Diffusion de la création, rémunération des photographes, préservation du patrimoine photographique… Le Parlement de la photographie, lieu de dialogue et de débats au service de la photographie, conçu par le ministère de la Culture (délégation à la photographie), tenait sa première séance plénière. Compte-rendu.

Aujourd’hui, l’univers de la photographie, plus multiple et divers que jamais, est à la croisée des chemins. C’est pourquoi le ministère de la Culture (délégation à la photographie) a mis en place une instance inédite, le Parlement de la photographie, dont la première réunion plénière a eu lieu le 5 novembre. Cette rencontre des différents acteurs du secteur, qui était très attendue, a été l’occasion de dresser un état des lieux des nombreux « défis » auxquels ceux-ci sont confrontés. Elle aura été aussi l’occasion de présenter les nouvelles actions très concrètes destinées à soutenir la filière, qui « s’inscrivent dans la politique des arts visuels du ministère de la Culture », a affirmé Marion Hislen, déléguée à la photographie au ministère de la Culture. Retour sur les quatre tables rondes thématiques, qui ont rythmé la journée.

Le livre de photographie, un secteur reconnu mais fragile

Le livre de photographie constitue aujourd’hui un pan considérable du secteur. D’abord, parce qu’il occupe « une place essentielle dans le processus de diffusion de la photographie », souligne Marion Hislen. Mais pas seulement. « Il est également reconnu comme un secteur à part entière de l’édition, qui fait partie de la panoplie du photographe contemporain », ajoute Fabienne Pavia, éditrice au Bec en L’air.  

Si le secteur est culturellement riche, il est fragile sur le plan économique, comme le révèle une étude sur « le livre de photographie » réalisée de mai à août 2019 à l’initiative de la direction générale de la création artistique du ministère de la Culture. Sur 185 éditeurs au total, 42 sont spécialisés dans la photographie à l’exclusion de tout autre domaine. « On assiste à une montée en puissance de nouveaux formats et à un retrait progressif des éditeurs historiques au profit de maisons indépendantes, de la microédition et de l’autoédition », souligne Clément Poimbœuf, du bureau de l’observation de la direction générale de la création artistique. « Il s’agit d’un marché de niche très concentré. En 2018, les cinq premiers éditeurs représentent à eux seuls plus de 50% des titres du catalogue et 64% du chiffre d’affaires ».  

Sur 185 éditeurs au total, 42 sont spécialisés dans la photographie, révèle une étude sur « le livre de photographie » réalisée de mai à août 2019

Comment améliorer cette situation ? De nombreuses pistes sont aujourd’hui à l’étude, comme des actions de formation à destination des libraires ou une meilleure rémunération des auteurs... Avec le lancement du dispositif France PhotoBook, le Parlement de la Photographie peut déjà s’enorgueillir d’un premier succès. « Il y a cinq ans, dans le cadre de la création du Photobook Social Club, nous avons créé un espace d’échange entre éditeurs. L’objectif était de tirer profit de ces discussions pour avancer plus vite », se souvient l’éditeur André Frère. « Le Parlement de la photographie nous a suggéré de renforcer ce groupe afin d’accroître notre représentativité auprès des décideurs ». Résultat : France PhotoBook réunit aujourd’hui aussi bien des éditeurs indépendants que des éditeurs plus importants. L’appellation, « qui permet d’être immédiatement identifié à l’international », ne doit par ailleurs rien hasard. Le groupe a déjà son ticket pour Paris Photo New York au printemps prochain. Seul critère pour adhérer : avoir publié au moins trois livres de photographie dans l’année.

Autre proposition : soutenir la production éditoriale, dont le coût est dix fois plus élevé que celui d’un livre traditionnel. En partant du constat « qu’aucun livre de photographie ne peut aujourd’hui être mis sur le marché sans s’être assuré d’une aide au préalable », Fabienne Pavia plaide pour la création « d’une aide publique qui pourrait s’ajouter aux dispositifs existants ». Sur le plan de l’organisation de la profession, André Frère souligne l’importance de disposer d’un lieu dédié, où il serait possible d’organiser des événements de lancement, des workshops, etc. « Pour qu’un livre se vende pendant au moins deux ans, des expositions doivent être organisées en parallèle. Le métier d’éditeur s’est progressivement ouvert à un autre métier qui n’est pas très éloigné de celui d’un agent », observe-t-il.  

Mobilisation en faveur du patrimoine photographique

« Améliorer la coordination des actions, mettre en place une meilleure visibilité de la recherche, valoriser l’action sur l’ensemble du territoire » : tels sont, selon Marion Hislen, les objectifs de la feuille de route du comité national pour le patrimoine photographique, qui peut également s’appuyer sur le rapport de Sam Stourdzé, directeur des Rencontres d’Arles : « Conservation et la valorisation des fonds photographiques patrimoniaux » ou sur les travaux du comité dons et legs mis en place afin de mieux accompagner les ayants droits. Une mobilisation de tous les acteurs qui n’a qu’un seul but : rendre plus efficace l’action publique en faveur du patrimoine photographique.

Quelles actions pour rendre plus efficace l’action publique en faveur du patrimoine photographique ?

« On ne peut qu’approuver le dialogue qui a été ouvert sur l’ensemble de ces sujets », se félicite Sylvie Aubenas, directrice des estampes et de la photographie à la Bibliothèque nationale de France, dont les collections comprennent des œuvres anciennes, mais aussi contemporaines, et abritent de nombreux fonds. « Le comité national pour le patrimoine photographique relaye parfaitement nos préoccupations », renchérit Gilles Désiré dit Gosset, directeur de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, institution incontournable en matière de gestion des fonds photographiques. L’ensemble du dispositif s’appuie sur le travail que mènent au quotidien les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). « Nous conseillons les musées dans leurs projets d’acquisitions, lesquelles sont ensuite susceptibles d’être présentées ou même de bénéficier d’expositions dédiées », indique Nicolas Engel, conseiller musées à la DRAC Île-de-France.

Les attentes restent toutefois importantes. « Nous souhaitons que le Parlement de la photographie nous aide en matière de visibilité de nos collections et de valorisation de nos expositions », plaide Sylvain Besson, directeur des collections du musée Nicéphore Niépce. « La question de l’ouverture des droits, qui a failli compromettre l’édition du catalogue de l’exposition consacrée à Charles et Paul Géniaux que nous présentons en ce moment, reste particulièrement polémique », s’inquiète de son côté Laurence Prod’homme, conservatrice du patrimoine au musée de Bretagne (Rennes).

Pour l’heure, deux projets d’envergure, soutenus par le ministère de la Culture, s’apprêtent à voir le jour : la publication d’un ouvrage, Photographies +, consacré aux acquisitions, où celles-ci « seront montrées dans toute leur diversité », précise Anaïs Feyeux chargée de mission à la délégation à la photographie. Et le lancement d’une revue, Photographica destinée à « stimuler et favoriser la diffusion de la recherche dans le domaine du patrimoine photographique », se félicite Paul-Louis Roubert, président de la Société française de photographie, l’un de ses initiateurs.   

Photojournalisme : droits d’auteurs, rémunérations, carte de presse

Le constat est édifiant. « Trois milliards de photographies s’échangent quotidiennement sur internet. Les mentions de copyright ne sont indiquées que pour 3% d’entre elles ». Ce ratio saisissant, révélé comme un coup de poing par le photographe Thierry Secretan, traduit bien l’ampleur du défi à relever par tous les acteurs de la filière, y compris par l’État.

Sur ce point, une première réponse a été apportée par le ministère de la Culture, en collaboration avec le ministère des Finances : elle concerne le respect des dispositions légales et réglementaires relatives au paiement des factures par les éditeurs de presse. Selon une enquête menée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), seules « 10 % des éditeurs de presse se sont vues infliger des amendes administratives », observe Fabrice Casadebaig, sous-directeur de la presse écrite et des métiers de l’information au ministère de la Culture. Autre piste : le ministère de la Culture a mis en place une politique de conventionnement avec les éditeurs de presse qui inclue des engagements en faveur des photographes et des agences. « 40 % d’entre elles seront signées courant novembre », estime Fabrice Casadebaig.

Si ces conventions sont prometteuses, les sociétés d’auteurs font entendre des réserves. Thierry Ledoux, ancien président de la commission des images fixes à la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) remarque qu’elles « ne couvrent pas tous les groupes de presse ». Pour Olivier Brillanceau, directeur général de la Société des Auteurs des arts visuels et de l’Image fixe, « la question de la rémunération des auteurs est centrale ». « La loi Hadopi a institué une cession de droits multi-supports, c’est une source d’inquiétude constante pour nous. Nous souhaitons que les discussions sur ce sujet soient rouvertes », poursuit-il.  « Il faut obliger les sites de presse à afficher les métadonnées, tonne Thierry Secretan. Ne pas le faire, c’est se rendre coupables de favoriser le terrain des infox et nous affaiblir davantage encore dans un contexte de pillage systématique des ressources ».
Samir Ouachtati, responsable du pôle juridique et social de l’Alliance de la presse d’information générale qui regroupe plusieurs éditeurs de presse se veut rassurant. « Les conventions cadres en cours de négociation sont un rappel constant des nouvelles obligations qui incombent désormais aux éditeurs de presse. Par ailleurs, l’objectif aujourd’hui est de faire entrer les éditeurs de presse dans le schéma de la propriété littéraire et artistique. Or, dans ce cadre, ces derniers auront encore plus intérêt au marquage des contenus ».

Il faut obliger les sites de presse à afficher les métadonnées. Ne pas le faire, c'est se rendre coupable de favoriser le terrain des infox et nous affaiblir encore dans un contexte de pillage systématique des données

« N’y a-t-il pas une contradiction entre le fait de travailler régulièrement dans la presse et pour autant de ne pas avoir le statut de journaliste ? » interroge Philippe Bachelier, président de l’Union professionnelle des photographes, lançant le débat sur la carte de presse. Pour l’attribution d’une telle carte, les critères sont multiples. « Si nous prenons en considération les critères économiques, notre examen porte avant tout sur la nature de l’activité », explique Florence Braka, directrice générale de la Fédération Française des Agences de Presse, qui siège au sein de la commission qui délivre la carte de presse.
Qu’est-ce qui explique alors qu’on assiste, « depuis 2004 à une baisse significative de la délivrance des cartes de presse », questionne Gilles Codina, membre du Syndicat national des journalistes ? Le fait que de plus en plus de photographes soient contraints de multiplier les activités extérieures au photojournalisme explique en partie cette situation. « Aujourd’hui, il faut tenir compte de l’activité multiple du photographe. L’obligation, à hauteur de 50%, de travaux publiés dans la presse, est un obstacle pour obtenir la carte de presse », prévient Lionel Charrier, directeur de la photographie de Libération.

Lieux de diffusion : l’État mise sur le droit d’exposition

Musées, Frac, centres d’art, galeries… La France compte de très nombreux lieux de diffusion de la photographie. Dans ce contexte, la recommandation sur le droit d’exposition, soutenue par le ministère de la Culture, aux termes de laquelle les structures qui présentent le travail des artistes auront désormais l’obligation de les rémunérer, renforce un peu plus encore l’écosystème de la diffusion. « C’est une belle victoire, l’État sera exemplaire sur ces questions », promet Alexandre Therwath, chargé de mission à la délégation à la photographie. « Le droit d’exposition fait partie intégrante du droit d’auteur, l’état du droit est parfaitement clair sur la question », abonde Thierry Maillard, directeur juridique de la Société des Auteurs dans les Arts Graphiques et Plastiques (ADAGP). « La prochaine étape est celle de la mise en œuvre avec notamment la prise en compte du nombre d’œuvres présentées, la définition d’un pourcentage sur la billetterie, et la volonté de porter cette recommandation au niveau européen ».  

Le droit d'exposition, selon lequel les lieux qui exposent les photographes devront obligatoirement les rémunérer, c'est une belle victoire, l’État sera exemplaire sur ces questions

Même satisfaction du côté du « Réseau Diagonal », réseau national des structures de diffusion et de production de photographie qui fédère 23 membres répartis dans 10 régions et 20 départements. « Toutes les structures membres du réseau, qui organisent en moyenne 3 à 4 expositions par an, respectent ce droit d’exposition pour un montant moyen de l’ordre de 2000 euros », indique Erika Negrel, sa secrétaire générale. « L’enjeu est bien de vivre de son art », insiste-t-elle. Une revendication que Nathalie Giraudeau, directrice du Centre photographique d’Île-de-France, qui consacre 10% de son budget à la rémunération des photographes, reprend entièrement à son compte. « Même si nous sommes vertueux, ces sommes restent minimales, il est temps de tirer un signal d’alarme », dit-elle. Même préoccupation chez Béatrice Turpin, directrice du festival « Les femmes s’exposent », dont le budget est élaboré en tenant compte en premier lieu de la rémunération des artistes. « Il est indispensable de payer les photographes », lance-t-elle.