Mieux penser et faire vivre durablement la coopération patrimoniale avec l’Afrique : tels étaient les grands enjeux du forum sur les «Patrimoines africains : réussir ensemble notre nouvelle coopération culturelle», organisé par le ministère de la Culture et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui a réuni le 4 juillet à l’Institut de France, 200 scientifiques et professionnels africains, français et européens. Compte rendu.

« Nous devons repenser notre relation culturelle avec le continent africain » : dans le prolongement de ceux du Président de la République, les mots de Franck Riester en ouverture du forum sur les patrimoines africains traduisent bien l'ambition de la France. Et sont assortis de mesures concrètes, après qu’il a rappelé « la coopération forte entre le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère de la Culture » et l’imminence de la saison culturelle « Africa 2020 ».

La plus immédiate de ces mesures est la restitution, selon des modalités désormais connues, de vingt-six œuvres au Bénin (voir encadré). Mais le ministre de la Culture, qui encourage « nos institutions muséales à intensifier leurs échanges avec leurs homologues d’Afrique », annonce également un renforcement du partenariat en matière de formation. « L’Institut national du patrimoine et l’École du Louvre vont mettre en œuvre un programme de formation à destination des partenaires africains qui souhaiteront y prendre part ». Le ministre souhaite également que soient développés des « travaux scientifiques consacrés aux collections issues du continent africain et conservées dans les musées français ».

Quel est le point commun entre les mausolées de Tombouctou, au Mali, et les églises rupestres de Lalibela en Éthiopie ? Entre le Massif de Lovo, en République Démocratique du Congo et en Angola, et l’art rupestre dans les Matobo au Zimbabwe ? Outre qu’il s’agit de sites exceptionnels, tous disent l’excellence des actions de coopération entre Africains et Français

Les coopérations patrimoniales

Quel est le point commun entre les mausolées de Tombouctou au Mali et les églises rupestres de Lalibela en Ethiopie ? Entre le Massif de Lovo en République Démocratique du Congo et en Angola et l’art rupestre en Afrique australe dans les Matobo au Zimbabwe ? Outre qu’il s’agit de sites exceptionnels – on ne compte pas ceux qui sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco – tous disent l’excellence des actions de coopérations associant partenaires africains et français.

« Quand on est sur le terrain, il faut se départir de l’idée que l’on arrive en expert : il y a, en revanche, beaucoup à apprendre des autres », indique Thierry Joffroy, directeur de recherche au laboratoire CRATerre de l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, très investie au Mali. « Après leur destruction par les djihadistes, les mausolées de Tombouctou ont été restaurés et les populations étroitement associées. Les terroristes instrumentalisent le patrimoine pour monter les communautés les unes contre les autres. Pour que les jeunes restent sur place, la transmission des savoirs et des savoir-faire est capitale. Aujourd’hui, l’urgence est de concilier conservation du patrimoine et économie locale », témoigne Lassana Cissé, ancien directeur du patrimoine du Mali.

Assurer la pérennité de ces travaux de protection, c’est précisément ce que font les différents opérateurs. « Parce que la roche devient très instable pendant les périodes de pluie, les églises de Lalibela sont extrêmement fragiles. Une protection durable est donc indispensable pour les préserver. Notre démarche consiste à établir un partenariat de compétences comprenant un volet de recherche et un volet technique », explique Régis Martin, architecte en chef des monuments historiques. « Dans le cadre de dispositifs de formation innovants, 14 étudiants et chercheurs africains et français travaillent actuellement sur le Massif de Lovo », renchérit Geoffroy Heimlich, chercheur à l’Institut des mondes africains et co-directeur de la mission archéologique Lovo. « Le site est menacé par l’exploitation industrielle, le programme s’accompagne d’une réflexion sur l’implantation des industriels avec la volonté d’y poser une limite », poursuit Augustin Bikale Mukundayi, aujourd’hui représentant national au programme Culture de l’Unesco, qui a suivi le projet de 2007 à 2013.

« L’art rupestre dans les Matobo au Zimbabwe n’a quasiment jamais été étudié alors que certains indices nous font penser qu’il s’agirait des plus anciennes peintures du continent africain », s’étonne Camille Bourdier, maître de conférences en arts préhistoriques à l’Université de Toulouse Jean Jaurès. « Les étudiants sont au rendez-vous, se réjouit-elle, mais nous avons besoin de davantage de financement ».

Autres actions emblématiques : le projet de modernisation du musée national de Yaoundé dont le lancement opérationnel devrait avoir lieu en septembre 2019 avec un objectif, celui de placer l’équipement aux normes internationales. Ou encore, à partir du matériau inestimable conservé par le musée de l’Homme, à Paris, – des enregistrements des années 1930 à nos jours –, la restitution en partenariat avec le CNRS des archives sonores du Burkina Faso. Une opération qui, précise Jean-Paul Koudougou, conservateur de musée, a notamment permis « la mise en place d’ateliers de formation aux techniques de numérisation ».

« Le Bénin fixe les objectifs et les partenaires apportent leur soutien », résume José Pliya, directeur de l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme, au sujet du programme de travail commun sur la coopération franco-béninoise en matière de patrimoine. Les jalons d’une nouvelle coopération nord/sud, réinventée et humaniste, sont posés ».

Politiques de coopérations patrimoniales avec l’Afrique

« Quels sont les principes qui guident ces coopérations ? » interroge Marie Bridonneau, directrice du Centre français des études éthiopiennes. « Notre plus-value, c’est d’être « à côté » et surtout pas « à la place de », est convaincu Cédric Lesec, directeur des relations extérieures et de la diffusion au musée des Confluences, à Lyon, dont le parcours ethnographique va être repris par le musée national d’Addis-Abeba. Dans le cadre de la route des chefferies, initiative de la diaspora camerounaise de Nantes, une charte culturelle a été signée par un nombre important de chefs traditionnels depuis 2006. « Conséquence d’une mobilisation exceptionnelle qui est allée jusqu’à un financement de la banque mondiale », le projet « a permis de créer 40 emplois et 30 000 visiteurs viennent chaque année », indique Sylvain Djache Nzefa, son coordinateur général.

Lorsqu’en 2005, la ville d’Albi s’est portée candidate au patrimoine mondial de l’Unesco, elle s’est rapprochée d’Abomey, au Bénin, dont elle partage les mêmes problématiques de gestion liées à la prédominance d’une architecture en terre. Depuis, elle se tient solidement à ses côtés à chaque nouvelle opération de valorisation ou de réhabilitation de sites de la ville africaine. « Les actions se mettent en place en synergie, se félicite Marie-Ève Cortès, sa directrice des affaires culturelles, du patrimoine et des relations internationales. C’est l’occasion de former des artisans locaux, d’assortir les réhabilitations de publications, de réactiver certaines grandes cérémonies ».

« Un musée, c’est d’abord un ensemble de ressources autour d’une collection. Pour que celle-ci bénéficie du plus haut degré d’expertise et de connaissance, notre premier rôle est de la faire circuler en Afrique », affirme Stéphane Martin, président du musée du quai Branly - Jacques Chirac, en précisant que « les musées forment une communauté au sein de laquelle les futurs musées africains ont vocation à s’inscrire, point essentiel pour changer le regard sur les collections ». Par ailleurs, Charles Houdart, chargé de mission industries culturelles et créatives à l’Agence française de développement, souligne le rôle croissant de l’AFD qui « se positionne sur la mise en dialogue des différents acteurs » dans les coopérations patrimoniales.

Les jalons d’une nouvelle coopération nord/sud, réinventée, équitable et humaniste sont posés. Il s’agit pour notre jeunesse d’ouvrir une nouvelle page de notre histoire commune

Comment mieux documenter l’histoire et la provenance des collections ?

« L’histoire des collections a tendance à se focaliser sur la période coloniale mais excède en réalité largement cette histoire » prend soin de préciser Maureen Murphy, maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

« Légitimité de l’acquisition, prise en compte du point de vue des communautés, recherche sur la personnalité des collecteurs », tels sont, à partir d’une cartographie la plus exacte possible de l’objet, les différents facteurs qui renseignent sur les provenances indique Yves Le Fur, directeur du patrimoine et des collections du musée du quai Branly - Jacques Chirac.

Claire Bosc-Tiessé, chercheur au CNRS, spécialiste de l’Éthiopie, le dit sans ambages : « l’histoire des objets africains est le parent pauvre de l’histoire de l’art et des études africaines ». Il est impératif, selon elle, de « poursuivre et développer les projets pluridisciplinaires ». Elle annonce la préparation d’une cartographie des objets africains en France, qui permettra « tout en gardant la mémoire du travail fait par les prédécesseurs de mieux connaître leur parcours depuis un siècle ». Une démarche que revendique également Émilie Salaberry-Duhoux, directrice du musée d’Angoulême qui a entrepris un vaste chantier afin de documenter le circuit des 5 000 objets en provenance du continent africain conservés dans ses collections. Les archives et le patrimoine doivent être « un lieu de rendez-vous et non de conflit », plaide Adama Aly Pam, directeur des archives et des bibliothèques de l’Unesco. 

« La question de la provenance entraîne dans son sillage une nouvelle conception du travail muséal, qui prend désormais en compte certains aspects historiques et politiques. Auparavant, l’histoire de l’objet ne commençait que lorsque celui-ci arrivait sur le sol européen », observe El Hadji Malick Ndiaye, chercheur à l’université Cheikh Anta Diop et conservateur du musée Théodore Monod d’art africain. « Connecter le patrimoine colonial et l’histoire de l’esclavage, stimuler la coopération entre institutions culturelles », tels sont les grands axes de travail du ministère de l’éducation, de la culture et des sciences au Pays-Bas, indique Ariane Linburg, chargée de mission. « La coopération à l’échelle européenne est capitale pour la réussite des actions », complète son collègue Robert Verhoogt.

Comment partager avec le public l’histoire des collections ?

« Comment faire parler les collections de leur propre histoire ? Quel type de médiation adopter ? Quels sont vos choix, vos expériences ? », interroge Claire Barbillon, directrice de l’École du Louvre. Pour Honoré Tchatchouang, conservateur du patrimoine, qui a travaillé pendant dix ans avec les sociétés traditionnelles à la conservation de leur patrimoine dans le cadre du programme de la route des chefferies, la réponse ne fait pas de doute : « Il est important d’engager les publics depuis la conception même des projets jusqu’à leur mise en œuvre, les habitants du village sont devenus de vrais médiateurs pour le musée. L’enfant qui fait aujourd’hui visiter le musée au public peut devenir l’enseignant de 2030 ».  

Avec 2 500 visiteurs depuis sa réouverture le 9 décembre dernier, le Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren en Belgique peut déjà s’enorgueillir d’un beau bilan. « La mise en place de la nouvelle exposition permanente a été l’occasion de porter un regard sur le passé colonial. Nous plaidons du reste pour que ce passé soit enseigné à l’école », indique Guido Gryseels, son directeur général. La réouverture en 2006 du musée de Rochefort a abouti à une présentation inédite, en partant de leur histoire, de la collection d’objets extra-européens. « Cette nouvelle présentation a donné une image différente au musée, le public se l’est complètement réapproprié », se félicite Claude Stefani, conservateur du patrimoine du musée.

« Aujourd’hui, il existe en Allemagne un large consensus autour de la question de la restitution, indique Markus Hilgert, secrétaire général de la Fondation culturelle des Länder allemands. La question de la provenance bénéficie d’une très grande attention, elle souligne les changements intervenus dans les attentes du public ces vingt dernières années ». Le musée contemporain, qui offre aujourd’hui des possibilités de discours sur les objets les plus diverses possibles « crée les conditions d’un partage démocratique », selon Eric de Chassey, directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art. « L’histoire des arts doit d’emblée inclure la question des objets extra-européens et la promotion des collections doit être faite avec le plus grand soin », conclut-il.

Franck Riester : « Construire une nouvelle coopération patrimoniale avec le continent africain »

Le Président de la République avait annoncé, à l’occasion de la remise du rapport de Bénédicte Savoy et de Felwine Sarr sur la restitution du patrimoine africain en novembre dernier, la restitution de 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin. « Nous travaillons depuis plusieurs mois avec les autorités béninoises pour concrétiser cet engagement et garantir le transfert effectif des œuvres (…) Cet ensemble remarquable de statues, sceptres et trônes sortira donc des collections nationales dans les meilleurs délais (…) La restitution des œuvres fera l’objet d’une inscription dans la loi » a indiqué Franck Riester. Dans l’intervalle, ces 26 œuvres doivent pouvoir être vues au Bénin. « J’ai demandé à mes services ainsi qu’aux équipes du musée du Quai Branly - Jacques Chirac de travailler étroitement avec nos partenaires béninois pour trouver les voies et moyens d’un retour effectif, notamment dans le cadre d’un dépôt », a-t-il encore précisé. « Au-delà, une politique d’échanges culturels bien plus large doit voir le jour », a-t-il conclu indiquant que la France, par l’intermédiaire de l’Agence française de développement, a exprimé sa disponibilité pour apporter son soutien à la création d’un musée dans les palais royaux d’Abomey.