Engagé de longue date dans la lutte contre l'illettrisme, le ministère de la Culture a proposé, le 17 septembre, une rencontre autour de la thématique "Action culturelle et langue française". Doté d'1 M€, l'appel à projet portant sur ce thème a été renouvelé en 2019, a annoncé Françoise Nyssen. A cette occasion, nous republions l'entretien que nous avait accordé le 22 mars dernier Loïc Depecker, délégué à la langue française et aux langues de France.

L'initiative forte du Président de la République en faveur de la francophonie, les problématiques d’accès au français, les politiques de sensibilisation comme la Semaine de la langue française… le français est aujourd'hui au cœur des politiques culturelles de l’État. Comment l'expliquez-vous ?

Que l’on se préoccupe de la réduction des inégalités face à la langue, de la présence du français dans le monde ou de la sensibilisation du grand public aux enjeux du français dans notre pays, la langue française revient souvent comme un sujet central pour un ensemble de politiques publiques. Le ministère de la Culture y apporte sa pleine contribution.

La ministre de la Culture a ainsi fait part de sa détermination à conduire une politique du français au service de tous. « La langue française, pilier de notre culture, est un ciment de notre société », écrit-elle dans l’avant-propos de l'édition 2017 du Rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française, ajoutant qu’elle « nécessite d’œuvrer constamment en faveur de son partage, de lutter contre les inégalités qui en freinent l’acquisition, la maîtrise et l’emploi ».

Notre contribution à cette politique est aujourd’hui renforcée par le plan « Langue française et plurilinguisme dans le monde » que le Président de la République a annoncé le 20 mars. Emmanuel Macron a en effet insisté sur la nécessité de développer la maîtrise du français à tous les niveaux.

La langue française, pilier de notre culture, est un ciment de notre société. Il faut œuvrer en faveur de son partage et lutter contre les inégalités qui en freinent l’acquisition, la maîtrise et l’emploi (Françoise Nyssen)

L'appropriation du français par des publics qui en sont éloignés est en effet l'un des enjeux majeurs pour la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF). Comment la langue peut-elle favoriser le sentiment d’appartenance à la communauté nationale, à la citoyenneté ?

La maîtrise « insuffisante » du français, à l’oral comme à l’écrit, est de fait un facteur d’exclusion. Je dirai même que les difficultés en français constituent autant une cause qu’une conséquence qui découlent d’une situation marquée par l’exclusion ou la précarité. Qu’il s’agisse de personnes en situation d’illettrisme, pour lesquelles le français est langue maternelle ou seconde, ou de personnes d’origine étrangère, la majorité d’entre elles résident souvent dans des territoires connaissant une relative relégation. Elles ont de plus un accès limité aux équipements culturels et ne sont pas en mesure de communiquer en français de manière suffisamment autonome pour accéder à un emploi qualifié, assumer leur rôle de parents et de parents d’élève, exercer pleinement leurs droits et devoirs de citoyen, etc. Plus encore, elles n’ont qu’un accès limité aux ressources symboliques véhiculées par la vie sociale qui fondent le sentiment d’appartenance à la cité.

C’est précisément la fréquentation des lieux de culture et du patrimoine, la pratique artistique, l’accès aux œuvres de l’esprit, la participation aux débats citoyens qui créent les conditions d’acquisition de la langue commune qu’est le français. Il y a là quelque chose comme un cercle vertueux : la pratique artistique et culturelle, autant que la pratique de la langue, se renforcent mutuellement et nourrissent ce sentiment d’appartenance.

Les deux appels à projets nationaux "Action culturelle et langue française" que vous avez lancés en 2015 et 2017, ont rencontré un succès significatif. Quelles conclusions en avez-vous tiré ?

La DGLFLF s’est vue confier en 2015 par la ministre de la Culture la mise en œuvre d’un appel à projets national « Action culturelle – langue française ». Doté d’un million d’euros, ce dernier a permis de soutenir en 2015, et dans sa seconde édition en 2017 (également dotée d’un million d’euros), plus de 300 projets culturels issus des territoires au bénéfice de personnes en grande difficulté avec la langue française : personnes non francophones ou illettrées, depuis les publics scolaires jusqu’aux publics adultes. Dans cette action, la DGLFLF a pleinement joué son rôle d’impulsion et de coordination de la politique linguistique de l’État.

Ce dispositif, qui fait de l’action culturelle un vecteur de l’apprentissage du français, a pour première caractéristique de s’inscrire dans les orientations du ministère de la Culture en faveur des publics éloignés ou empêchés, tout en croisant cet objectif avec celui de la maîtrise du français et de la lutte contre l’illettrisme. Une autre caractéristique est la dimension interministérielle de l’appel à projets national, son pilotage impliquant différents départements ministériels qui conçoivent ou mettent en œuvre des politiques visant à améliorer la maîtrise du français. La collaboration d’autres ministères, souvent très impliqués, a grandement contribué à la réussite de ces projets.

En complément de ces appels à projets, vous avez décidé de généraliser cette problématique en lançant une "démarche nationale". De quoi s'agit-il ?

La démarche nationale portée par les appels à projets « Action culturelle – langue française » est une opération de promotion auprès des acteurs culturels, éducatifs et sociaux. Nous nous appuyons pour cela sur un ouvrage et un film documentaire qui en sont issus et dont nous avons soutenu la réalisation. Cet ouvrage et ce documentaire – respectivement intitulés Détours et déclics et Les orages, ça finit par passer (voir la bande-annonce) – vont faire l’objet de présentations publiques programmées dans les régions de mai à octobre. Nous organisons ces rencontres en partenariat avec les directions régionales des affaires culturelles, les porteurs de projet retenus dans le cadre des appels à projets nationaux « Action culturelle – langue française » 2015 et 2017, et leurs partenaires.

Quels sont les objectifs concrets de cette initiative ?

Les objectifs qui sous-tendent cette démarche nationale sont au nombre de quatre : mieux faire connaître certaines des initiatives retenues ; encourager et accompagner la conception et la réalisation de nouveaux projets ; sensibiliser à la mise en œuvre de coopérations entre acteurs issus de cultures professionnelles différentes, voire à l’élaboration de politiques publiques à même de répondre aux enjeux liés à une meilleure appropriation de la langue française par le plus grand nombre ; susciter la réflexion, tant sur les modalités mises en œuvre dans ce type de projets que sur les effets qu’ils produisent.

Vous misez également sur une dimension symbolique forte. Quels publics cela permettra-t-il de toucher ?

L’enjeu est de donner une large visibilité à cette nouvelle démarche, de mobiliser les acteurs, de favoriser la mise en réseaux et le partage des expériences. Il est aussi d’associer des partenaires aux actions à venir. L’ensemble des événements proposés permettront aux partenaires des porteurs de projet de valoriser leur implication. Ils seront conçus en collaboration avec les administrations déconcentrées (préfectures, directions régionales des affaires culturelles...), les collectivités territoriales et les porteurs de projets locaux – avec le soutien des médias et dans des lieux choisis pour leur impact sur la promotion de ces projets.

 

Action culturelle et langue française : 1 M€ en 2019 pour l'appel à projets

A l’occasion de la rencontre autour de la démarche "Action culturelle et langue française " organisée le 17 septembre au cinéma Georges Méliès à Montreuil, Françoise Nyssen a salué le travail effectué par de nombreuses institutions culturelles en faveur de la maîtrise de la langue française. Un nouvel appel à projets sera lancé en 2019, doté d'un million d'euros.
La fréquentation des lieux de culture et du patrimoine, la pratique artistique, l'accès aux œuvres de l'esprit peuvent en effet, dès lors qu'ils sont accompagnés de dispositifs de médiation adaptés, améliorer les conditions d'acquisition du français en particulier par les populations les plus fragiles. Cette rencontre, qui se tenait dans le cadre des Journées nationales d'action contre l'illettrisme, a permis de rappeler que la maîtrise de la langue française est au cœur de la lutte contre la ségrégation culturelle, dont la ministre de la Culture a fait une "priorité" de son mandat.