Comment les bibliothèques territoriales s’engagent-elles en faveur du développement de la lecture pour les publics qui en sont éloignés ? Trois territoires racontent leur expérience de terrain.

Avec près de 170 contrats déployés sur l’ensemble du territoire fin 2018, les Contrats territoire-lecture (CTL), qui sont conclus entre les directions régionales des affaires culturelles et des collectivités territoriales, sont une formule d'avenir pour favoriser l’accès de tous à la lecture. Ce succès, on le doit sans doute à la forme, particulièrement souple, du contrat, qui a su s’adapter à une multiplicité de contextes territoriaux pour y développer des projets de lecture publique « sur-mesure ». En 2019, le ministère de la Culture a porté les crédits en faveur du développement des CTL à 3,6 M€, contre 1,3 M€ en 2015. Un signe qui montre bien l’importance qu'il accorde à ces contrats.

À Brest, la bibliothèque se fait itinérante grâce à un vélo

Bibliambule Brest

Le projet de Contrat territoire-lecture (CTL) de Brest, comme 52% des contrats conclus sur la période 2016-2018, est orienté en direction des publics des quartiers prioritaires, relevant de la politique de la ville (QPV). Deux réalisations illustrent cette implication en faveur d’un accès facilité au livre et à la lecture sur l’ensemble du territoire.

« Bibliambule ». C’est une initiative originale. Un vélo électrique avec une remorque chargée de livres et de jeux sillonne la ville. Le triporteur a été acquis par la médiathèque des Capucins, à Brest, grâce au CTL. Plusieurs hamacs se déploient de la structure centrale, qui peut ainsi s’installer en différents endroits selon les occasions ou événements : devant un centre social ou une maison de quartier en lien avec les professionnels de ces structures, au pied des immeubles ou encore dans les jardins publics l’été. Cet outil attractif nous a permis d’aller au-devant de publics qui ne fréquentaient que peu ou pas nos établissements, s’enthousiasme Bénédicte Jarry, directrice du réseau des médiathèques de Brest.

« Mémoires Vives ». Mesurant la difficulté d’accueillir les publics séniors, la médiathèque s’est penchée sur l’histoire des quartiers pour valoriser la parole des anciens. Ils ont été invités à partager leur vision de la ville, aidé dans ce travail de recueil de leurs souvenirs par des artistes qui ont confectionné le matériau sonore, explique Bénédicte Jarry. L’ensemble se donne à voir sur une cartographie territoriale sous forme de récit, accessible en ligne

Afin que ce projet inédit « Mémoires Vives de Brest » touche un large public, des lectures – par des comédiens cette fois-ci - ont été organisées dans l’ensemble des bibliothèques du réseau. Les bibliothécaires ont particulièrement apprécié ce rôle de passeur de mémoire, note la directrice qui a profité de ce projet sensible pour programmer films et expositions sur la thématique du vieillissement et du rapport aux personnes âgées.

À Argentan, les associations ont même « les clés »

Médiathèque Argentan

À Argentan (Orne), le souci d'offrir un accès pour tous aux livres et à la lecture a toujours été constant pour la collectivité. Depuis 2012, elle prend appui sur des CTL pour déployer des actions de proximité visant à lutter contre la fracture culturelle, numérique, sociale et intergénérationnelle.

Relais de savoirs et de pratiques. En lien avec le Contrat Territoire Enfance Jeunesse, les personnels en charge des garderies scolaires sont régulièrement accueillis à la médiathèque. En complément d’une présentation ciblée du fonds jeunesse, ils sont formés à la lecture à voix haute. Par ailleurs, la rencontre avec des artistes se concrétise par la réalisation de divers travaux plastiques comme par exemple des sculptures végétales. Il s’agit de leur donner des outils pour mener un travail créatif avec les enfants. Que les intervenants soient artistes ou bibliothécaires, l’intérêt est aussi de décloisonner les univers professionnels, explique Nadine Pierre qui a dirigé la médiathèque d’Argentan pendant 25 ans.

Mise à disposition des lieux. L’association La Maison des mots, qui développe les qualifications et savoirs de base des publics d’origine étrangère, dispose librement des espaces de la médiathèque pour utiliser le fonds Facile à lire (FAL), organiser des ateliers et des projections vidéos pour ces personnes en situation d’apprentissage. Une incitation que Nadine Pierre revendique : l’idée est de faire en sorte que franchir les portes d’un lieu culturel leur devienne naturel.

Un Minilab pour l’inclusion numérique. L’espace Minilab a quant à lui ouvert en septembre 2019. Il propose à chacun de s’initier aux outils numériques tout en réalisant une action concrète : fabrication d’un badge, impression d’une image sur mug ou teeshirt… Un prétexte? Le plus important, pour Nadine Pierre, c’est d’apprendre ensemble et de favoriser les échanges entre générations. Nous voulons permettre à chacun d’avancer dans un esprit de découverte et de plaisir, lui permettre de s’enrichir.

Au Tampon (La Réunion), c’est une véritable maison de service public

médiathèque La Réunion

Avec une médiathèque centrale et cinq autres sites, le réseau de lecture publique du Tampon (La Réunion) joue, par son dynamisme et sa pluralité, un rôle clé de cohésion sociale sur le territoire. Trois établissements, dont la bibliothèque du centre-ville, sont situés dans un « quartier politique de la ville ». Une médiathèque numérique, construite en 2016 grâce au CTL, complète l’offre des équipements de proximité quand un médiabus, acquis précédemment, sillonne les hauts du territoire - jusqu’à 2 000 mètres d’altitude.

« Un livre à la maison ». Pour prévenir l’illettrisme, la Médiathèque numérique de La Châtoire organise des ateliers à destination du public en difficulté avec l'écrit et va renforcer cette action avec le dispositif "Facile à lire". La Ville s'engage également aux côtés des acteurs de terrain sur des dispositifs tels que "Coup de pouce clé", "Lire et faire lire" ou l’opération nationale "Des livres à soi" déclinée ici en "Liv la caz" - littéralement, un livre à la maison portée au Tampon par l'association APEPS. Avec cette action, il s’agit de viser et former les parents pour leur donner de nouvelles façons de mettre en scène la lecture au sein de la famille, raconte Sophie Guillou, responsable des médiathèques du Tampon. Dans le cadre d’ateliers de familiarisation, manipulations et appropriations d’ouvrages – par exemple les livres pop’up – plongent les parents dans le bain de la lecture. Se demander comment les raconter, les partager, pour finalement prendre en famille le chemin de la bibliothèque, voilà l’enjeu de cette action, relève Sophie Guillou.

Au cœur de la vie locale. Des ateliers d’initiation à l’informatique, menés en partenariat avec la CAF et Pôle emploi, accompagnent les usagers dans leurs démarches de dématérialisation. On touche là au cœur du rôle social de la médiathèque. Être une maison de service public, au profit d’une vie locale de la qualité, au-delà des actions proprement culturelles, note Sophie Guillou, avant d’ajouter : il est nécessaire d’instaurer au fil des propositions une relation de confiance avec les publics. Qu’ils puissent faire l’expérience concrète d’un lieu de vie, de partage, d’échanges intergénérationnels.