Les sciences peuvent-elles se penser dans plusieurs langues ? Cette question résume la problématique du colloque international organisé, vendredi 15 novembre, par le ministère de la Culture et le réseau des Organismes francophones de politique et d’aménagement linguistiques (OPALE) : "Pour des sciences en français et en d'autres langues". Retour sur les principaux enjeux.

Un plaidoyer pour le plurilinguisme de la pensée scientifique : tel est bien l'un des principaux enjeux du colloque international organisé, vendredi 15 novembre, par le ministère de la Culture et le réseau des Organismes francophones de politique et d’aménagement linguistiques (OPALE) : "Pour des sciences en français et en d'autres langues". En plaidant résolument pour un "plurilinguisme de la pensée", ce rendez-vous, qui va mobiliser des personnalités aussi emblématiques de la communauté scientifique que Barbara Cassin, Étienne Klein ou Jean-Claude Ameisen, a pour ambition de montrer que la pensée scientifique peut aussi se renouveler ou se questionner à l’occasion du passage entre les langues. Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France au ministère de la Culture, revient sur les enjeux du colloque.

Le français a été longtemps l'une des langues majeures de la pensée scientifique, comme en témoigne la place éminente dans l'histoire des sciences de savants comme Descartes, Pascal, Lavoisier, Buffon ou Pierre et Marie Curie. Pourquoi n'est-ce plus le cas aujourd'hui ?

Mais c’est toujours le cas ! Commençons par évoquer la situation des sciences humaines et sociales où le français reste la langue privilégiée pour la mise en œuvre  et l’élaboration des concepts et des questionnements. La langue, dans les sciences humaines, est un outil d’exploration et de ce point de vue la plus familière est la meilleure. Dans le domaine des sciences expérimentales et formelles, la situation est plus contrastée. L’anglais s’est imposé au début des années 1980 comme la langue de la publication scientifique. De grandes revues se sont constituées dans le monde anglo-saxon qui ont contribué à renforcer cette tendance. Dans certains domaines – je pense notamment aux mathématiques – l’autorité des écoles de pensée française conserve à notre langue sa fonction véhiculaire. L’implication extrême de l’Institut, de l’Académie des sciences et du Collège de France révèle que les monde de la recherche à leur plus haut niveau partagent cette conviction.

La différence des langues ne doit plus être une barrière, mais constituer une possibilité d’enrichissement

En plaidant pour un "plurilinguisme de la pensée", vous dénoncez le risque d'appauvrissement que constituerait l'hégémonie d'une seule langue. Quels sont les enjeux en termes de transmission des savoirs dans la recherche scientifique ?

La langue n’est pas un outil neutre de communication. La dimension culturelle de la langue a son importance et par la langue, des façons d’envisager la science sont véhiculées. L’enseignement des mathématiques – par exemple – est très marqué culturellement. S’agissant de la transmission des savoirs, il y a une grande différence entre l’aptitude à écrire un article en anglais – article que l’on peut toujours faire relire – et celle consistant à animer un cours de deux heures et à soutenir des échanges avec ces mêmes étudiants. Tant du côté de l’enseignant que celui des étudiants, des compétences linguistiques insuffisantes peuvent appauvrir la qualité de la transmission pédagogique.

Aujourd'hui, le renouveau de la francophonie ne constitue-t-il pas une occasion historique de renouer le lien entre les sciences et le français ?

Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de francophonie viable si le français ne demeure pas une langue du savoir ! La Francophonie est un espace en pleine expansion et l’avenir de langue française s’y joue incontestablement. Les enjeux de l’enseignement dans l’ensemble des pays de la francophonie confortent la stratégie que le ministère de la Culture et le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sont en train de développer pour accroître la présence de ressources scientifiques en français sur la Toile. Notre action commune vise à tirer parti du mouvement pour la Science ouverte qui permet d’étendre l’accès libre aux contenus scientifiques et se dégager de l’étau des grandes revues scientifiques qui imposent l’anglais. Que l’on se comprenne bien : il ne s’agit pas de lutter contre l’anglais, mais de lutter contre l’uniformité ! Nous estimons que les progrès de la traduction automatique notamment, s’accentueront avec la présence accrue de contenus scientifiques comparables en anglais et en français, de telle manière que la différence des langues ne soit plus une barrière, mais demeure une possibilité d’enrichissement.