de préserver le faste, l’attractivité mais aussi l’âme de l’un des plus
hauts lieux de notre histoire et de notre patrimoine.
Diriger une Société d’Amis des musées telle que celle de Versailles n’est
pas chose aisée et implique de savoir concilier les intérêts contradictoires
et de relever les défis les plus variés. Aujourd’hui, je suis particulièrement
honoré de rendre hommage à votre engagement constant et si précieux au
service du rayonnement de ce lieu remarquable, qui est à la fois un jardin
du pouvoir, mais aussi un laboratoire du savoir, comme le rappelle la
fascinante exposition « Sciences et curiosités à la cour de Versailles ».
Chère Anémone Wallet, au nom de la République française, nous vous
faisons Chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres.