Deux cabinets du musée du Louvre sont désormais dédiés aux tableaux MNR, récupérés en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Une opération pilote, qui répond à un double objectif : répondre à un impératif mémoriel et mieux faire connaître ces œuvres, en attente de restitution à leurs légitimes propriétaires. Les explications de Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du musée du Louvre.

L’ouverture de deux cabinets permanents au musée du Louvre constitue une grande première dans l'histoire des MNR. Pourquoi ?

Retrouvées en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, les œuvres classées Musées Nationaux Récupération (MNR) font partie des biens spoliés en France par le régime nazi, principalement à des familles juives. Une partie importante de ces œuvres a déjà fait l’objet, par le passé, d’expositions temporaires au Louvre ainsi que dans plusieurs musées en France. En leur consacrant aujourd’hui un espace spécifique et permanent, le Louvre fait, je crois, un pas supplémentaire pour sensibiliser le public au destin de ces œuvres. Notre objectif est bien de pouvoir les restituer. Cet espace, nous l’avons aussi conçu comme un lieu de mémoire sur les spoliations. Il est, à terme, susceptible d’inspirer les autres départements du musée du Louvre. Il faut savoir que sur les 1 752 œuvres MNR qu’abrite le musée, 807 seulement sont des tableaux. 76 d’entre eux étaient déjà présentés dans les galeries du musée, avec une mention spécifique signalant leur origine. 31 peintures supplémentaires sont désormais exposées dans ces deux cabinets.

Quelles sont les caractéristiques de ces salles ?

Nous souhaitions en faire un endroit à part, évoquant l’univers de la collection privée, pour rappeler le contexte originel de ces tableaux, qui sont issus de toutes les écoles, de toutes périodes, et sont de qualité diverse. Il s’agit d’abord de rappeler que, si ces œuvres sont confiées à la garde des musées nationaux, elles ne leur appartiennent pas. Les « MNR » non restitués sont aujourd’hui encore régis par le décret du 30 septembre 1949, qui précise que le ministère des Affaires étrangères (direction des Archives) en a la responsabilité juridique et le ministère de la Culture la garde provisoire. Notre objectif est bien la restitution aux ayants-droits des familles spoliées, qui a connu, depuis une vingtaine d’années, une intensification significative, mais encore insuffisante. C’est pourquoi nous avons opté, dans ces deux cabinets situés au deuxième étage de l’aile Richelieu, placés à proximité immédiate de la Galerie Médicis, pour une scénographie à l’ambiance plus intime, propice aussi à l’exercice de la mémoire. Les plans du musée, sur le point d’être refaits, souligneront également la singularité de cet espace en lui attribuant une signalétique propre. Nous espérons que plusieurs espaces consacrés aux MNR jalonneront à terme le parcours du visiteur du Louvre.

Lieux de mémoire, comme vous l’avez dit, ces deux cabinets ont également une finalité très concrète : mieux faire connaître ces œuvres en vue de leur restitution.

La pédagogie est, en effet, l’autre dimension très importante de cet aménagement permanent. Le regroupement de ces œuvres dans un lieu spécifique a évidemment un impact symbolique très fort. Cette opération a pour but faire mieux connaître la base Rose-Valland (http://www.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-accueil.htm), qui répertorie de façon exhaustive les MNR et offre, en outre, des informations très précieuses comme les historiques aussi complets que possible des œuvres. Tout ce travail est le fruit de la collaboration du ministère de la Culture et du ministère des Affaires étrangères. On espère à terme l’installation, dans le cabinet, d’une borne multimedia permettant l’interrogation in situ de la base ; avec l’installation du WIFI au Louvre, cependant, les visiteurs peuvent la consulter sur un téléphone portable ou une tablette.

 

Françoise Nyssen : "Sensibiliser le public sur le destin de ces œuvres"

Le 12 février, une œuvre saisissante du XVe siècle, le Triptyque de la Crucifixion de Joachim Patinir, répertoriée MNR 386, a été restituée par la ministre de la Culture aux ayants-droits de Hertha et Henry Bromberg, ses propriétaires légitimes, spoliés pendant la guerre. "Au-delà d’une œuvre MNR, cette restitution rend justice à une famille", s’est réjouie Françoise Nyssen, en ajoutant qu’elle était "déterminée à poursuivre la politique volontariste menée en faveur des restitutions" et "attentive à la coordination renforcée (…) des efforts importants des acteurs engagés dans l’accomplissement de ce devoir de justice et de réparation".

A l’issue de cette restitution, la ministre de la Culture s'est rendue au musée du Louvre pour visiter les deux cabinets que le prestigieux musée consacre à 31 tableaux MNR. "C'est une initiative très appropriée, a souligné la ministre, [car] elle permet de présenter de manière groupée, avec une signalétique adaptée, des tableaux MNR pour les mettre en valeur, en expliquer la situation particulière et ainsi sensibiliser le public sur le destin de ces œuvres pour la plupart spoliées".