Jeudi 29 mars, la ministre de la Culture présente son plan "Culture près de chez vous, œuvres et artistes sur les routes de France". Véritable marqueur de sa politique d’irrigation des territoires, cette initiative fait écho à l'expérience fondatrice des Tréteaux de France, seul Centre dramatique national itinérant de France. A cette occasion, nous republions l'entretien que nous avait accordé le 25 août dernier Robin Renucci, son directeur.

Le théâtre itinérant "Les Tréteaux de France" voit le jour en 1959, avant de devenir, douze ans plus tard, un Centre dramatique national. Comment ce projet culturel atypique a-t-il évolué depuis l'attribution de ce label ?

En 1959, lorsque Jean Danet lance les Tréteaux, le travail qu'il entreprend se situe dans le prolongement de celui de Firmin Gémier, qui parcourt la France avec la troupe du théâtre Antoine, ou encore d’André Clavé dans le cadre des représentations itinérantes données en Alsace et en Lorraine avec la Compagnie de la Roulotte. Son idée est de généraliser un principe : celui de partir à la rencontre du public pour que chacun puisse accéder à l'art théâtral. Les Tréteaux de France, devenus douze ans plus tard un Centre dramatique national, sont donc chargés d'une mission de service public : faire vivre la décentralisation culturelle, dans un contexte de sous-équipement des régions françaises. Car pour aller au contact des publics, il fallait alors avoir son propre chapiteau et disposer de camions pour transporter les décors, les costumes, les loges… Les décennies Jean Danet sont donc marquées par ces files de caravanes – faisant parfois près d’un kilomètre ! – qui parcourent les routes.

En matière d'équipements culturels, la France a connu depuis lors des changements significatifs.

Au début du XXIe siècle, lorsque le ministère de la Culture propose à Marcel Maréchal de prendre à son tour la tête des Tréteaux, la situation est tout autre : la décentralisation administrative et politique a fait son chemin, les structures culturelles locales se sont professionnalisées. L’évolution des équipements ne nécessite plus de souscrire à cette iconographie un peu romantique qui consiste à aller à la rencontre de ses concitoyens avec le chariot de Molière : une grande partie du matériel est donc vendue, chapiteau inclus. Les Tréteaux de France demeurent un Centre dramatique national itinérant, simplement notre théâtre voyage plus léger qu’avant !

Il ne faut pas toujours penser la démocratisation culturelle en terme de distance géographique : il existe une aussi une distance intérieure, psychologique ou sociale, qui n’a rien à voir avec les kilomètres

Justement, qu'apporte cette itinérance aujourd’hui ? Est-ce qu'elle est toujours d'actualité ?

Pour répondre à son objectif, qui est d'aller partout où existe une possibilité de théâtre, dans la moindre petite salle des fêtes, dans la moindre halle, le Centre dramatique les Tréteaux de France joue sur trois tableaux : la création de spectacles, leur diffusion mais aussi leur "infusion" dans l'esprit du public. Concernant cette dernière dimension, nous valorisons le temps passé avec nos concitoyens, en privilégiant des temps de résidence plus longs que les seules dates de représentation. Il s’agit de mettre en place un véritable échange avec la population locale, autour de l’exercice du théâtre. Cette démarche s’inscrit dans notre recherche d’un public nouveau. Il est intéressant de noter que les personnes à toucher pour élargir le champ des amateurs de théâtre peuvent se situer aussi bien en plein cœur des métropoles, qu’en milieu rural dans une petite commune de l’Oise, de l’Eure ou de l’Ardèche. On peut vivre à proximité d’équipements culturels, d’un Centre dramatique ou d’une Scène nationale, sans jamais y mettre les pieds ! C’est ce déclic que nous cherchons à provoquer.

Des exemples ?

Nous sommes, à l’initiative du Festival d’Avignon - l'une des plus importantes manifestations internationales du spectacle vivant contemporain - intervenus au sein d’un collège avignonnais où un grand nombre de ces jeunes de 14 – 15 ans n’avaient jamais été au théâtre. C’est bien la preuve qu’il ne faut pas toujours penser la démocratisation culturelle en terme de distance géographique : il existe une aussi une distance intérieure, psychologique ou sociale, qui n’a rien à voir avec les kilomètres et qui complique tout autant la rencontre symbolique entre le public et le théâtre. Finalement, ces jeunes, c’est avec nous qu’ils sont rentrés dans une salle de théâtre pour la première fois. Aujourd’hui, certains d’entre eux nous écrivent pour nous parler de leur désir de monter sur les planches. La nécessité de la présence d’un Centre dramatique itinérant comme les Tréteaux de France, je la constate au quotidien.

Procéder à un dialogue avec le public sur des sujets qui le préoccupe et travailler avec lui en utilisant les outils du théâtre

Vous parlez d’échanger autour d’une pratique théâtrale. En quoi ce dialogue constitue-t-il un autre moyen de toucher des publics non-initiés ?

Effectivement, nous allons à la rencontre des publics physiquement, en nous déplaçant, mais aussi à travers notre pratique artistique. Nous essayons de pratiquer un théâtre qui élève la pensée, qui développe l’esprit critique tout en donnant de la joie. C’est un théâtre pour et avec le spectateur. On lui parle de lui, de son contexte, de son histoire, sans faire de concessions pour autant. On peut par exemple parler du thème - très actuel - de l’emprise de diverses manières : en montant La Leçon de Ionesco, l’École des femmes de Molière ou en interprétant des œuvres contemporaines de Simon Grangeat et d’Alexandra Badea. L’essentiel est de procéder à un dialogue avec le public sur des sujets qui le préoccupe d’une part, et de travailler avec lui en utilisant les outils du théâtre de l’autre. Pour cela, nous nous reposons sur la pratique avec des exercices tels que des séances collectives de lecture, d’écriture, de danse ou de jeu. Un spectateur qui pratique le théâtre comprend mieux ce qu’est l’alexandrin si nous avons fait avec lui un temps de présence de plusieurs jours autour de la langue française.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur quelques-unes de ces rencontres que vous organisez entre la population locale et le théâtre ?

Tout à fait. Dernièrement nous avons passé trois ou quatre semaines à Phalsbourg, en Lorraine, où, pendant un temps long, les publics se sont retrouvés à devoir pratiquer le théâtre à travers un stage de réalisation. Ce stage s’est déroulé en deux temps : d’abord nous avons organisé des ateliers d’exercices - au cours desquels les participants ont travaillé sur le corps, la voix, le texte – avant de les faire répéter. Quatre textes dramatiques ont ainsi été pratiqués avant d’être présentés publiquement dans le cadre du Festival de théâtre de Phalsbourg, pendant la dernière semaine de stage. Les principaux intéressés découvrent ainsi l’œuvre théâtrale sous un angle nouveau : ils y ont pris part !

 

Quels sont vos projets ?

Nous irons bientôt en Guyane pour faire un nouveau « Portrait de territoire ». Il s’agit, dans un premier temps, d’aller recueillir la parole des guyanais, caméra et micro au poing. Ensuite nous faisons parvenir, à l’onomatopée près, une retranscription de ces discours aux compagnies de théâtre locales qui, sans avoir vu les vidéos, reprennent ces textes et les jouent. Ce travail débouchera sur une soirée de restitution, qui aura lieu en Guyane, au cours de laquelle nous pourrons voir à la fois les vidéos initiales, qui seront projetées à l’écran, et la retranscription théâtrale qui en sera faite par les compagnies. L’imaginaire et la créativité de chaque individu sera au cœur de ce dispositif, qui fera converser ces différents portraits au sein - et au sujet - d’un territoire.

 

Le label Centre dramatique national (CDN)

Le label Centre dramatique national est attribué par l’Etat français à une institution théâtrale. Il lui est alors confié une mission d'intérêt public de création dramatique, dans le cadre d'une politique nationale de développement de l'art du théâtre. Le ou les directeurs(trices) sont des artistes directement concernés par l’art dramatique, nommé(es) par le(la) ministre chargé(e) de la culture, en concertation avec les collectivités locales du territoire d'implantation du CDN.

38 structures sont labellisées « Centre dramatiques nationaux » par le ministère de la Culture à ce jour. Leurs moyens techniques, financiers et humains, ainsi que l’équipement théâtral dont ils disposent, donnent une visibilité territoriale et nationale majeure aux projets artistiques qu’ils mettent en œuvre : les subventions de l’État ajoutées à celles des autres partenaires dotent les CDN/CDR de budgets significatifs, malgré de réelles disparités. La part de l’État dans leur financement est de 60 millions au total en 2008, soit 57 % en moyenne. En termes d’équipement, presque tous CDN sont dotés, en propre, d’une salle de spectacle dont la jauge leur permet d’accomplir leurs missions.