Derrière "Le penseur" et "Le réfugié", les deux œuvres au symbolisme sobre et puissant qu'il présente jusqu'au 30 mars dans les vitrines du Palais-Royal, il est difficile de ne pas voir un écho à sa situation personnelle. Pourtant, le message des sculptures de Carlos Lutangu est beaucoup plus universel. Rencontre avec l'artiste congolais, en marge de l'exposition proposée par l'Atelier des artistes en exil au ministère de la Culture.

Diplômé de l’Institut et de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, Carlos Lutangu Wamba, né en 1990, à Kinshasa (République démocratique du Congo), est l'un des quinze artistes sélectionnés par l'Atelier des artistes en exil. Sculpteur, il travaille l’argile, le bois, la pierre ou le bronze et des matériaux plus singuliers, tels que le métal, le papier ou le plastique. Lors de l'exposition accueillie jusqu'au 30 mars par le ministère de la Culture dans les vitrines du Palais-Royal, il présente deux œuvres récentes au symbolisme sobre et puissant : Le penseur et Le réfugié. Rencontre.

Dans quelles circonstances avez-vous créé Le penseur présenté dans le cadre de l’exposition ?

Quand je suis arrivé en France, le 8 janvier 2017, j’ai dormi dehors et n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je pensais à ma famille, à tout ce que j’avais laissé dans mon pays et me demandais ce que j’allais devenir ici. Le Penseur symbolise cette nuit d’intense réflexion.

Derrière Le penseur, on voit un autre personnage avec une valise…

Ce personnage représente le Réfugié, et il s'agit également un peu de moi, naturellement, puisque j’ai obtenu le statut de réfugié. La valise représente l’histoire du réfugié. Si on est obligé de quitter son pays, c’est qu’il y a de bonnes raisons à cela. Certaines régions du monde semblent encore l’ignorer.

Les matériaux que vous utilisez pour ces deux sculptures ne sont pas les mêmes. Expliquez-nous pourquoi ?

Le penseur est fait à base de papier mâché tandis que le réfugié est en métal. J’ai utilisé et soudé du métal en veillant à créer une impression de transparence. Je voulais réaliser l’œuvre avec ce matériau pour signifier que ce n’est pas facile de quitter son pays, de traverser l’océan et de s’installer ailleurs. Je ne savais pas que j’arriverais en France. Ce sont les circonstances, et l’expérience durant l’exil de conditions de vie extrêmement difficiles, qui m’y ont conduit. Le choix d’un matériau dur reflète cela.

Quelles sont les circonstances de votre départ ?

Je suis membre d’un parti politique qui combat le régime au pouvoir. Le 19 septembre 2016, à la suite d’une marche que nous avions organisée avec d’autres partis d’opposition, j’ai été arrêté et incarcéré. J’ai pu heureusement m’évader et suis allé me cacher dans une province loin de la capitale, d’où j’ai pu ensuite quitter le pays.

Est-ce que vous avez réussi rapidement à vous projeter dans un avenir en France ?

Quand je suis arrivé en France, ma demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a d’abord été refusée, mais j’ai ensuite eu la chance de bénéficier du conseil d’une avocate commise d’office qui m’a orienté vers l’Atelier des artistes en exil. L’association m’a tout de suite soutenu. Aujourd’hui, toutes les conditions, tant matérielles que psychologiques, sont réunies, pour que je puisse continuer à travailler.

Votre pratique artistique continue-t-elle aujourd’hui à être complètement ancrée dans votre histoire ?

Je suis en quelque sorte un artiste contemporain traditionnel ! Même si je vis en France, je garde naturellement ma culture et mon identité. Ce que j’ai vécu n’est pas facile à oublier. D’ailleurs, je me suis inspiré d’un masque traditionnel pour représenter la tête du Penseur, je ne voulais pas représenter une tête de façon réaliste. Mais j’ai aussi d’autres projets. J’ai désormais une nouvelle vie et je veux réaliser des sculptures qui parleront de mon intégration en France. Je travaille notamment avec des matériaux de récupération avec l’intention de rendre utile tout ce qui est inutile. Je souhaite rencontrer d’autres artistes, continuer à être exposé, acquérir d’autres connaissances…et, le jour venu, rentrer riche de ce bagage dans mon pays.