L’art urbain peut-il être un facteur de lien social et un instrument de lutte contre la relégation territoriale ? C’est le pari d’une passionnante exposition présentée au ministère de la Culture : "À l’échelle de la ville !" Elle sera inaugurée le 23 avril par Françoise Nyssen.

« On n’a pas tout essayé en matière d’accès à la culture. Il faut tracer de nouvelles routes, aller au-devant de nos citoyens, faire sortir la culture de ses murs », a affirmé le 29 mars la ministre de la Culture lors de la présentation du plan « Culture près de chez vous ». Cette initiative, destinée à améliorer l’irrigation des territoires les moins dotés en matière artistique et culturelle, témoigne de la place centrale que Françoise Nyssen accorde aux territoires dans sa politique culturelle.

Organisée par le ministère de la Culture et portée par l’association Planète Émergences, À l’échelle de la ville ! s’inscrit pleinement dans cet engagement en mettant en lumière des grands projets urbains qui démontrent la pertinence des politiques culturelles de proximité.

Les Murs de la L2 au cœur de l’exposition

La L2 est une rocade autoroutière, dont le concepteur a choisi de recourir à l’art urbain pour créer du lien avec les quartiers marseillais. Depuis 2012, 35 000 m2 de murs ont ainsi été réinvestis dans le cadre d’un travail participatif de grande ampleur, dirigé par Jean Faucheur. Le plasticien, qui compte parmi les fondateurs du mouvement d’art urbain en France, a mis à profit sa fine connaissance des réseaux nationaux pour concevoir, avec l’aide d’artistes urbains, un dispositif évoquant le procédé surréaliste du cadavre exquis. « Nous avons d’abord cherché à travailler avec des artistes locaux. Notre choix s’est ensuite porté sur les artistes urbains car ils sont rodés aux enjeux techniques inhérents à un tel ouvrage : le moindre mur fait au minimum 120 mètres de long, c’est un format hors-norme », explique-t-il.

Les artistes, libres de choisir leur sujet, ont tous leur propre style. « Le projet repose sur des écritures graphiques individualisées, très différentes les unes des autres », souligne Jean Faucheur. Cette pluralité permet à la population locale de s’approprier facilement l’imposant ouvrage, qui crée de nouveaux repères urbains. Dans le 11ème arrondissement de Marseille, on peut désormais déclarer que l’on « habite à la Fourmi », faisant ainsi une allusion implicite à la fresque de Dire qui se trouve sur l’échangeur voisin. Certains artistes ont même choisi de s’inspirer directement des lieux traversés par la L2 : l’œuvre de Noyps & Veter, située à proximité du cimetière Saint-Pierre, met en scène un gorille dont l’ossature en partie dévoilée renvoie à l’idée de déliquescence. Enfin, à travers une colossale fresque inspirée de la grande opération de nettoyage menée dans le Vieux-Port en 2016, Jace pose un regard malicieux sur la ville de Marseille toute entière. 

Mettre en avant des projets urbains qui valorisent les territoires 

En s’adressant à tous, hors des lieux dédiés à la culture, ces projets, dont plusieurs ont été soutenus par le ministère de la Culture dans le cadre de la commande publique, contribuent à inscrire l’art au cœur de la lutte contre la relégation sociale et territoriale. D’autres opérations, menées à Mayotte, Grigny, Paris et Tours sont également mises à l’honneur dans l’exposition, destinées à faire découvrir ces initiatives urbaines au service des territoires. L’exposition développe également des approches renforcées de médiation. « Il y a eu un réel travail de sensibilisation », notamment en direction des « écoles, des centres sociaux et des associations d’habitants », confirme Dominique Aris, cheffe de projet pour l'art dans l'espace public à la direction générale de la création artistique du ministère de la Culture, qui a accompagné la conception de l'exposition. « Dans tous les projets présentés, le territoire fait partie du tableau », observe Jean Faucheur, également commissaire de l’exposition. « Les œuvres réalisées transforment l’identité d’un quartier, elles magnifient ce qui semblait être désespéré. L’artiste urbain perçoit les possibles qu’offre un non-lieu : il sait en tirer la poésie cachée, souligner ce qui n’est pas vu et redonner ainsi à ceux qui fréquentent ces espaces à l’abandon une forme de fierté », analyse-t-il.

L’art urbain s’était déjà fait une place de choix sur les façades du ministère de la Culture, dans le cadre de l’exposition collective « Oxymores » en 2015. Une invitation qu’ À l’échelle de la ville ! renouvelle, octroyant ainsi ses lettres de noblesse à cette forme d’expression artistique qui, selon Jean Faucheur, « donne au béton une charge poétique, visuelle, humoristique ou affective ». L’exposition, qui se tiendra jusqu’au 10 juin 2018 dans les vitrines du ministère de la Culture et sur les colonnes du Palais-Royal, est composée essentiellement de visuels, destinés à capter le regard du passant, à s’imposer à lui. Car, comme Jean Faucheur ne manque pas de le rappeler, « l’art urbain est un art de combat, contre les éléments, les conventions, le mouvement de la ville… et celui des passants ».