Le 10 avril, les résultats de la consultation sur les bibliothèques, qui a réuni plus de 7000 participants, ont été dévoilés lors de la journée des bibliothèques, organisée par le ministère de la Culture pour débattre des transformations du secteur. Compte-rendu.

« Passer d’un plan concerté à un plan partagé » : tel est, selon Nicolas Georges, directeur chargé du livre et de la lecture à la direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la Culture, le principal « enjeu » de la journée nationale des bibliothèques. Organisée le 10 avril par le ministère de la Culture, celle-ci, qui a pour objectif de définir une stratégie globale pour les bibliothèques, intervient après la remise en février dernier du rapport d’Erik Orsenna et Noël Corbin, qui a mis en lumière « l’inventivité, le dynamisme et l’esprit d’entreprise des bibliothèques », et la vaste concertation lancée par le ministère de la Culture auprès des professionnels et des associations d’élus qui l’a suivie.

Agnès Le Brun, vice-présidente de l’Association des maires de France, maire de Morlaix, rappelle que la lecture publique est « un axe structurant de la vie des communes et l’une des clés majeures de compréhension du monde contemporain ». Elle exprime sa satisfaction de voir « les collectivités locales, et notamment les maires, premier maillon de la cohésion sociale, au centre des discussions » et salue la qualité – « le supplément d’âme », dit-elle du rapport Orsenna. Mais la vice-présidente de l’Association des maires de France souligne également « les méfaits de la prescription verticale ». Ce qui réussit à un endroit ne réussit pas forcément à un autre. « Pour échapper à la fracture territoriale, il faut réenchanter la fraternité territoriale », ajoute-t-elle, soulevant la question des moyens : « rien ne se fera sans financement ».

Pour échapper à la fracture territoriale, il faut réenchanter la fraternité territoriale

L’extension des horaires d’ouverture

Le premier enseignement de la consultation sur les bibliothèques lancée par le ministère de la Culture concerne l’extension des horaires d’ouverture. Dans leur grande majorité, la plupart des participants approuvent ce principe, mais regrettent une focalisation excessive sur la journée de dimanche ; ils plaideraient plutôt pour une extension des ouvertures les soirs de semaine. Par ailleurs, 97% estiment que le manque de moyens constitue un frein à l’extension des horaires d’ouverture.

Si la question d’ouvrir « plus » les bibliothèques focalise l’attention de tous, Noël Corbin, inspecteur général des affaires culturelles, co-auteur du rapport « Voyage au pays des bibliothèques », rappelle que le rapport privilégiait l’autre volet de la question : ouvrir « mieux ». Et sur le terrain, qu’en est-il de ce débat ? « A Chartres, la bibliothèque est ouverte quarante heures par semaine. Sur les 40 000 habitants que compte la ville, 10 000 partent tous les jours travailler à Paris. L’ouverture du dimanche, sur laquelle une consultation est engagée, répond à un besoin et une demande des usagers », plaide Isabelle Vincent, adjointe au maire de Chartres chargée de la culture. À Neuville-en-Poitou, commune de 5400 habitants, « la bibliothèque est ouverte dix-huit heures par semaine. Comme le dimanche, la ville accueille un des plus gros marchés du territoire, la bibliothèque est depuis toujours ouverte ce jour-là. Nous avons même étendu le dispositif en 2015 », souligne sa maire Séverine Saint-Pé, qui évalue cette extension à « 10 000 euros par an, compensée par 5600 euros de la dotation générale de décentralisation ». Expérience inverse au Bouscat, commune de 23 000 habitants près de Bordeaux : « La nouvelle médiathèque a ouvert ses portes en 2015. Elle est ouverte trois heures le dimanche, mais cette ouverture n’est pas pensée en complémentarité avec les besoins des citoyens. Au contraire, on ouvre quand il ne se passe plus rien », constate Aurelia El Harrag sa directrice.

Les usagers, justement. Ils sont la pierre angulaire du service public que constitue le réseau de nos 16 500 bibliothèques. «Il faut être présent au moment des rendez-vous festifs comme l’été par exemple », affirme Lidwine Harivel, directrice de la lecture publique et des bibliothèques de Toulouse. A la bibliothèque du Bouscat, « nous menons une expérimentation sur la pause méridienne, avec une gratuité totale pour tous, les habitants et ceux qui ne le sont pas », souligne Aurelia El Harrag. « Nous avons beaucoup misé sur le travail avec les scolaires qui entraînent leurs parents et nous essayons de nous faire connaître auprès de tous les partenaires de la commune », indique Géraldine Mallet, directrice de la bibliothèque de Neuville-en-Poitou, qui met en avant un patient travail de maillage au sein de la commune. Même problématique à Chartres : « Nous nous appuyons sur l’expertise du personnel », explique Isabelle Vincent.

Les bibliothèques universitaires sont au cœur du débat « ouvrir plus, ouvrir mieux ». Comment y répondent-elles, compte tenu des besoins très particuliers de leurs usagers : les étudiants ? « Depuis 2007, de nombreux plans d’extension des horaires d’ouverture se sont succédés. Au fil du temps, nous avons essayé d’aller plus loin. Ainsi, s’agissant du plan 2016-2019, l’appel à manifestation d’intérêt est beaucoup plus ouvert. Nous sommes progressivement passés à un objectif qualitatif. Les bibliothèques sont aujourd’hui inscrites dans la stratégie globale de l’université », indique Sophie Mazens, cheffe du département de l'information scientifique et technique et du réseau documentaire au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Les nouvelles missions des bibliothèques

Sur les missions aussi, les avis des participants à la consultation sont très clairs : à une large majorité, la plupart d’entre eux manifestent leur adhésion à l’idée d’une diversification de l’offre des bibliothèques. A condition toutefois de ne pas aller jusqu’à… installer des garderies dans leurs murs, proposition dont s’amuse Deborah Munzer, présidente de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, adjointe au maire de Nogent-sur-Marne, qui anime la deuxième table ronde.

Deux projets retiennent l’attention : le premier concerne le chantier de la future médiathèque de Vaulx-en-Velin que présentent Nadia Lakehal, adjointe au maire de la ville, déléguée à la culture, à la culture scientifique et au développement numérique, et Valérie Brujas, directrice du réseau de la lecture publique. « Lorsque la nouvelle équipe municipale s’est installée en 2014, son ambition a été de fusionner le pôle social et le pôle culturel et de permettre au public d’exercer sa citoyenneté dans le cadre d’une politique participative. D’où une concertation auprès des habitants, des acteurs associatifs et des élus », explique Nadia Lakehal. « Lors de cette consultation, les habitants ont exprimé leur souhait d’un lieu qui transmettrait sans faire école, qui les aiderait dans leurs démarches, et qui soit également pratique et proche des transports. Il en est résulté un projet de lieu hybride fusionnant les fonctions sociales et culturelles et incarnant une définition ouverte et inclusive de la culture. Cet équipement d’un genre nouveau sera construit par l’architecte Rudy Ricciotti », se félicite Valérie Brujas. 

Le second concerne la médiathèque Dore et Allier, à Lezoux, près de Clermont-Ferrand, implantée « sur un territoire ni totalement rural, ni totalement urbain, comprenant 6000 habitants à Lezoux, 20 000 si on inclut la communauté de communes », précise Jean-Christophe Lacas, son directeur. Son ouverture en juillet 2017 a été précédée d’une initiative particulièrement originale. « Entre la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage, il nous semblait qu’il existait un espace pour une réflexion autour des usages. Pour interroger les pratiques culturelles à Lezoux, nous avons mis en place une équipe pluridisciplinaire associant notamment sociologues et designers, et simulé l’existence de la médiathèque cinq ans avant qu’elle voit le jour », explique Stéphane Vincent, délégué général de la « 27e Région », laboratoire qui milite pour une nouvelle façon d’envisager les politiques publiques. « Qu’il s’agisse des ateliers ou des prototypes testés avec les habitants, ce terreau est loin d’être épuisé », se félicite Jean-Christophe Lacas, séduit par la démarche.

Prise en compte des usagers, politique participative… Ces deux initiatives sont autant d’expérimentations qui laissent entrevoir une nouvelle manière d’envisager les bibliothèques. C’est l’avis de Jean-François Masselot, directeur-adjoint du cabinet du président de Clermont-Auvergne-Métropole, pour qui ces équipements culturels de proximité d’un nouveau genre constituent de véritables « unités de base de la politique culturelle ». Autre expérimentation : le service civique dans les bibliothèques. Actuellement menée par l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV), son objectif est, selon Eunice Mangado-Lunetta, directrice des programmes, « d’accompagner les bibliothèques et de contribuer à leurs côtés à lutter contre les inégalités culturelles ».

L’évolution des métiers

Renforcer les bibliothèques pour tous les publics, adapter la formation, développer le levier intercommunal… tels sont les axes de réflexion sur l’évolution des métiers proposées dans le cadre de la concertation sur les bibliothèques.

« Les transformations que les bibliothèques connaissent sont telles qu’elles ne peuvent s’envisager sans prise en compte de la formation des professionnels. Le sujet est éminemment stratégique et politique. En raison de l’hétérogénéité des situations, les solutions doivent être adaptées au cas par cas », souligne Elisabeth Meller-Liron, conseillère livre et lecture à la DRAC Nouvelle Aquitaine, qui anime cette dernière table ronde.

« La formation initiale est une de nos principales missions, confirme Anne-Marie Bock, directrice de la bibliothèque départementale du Bas-Rhin, vice-présidente de l’Association des bibliothécaires départementaux. Notre offre a pour ambition d’être la même sur l’ensemble du territoire. L’enjeu de proximité est quant à lui au cœur de l’accès à la formation continue. Il faut réfléchir à une offre de lecture qui dépasse la seule dimension de l’établissement ». Partagée entre l’adaptation aux situations locales et une offre universelle sur l’ensemble du territoire, la formation aux nouveaux métiers des bibliothèques doit avant tout répondre à une mission de « service public ». « Nous menons un dialogue concerté avec l’ensemble des acteurs, nous ne sommes pas dans la concurrence mais bien dans la complémentarité de service public », affirme de son côté Sophie Gonzalez, directrice du Centre régional de formation aux carrières des bibliothèques (CRFCB) de Bretagne Pays-de-Loire, présidente de l’Association des directrices et directeurs de CRFCB.

L’autre grande question en matière d’évolution des métiers est celle des nouvelles compétences demandées aux bibliothécaires. Parmi celles-ci, « l’encadrement » est, pour François Derudder, directeur adjoint de l’Inset à Nancy au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), « le principal sujet qui fait débat aujourd’hui ». Un point de vue que complète Xavier Galaup, président de l’Association des bibliothécaires de France, adjoint au chef de la lecture publique du département du Haut-Rhin : « La question des compétences techniques a tendance à s’amenuiser au profit de la compétence relationnelle vis à vis non seulement du public, mais aussi de professionnels venant parfois d’autres métiers ».

 

Françoise Nyssen : "Les bibliothèques font partie de notre projet pour la France"

Après avoir rappelé que « les bibliothèques, premières portes d’accès au savoir, sont au cœur du combat contre la ségrégation culturelle », Françoise Nyssen a salué le travail d’Erik Orsenna et Noël Corbin, dont le rapport « généreux, enthousiasmant, inspirant », montre « que les opportunités sont à notre portée », ainsi que la consultation engagée au mois de mars auprès des acteurs de la lecture publique, qui a recueilli « plus de 7000 votes ». Dans ce cadre, la ministre de la Culture a promis un plan d’action, qui repose sur deux piliers : rendre les bibliothèques plus accessibles et en faire des maisons de services publics culturels, qui devraient accueillir, à l’horizon 2022, « dix millions de citoyens ». Elle a résumé les grandes lignes de sa stratégie pour accompagner les transformations des bibliothèques. « Dans les petites communes, adaptation ne veut pas toujours dire extension », souligne Françoise Nyssen, qui fixe un objectif de « 40 à 50 heures d'ouverture par semaine pour les villes de plus de 100 000 habitants ». À cette transformation territoriale répond « un devoir de l’État ». Devoir d’exemplarité pour les bibliothèques sous tutelle du ministère de la Culture. Devoir, également, d’accompagnement au plan financier, pour lequel « 8 millions d'euros ont été mobilisés ». Plus de 150 bibliothèques volontaires ont déjà fait remonter des projets de transformation pour 2018. « Au total, nous visons 200 projets dès cette année », a souligné Françoise Nyssen. De plus,  a ajouté la ministre, « les bibliothèques peuvent être des lieux privilégiés de lutte contre les fake news. Pour les soutenir, j’ai décidé de créer un programme de 400 services civiques qui y proposeront des formations » et « pour que tous les enfants trouvent des accès à la culture et prennent goût à la lecture, chaque école va nouer un partenariat avec une bibliothèque à proximité ».